BRUITS DE BOTTE

Publié le par SD32

 
 

Quelques mots sur les extravagantes déclarations de Bernard KOUCHNER à propos de l’Iran  «il faut se préparer au pire, à la guerre». Elles accentuent le diagnostic que je posais ici la semaine dernière, celui d’un tournant néo-conservateur de la diplomatie française. Je déteste la caricature, j’aimerais me tromper, et pourtant les évidences s’accumulent.

 

Quelle est, d’abord, la situation réelle ? La menace nucléaire iranienne n’est pas un mythe, elle ne doit pas être sous estimée, ce serait une faute que de le faire. Et tout doit être fait pour que l’Iran n’accède pas à l’arme nucléaire. Tout, c’est-à-dire une combinaison bien dosée de sanctions -celles qui existent sont assurément insuffisantes- de contrôles de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) –à mon sens essentiels- et de dissuasion -l’option militaire, je le dis depuis longtemps, ne doit pas être écartée. Avant toute chose, il convient de soutenir l’action de l’AIEA, comme il aurait fallu, au moment de la crise irakienne, soutenir celle des inspecteurs des Nations unies, jusqu’au bout. Le Directeur général de l’AIEA, M. El Baradei, est un homme d’une exceptionnelle qualité, ferme et diplomate à la fois. Il estime aujourd’hui ne pas voir de «danger clair concernant le programme nucléaire iranien», et demande qu’on le laisse poursuivre son travail, au moment où la coopération avec les autorités iraniennes semble, enfin, donner quelques timides résultats -qu’il faut certes, accueillir avec précaution, en gardant les yeux ouverts sur les intentions réelles du régime de Téhéran.

 

Les déclarations de Bernard KOUCHNER prennent dans ce contexte tout leur relief. Sans doute sont-elles jugées excessives dans son propre camp –pardon de parler ainsi, mais il y appartient maintenant résolument- puisque le Premier ministre, François FILLON, a dû infléchir ce discours en affirmant que, si la tension avec l’Iran était «extrême», «la diplomatie avait encore sa place». Mais elles n’ont pas été faites par hasard, puisqu’elles s’inscrivent dans la droite ligne des propos tenus par Nicolas SARKOZY aux Ambassadeurs, qui évoquaient l’alternative entre «la bombe iranienne» et «le bombardement de l’Iran». Voilà où nous en sommes. La France utilise une rhétorique que l’Administration BUSH elle-même, qui continue de privilégier l’option diplomatique, n’ose plus employer : c’est, pour les néo-conservateurs, très affaiblis à Washington et à New York, une divine surprise, qu’ils n’attendaient plus, que de voir un Chef d’État occidental, qui plus est Français, relayer des positions démonétisées. La diplomatie  française contredit aussi tous les efforts de l’AIEA, dont le Directeur général a répété le 17 septembre que « nous devons toujours nous souvenir que l’usage de la force ne peut être envisagée que quand toutes les autres options sont épuisées », ce qui est loin d’être le cas.

 

Quel est le bénéfice de cette attitude ? Je ne le perçois pas. Elle est sincère, et repose sur une lecture dure, mais sérieuse, de la politique iranienne. Il ne s’agit pas d’être naïf, de faire crédit à ce régime opaque, déterminé, souvent disponible pour des propos anti-sémites voire révisionnistes : je ne mésestime pas sa dangerosité, et ne prêche pas pour un pacifisme bêlant. Pour ma part, je n’écarte pas la possibilité d’une confrontation, mais –et c’est plus qu’une nuance avec les autorités françaises -je ne la  privilégie pas et ne souhaite pas l’encourager- En diplomatie, les mots ont un sens -ils sont même premiers. Ceux-là sont, au moins, maladroits : ils vont trop loin, ils nous coûtent dans l’opinion publique internationale, ils renforcent les éléments les plus durs en Iran, ils nous font jouer un rôle à la fois inutile et dangereux. J’ajoute que, pour un socialiste –Bernard KOUCHNER ne l’est plus, certes- le discours de guerre est à manier avec plus de précaution. Bref, je regrette ces bruits de botte. Il faudra suivre l’évolution des choses avec attention, vigilance et préoccupation. Je le ferai.

Pierre MOSCOVICI

 

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