Qui doit gouverner la France ? par Didier MAUS

Une extension démesurée, de droit ou de fait, du rôle du président de la République débouche sur un véritable enjeu de démocratie. Le Parlement ne peut remplir son office de représentant de la volonté générale que s'il rencontre en face de lui un gouvernement disposant d'une réelle liberté d'action, à l'intérieur du contrat conclu avec le peuple lors de l'élection présidentielle et des élections législatives. Dans un pays comme la France, qui n'est d'aucune manière une fédération à l'image des Etats-Unis, le renforcement de l'influence de l'Assemblée nationale et du Sénat exige un renforcement simultané de l'autonomie politique du gouvernement, donc une mise en retrait, au moins, par les affaires ordinaires, du président de la République.
Dans un pays où les compétences normatives sont désormais réparties entre l'Union européenne et les instances nationales, et non entre un centre national et des territoires fédérés, il serait illusoire de vouloir s'inspirer de ce qui se passe à Washington. Des questions comme les peines planchers lors des récidives, le statut des universités, le service minimum en cas de grève ou la plupart des règles du droit fiscal ne relèvent pas, aux Etats-Unis, du Congrès, mais de cinquante législatures différentes.
Que le président de la République, compte tenu de son mode d'élection et de la brièveté de son mandat, éprouve le besoin d'exposer devant le Parlement, c'est-à-dire les deux assemblées réunies, son "Rapport sur l'état de la France" peut se justifier, à condition toutefois que cette descente du président dans l'arène parlementaire permette aux députés et aux sénateurs de réagir et d'exprimer leurs opinions. Une déclaration unilatérale sans débat déboucherait, un jour ou l'autre, sur une formule inspirée de l'"Adresse en réponse au discours du Trône".
Le grand avantage de l'insoluble question "Qui gouverne la France ?" est de permettre, selon les circonstances politiques ou personnelles, d'assurer une véritable continuité politique. Lorsque le président François Mitterrand était obligé, pour des raisons de santé, de réduire ses activités, le premier ministre, y compris M. Balladur entre 1993 et 1995, prenait le relais sans que cela n'affaiblisse d'aucune manière ni la position de la France ni la primauté présidentielle. Cela permet de donner un contenu intemporel à la formule de Pierre Messmer, de 1974, selon laquelle "le président de la République détermine les grandes orientations de la politique nationale et veille à leur bonne mise en oeuvre".
Voilà le principal : le Parlement et le gouvernement ont des sorts liés. Les dissocier n'existe que dans le cas d'un régime présidentiel fédéral ou lorsque la démocratie dérive vers d'autres hypothèses, ce qui n'est pas envisageable.
A partir de ce constat, de multiples améliorations de nos institutions sont concevables. Aménager les règles de la procédure parlementaire en interdisant aux assemblées de légiférer dans la précipitation (sauf urgence manifeste) ; étendre les capacités de contrôle du Parlement, dans les faits plus que dans le droit ; permettre au Conseil constitutionnel d'être, sur recours des citoyens, une véritable cour constitutionnelle dans le domaine des droits fondamentaux ; créer une procédure permettant de soumettre au peuple un conflit durable entre les deux assemblées parlementaires dans le cas d'une révision constitutionnelle ; mieux distinguer et répartir entre l'Assemblée nationale et le Sénat les missions de représentation de l'indispensable majorité et de la nécessaire diversité, pour ne citer que ces exemples, pourrait améliorer de façon certaine le fonctionnement de la République. Elles ne constituent, pourtant, que des réformes accessoires par rapport à l'impossible réforme du principal. A l'impossible, nul n'est tenu. Heureusement !