Pierre MOSCOVICI juge parfaitement recevable la comparution de Cécilia SARKOZY devant la commission d’enquête sur la libération des infirmières bulgares.

Ce qui devrait être un épiphénomène devient un événement, un sujet de débat, voire de controverse. Que l’Elysée soit hostile à cette audition n’est pas une surprise. Mais l’argumentation utilisée est plus que farfelue, elle est, comme le disait autrefois Jacques Chirac à un autre sujet, «abracadabrantesque» !
Je résume : Mme Sarkozy n’a de compte à rendre à personne et ne pourrait être auditionnée, au nom de la séparation des pouvoirs et au prétexte qu’elle serait l’ «envoyée personnelle» de son mari.
Sur le plan constitutionnel, l’argument est baroque. La séparation des pouvoirs est un principe républicain essentiel. Il signifie, en pratique, que l’exécutif est responsable devant le Parlement, qui contrôle son action dans les limites définies par la Constitution. Dans l’état actuel de nos institutions - que Nicolas Sarkozy souhaite d’ailleurs modifier - le président de la République ne peut se rendre devant le Parlement, il ne peut donc pas venir devant une commission d’enquête. Mais pourquoi inventer cette notion étrange d’ «envoyée personnelle» qui, «par extension», ne pourrait pas non plus témoigner ? Quelle mouche a piqué le jeune porte-parole de l’Elysée, que l’on dit si intelligent ? Car entrer dans ce raisonnement signifierait accepter l’inacceptable, que le Président et son épouse ne fassent qu’un, que celle-ci, d’une certaine façon, ne soit qu’une partie - une «extension» - de celui-ci, qu’elle soit protégée de tout par ce statut de confusion. Cela n’a aucun sens !
La vérité est tout autre, et elle est simple. Il y a, d’abord, une évidence : Mme Sarkozy peut être appelée à témoigner devant une commission d’enquête, si celle-ci le décide elle le doit, il n’y a sur le plan juridique aucun obstacle recevable à cela. Dès lors, c’est bien à cette commission - qui je le rappelle n’est pas encore formée et sera constituée de députés de la majorité comme de l’opposition - qu’il reviendra le moment venu de convoquer, ou non, Mme Sarkozy, à témoigner. Sur quels critères le fera-t-elle ? À mon avis, un seul est pertinent : ce témoignage est-il utile, voire nécessaire à la manifestation de la vérité ?
M. Guéant, secrétaire général de l’Elysée - un grand serviteur de l’Etat que je connais et estime - et Mme Sarkozy se sont rendus en Libye au moment de la libération, heureuse, des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Comment celle-ci a-t-elle été obtenue ? Quels ont été les rôles respectifs de la France et de l’Union européenne ? Y a-t-il eu des contreparties, et, si oui, lesquelles - règlement financier direct ou indirect, contrats d’armement ou nucléaire ? Quelle est désormais la nature et la profondeur des liens entre la France et le régime du colonel Kadhafi ? Voici les principales questions posées. Si la commission estime que, pour y répondre, elle a besoin d’entendre les deux «envoyés personnels» du Chef de l’Etat - car M. Guéant ne l’est ni plus, ni moins que Mme Sarkozy - elle le fera. Si cela devait advenir, ce serait évidemment de manière courtoise et impartiale, car une commission d’enquête parlementaire n’est pas un tribunal populaire dans une période de Terreur. Le reste est littérature ou élucubration institutionnelle.
Il n’y a, à l’encontre de Mme Sarkozy, aucun acharnement, aucune curiosité malsaine. Je respecte son statut et sa personne. Il y a, simplement, la prise en compte d’un fait politique qui marque ce début de quinquennat. Nicolas Sarkozy est un Président d’un nouveau type, omniprésent, hyperactif, Mme Sarkozy est aussi une «première dame» d’un genre nouveau, qui ne s’efface pas ni ne se cantonne à un rôle de pure représentation. Dès lors qu’elle intervient dans une affaire publique, en jouant un rôle politique ou diplomatique majeur, elle doit pouvoir, comme tout citoyen, comme tout émissaire public, venir s’expliquer devant la représentation nationale.
C’est la contrepartie de son importance et cela me paraît, tout bêtement, découler de la règle républicaine. Si le Président souhaite qu’elle n’y soit pas assujettie, alors il faut revenir à une définition plus classique de la fonction d’épouse du chef d’Etat. Sinon, il n’est pas acceptable d’inventer pour s’y dérober une monstruosité juridique et institutionnelle. Il faudra décidément que cette question, qui devrait être mineure ou toute simple, trouve une solution pour ne pas devenir une affaire d’Etat. Il faudra aussi, pour le juste équilibre des pouvoirs, que toutes les institutions de la République - le Conseil constitutionnel, durement malmené par le Président lui-même pour sa décision claire et fondée sur le paquet fiscal, comme le Parlement - ainsi que l’opposition, qui n’est ni «pathétique» ni «malveillante» lorsqu’elle pose des questions légitimes, soient enfin respectées par l’Elysée. Sans quoi l’étrange climat bonapartiste qui règne pourrait prendre des dimensions préoccupantes.
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Tribune parue dans Libération de ce jour
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