Evitements et faux-semblants

Publié le par SD32

camba-5.jpg Lorsqu’il parlait de la Ve République, le constitutionnaliste Maurice Duverger évoquait une monarchie. Ceci dans le sens premier du terme, c’est-à-dire «monarque procédant de l’Un». La gauche et un temps François Mitterrand ont  caractérisé la Ve République de bonapartiste.

Dans la tradition de Napoléon, de Napoléon III, voire du général de Gaulle, c’est une tendance à se situer au-dessus des réalités sociales pour mieux en défendre certaines. Chaque Bonaparte a, au départ, incarné une équation politique. Pour Napoléon, ce fut la bourgeoisie fatiguée par la Révolution, pour Napoléon III, la paysannerie parcellaire, et pour le général de Gaulle, l’alliance détonante entre une bourgeoisie moderniste, entravée par une représentation parlementaire instable, dépendant de l’empire colonial, et les pieds-noirs excédés par les pertes de l’empire. Les conditions de l’accession au pouvoir ne furent, bien sûr, jamais celles de sa pratique.

Avec Nicolas Sarkozy, nous sommes au cœur de cette continuité. Tout à la fois par inclination personnelle, l’homme a soif de revanche : il fut longtemps ignoré voire méprisé dans l’espace chiraquien alors qu’il pense être le seul à «savoir faire» au milieu d’un monde de nains politiques. Mais aussi pour d’autres raisons : Nicolas Sarkozy domine sans partage son camp entre soumission, affaire Clearstream et inféodation du centre. Et en face, la gauche est dans les cordes, entre recomposition et refondation, cantonnée à commenter le maître des lieux. L’ouverture ne fut pas une politique mais, comme il se doit, en régime monarchique, le fait du prince, jouant sur ce que Pascal appelait l’appétit «des grandeurs d’établissement». Bref, appuyé sur l’alliance improbable du complexe militaro-audiovisuel et des perdants de la mondialisation, Nicolas Sarkozy règne seul, monarque substitutif à l’ensemble de la classe politique, Bonaparte faisant mine de s’installer pour dix ans. Le Président se fixant comme manifestation ultime de son pouvoir personnel la possibilité de s’exprimer devant un parlement réduit au silence. Evidemment, ceci est programmé à la veille des municipales, dans un congrès offrant au «pouvoir» une victoire assurée et menaçant, dans le cas contraire, la classe politique d’un référendum.

Tout semble bien aller, et pourtant les premiers pas du Président ne furent pas sans contradictions, hésitations et revirements. Se consacrant à l’édification de son pouvoir personnel, Nicolas Sarkozy a évité les dossiers majeurs tout en déployant un rideau de fumée législative censée satisfaire l’appétit conservateur de ses électeurs et provoquer l’ire bien pensante de la gauche. Un paquet fiscal entre trop et trop peu. Une peine plancher pour la récidive, étendard répressif dénué d’efficacité sur le fond. Une réforme de l’université qui est une occasion manquée. Un service minimum qui ne satisfait personne tout en inquiétant les syndicats pour la suite. Un épisode libyen pour le moins obscur, où on aura compris que Nicolas Sarkozy n’a pas directement traité avec Khadafi mais par l’intermédiaire du Qatar.

Le premier round parlementaire fut tout entier protégé par la victoire présidentielle, oubliant la contre-performance législative qui en dit long sur la volatilité électorale française. Le Président a touché à tout, s’est substitué à tous, et en particulier à son Premier ministre, mais n’a pas encore osé s’attaquer aux dossiers phares de son quinquennat comme, par exemple, le contrat unique, les retraites ou la sécurité sociale. Ce qui est signifiant. Mais en plus, Nicolas Sarkozy est passé à côté de deux décisions stratégiques majeures.

La première, et le conseil Ecofin lui a vertement fait remarquer, celle de s’attaquer aux déficits publics (rappelons que la dette de l’Etat est, au 30 juin, supérieure à 933 milliards d’euros et que la dette sociale est de 121 milliards d’euros, en progression de 10,7 milliards d’euros sur un an). Non seulement Nicolas Sarkozy ne les a pas attaqués de front, mais il a soutenu, tel un joueur de bonneteau, qu’il fallait les aggraver pour pouvoir les résorber. Le problème pour Nicolas Sarkozy, c’est que sa mystification est aujourd’hui une bombe à retardement dans le retournement de la conjoncture mondiale dû à l’effondrement du marché immobilier aux Etats-Unis. Cela augure d’une politique d’austérité à venir, dont la TVA sociale n’est que l’avant-garde, et qui n’est pas tout à fait le mandat qu’une partie des salariés de ce pays a donné à l’exécutif.

L’autre raté fut dû à la fascination de Nicolas Sarkozy pour l’Amérique en général et George Bush en particulier. Tandis que défilaient sur les Champs-Elysées nos forces armées et celles des vingt-six autres pays de l’Union européenne que le président de la République avait invitées, le chef du Kremlin annonçait, par décret, que la Russie suspendait sa participation aux négociations sur le traité adapté d’Istanbul de 1999. Ce document, que le quai d’Orsay considère comme une pierre angulaire de la sécurité en Europe, devait permettre de fixer durablement les relations stratégiques des forces conventionnelles entre les pays de l’Alliance atlantique et la Russie.

Ce n’est qu’un élément de plus, que tous les observateurs avisés ont pu constater, de la dégradation accélérée des relations avec Moscou. Ceci est fort dommageable car il s’agit bien de la stabilité de notre continent et de ses relations avec un immense pays, qui n’a toujours pas rempli ses obligations de retrait de ses forces en Géorgie et en Moldavie, avec, en toile de fond, le sujet du déploiement du bouclier américain antimissiles et du stationnement des troupes et du matériel américains dans les pays de l’ancien Pacte de Varsovie. Le sujet est d’importance et méritait un peu plus que la langue de bois diplomatique du porte-parole du quai d’Orsay, le 16 juillet: «On regrette et on saisira toutes les occasions de débattre avec les Russes.»

Nicolas Sarkozy, occupé à se faire reconnaître par l’aigle américain passablement déplumé alors que s’annoncent les présidentielles dans ce pays, a omis l’intérêt crucial que l’Europe doit porter à l’ours russe malade. «La manœuvre a ses limites, disait Bonaparte, lorsqu’elle est confrontée à la réalité». Et celle-ci n’est pas aussi simple que l’on veut bien le dire. Les cent jours de Sarkozy furent marqués par de nombreux faux-semblants parlementaires, des évitements majeurs, mais aussi par deux absences de décision qui pèsent lourdement sur l’avenir de la France. Comme quoi on peut se substituer à tous et à tout, concentrer tous les pouvoirs… et manquer l’urgence.

Jean Christophe CAMBADELIS

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