De l’état de grâce à l’état de grogne

Tout était prêt pour la victoire symbolique. Le pouvoir voulait en s’appuyant sur l’opinion, non seulement l’image de la victoire, mais l’humiliation des syndicats qui par deux fois, en novembre 1995 et contre le CPE l’ont fait reculer. Il y avait comme un parfum de revanche tout autant que l’espoir d’écrire la légende du « Matamore Sarkozo ». Puis les étudiants sont entrés dans la danse, les magistrats et les avocats n’ont pas désarmés entraînant une partie de la majorité, les sondages firent grise mine, la confiance s’ébréchait, avec comme toile de fond l’affaissement du pouvoir d’achat. Le « jusqu’au boutisme » du pouvoir produisait ce qu’il devait produire, le durcissement d’une base qui pensait qu’elle n’avait rien à perdre. La radicalité des mots appelait la radicalité de la base. Après quelques allers et retours à l’Elysée, lieu unique du pouvoir… Matignon fut constamment mis dans le vent. Xavier Bertrand le « Zorro » des retraites fit des tourniquets avec ses petits bras.
Puis tout à trac, prenant le pouvoir à contre-pied, la CGT lança l’ouverture. Pour un pouvoir qui s’en gargarise cela faisait mauvais genre. Alors branle-bas de combat, il était temps de faire machine arrière. La porte de la concertation était à nouveau ouverte et la négociation par entreprise devint donc la perspective. Astucieusement les syndicats demandent la présence de l’Etat. L’opération « lissage » était en route : primes, cote décote, salaires, temps d’application. L’Etat refilait le bébé aux entreprises avec tellement de « si », de « mais », de « ou » que cela donna l’impression que l’on était prêt à tout pour que ça finisse. Les Villepinistes s’en inquiétèrent publiquement, les experts aussi… tout ça pour ça !!! Et c’est l’usager du service public qui paiera la note ?
Non seulement les retraites ne seraient pas sauvées par l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général, ce que nous savions tous, mais l’addition allait être salée. Alors roulements de tambour médiatique, à défaut de roulements de mécanique, et re-marche avant : « la CGT a cédé », « le pouvoir l’a emporté », « victoire de Sarkozy ». Et ce qui devait arriver là aussi arriva, puisque la CGT a capitulé, la base ne peut l’entériner. Non seulement le front syndical ne se fissura pas. Tout juste la CFDT tenta de bonifier le rapport de force, en déclarant qu’il fallait une pause pour mieux négocier. Mais la base unie et chauffée à blanc par un pouvoir revanchard semblait inébranlable. L’éléphant UMP dans le magasin délicat de la porcelaine sociale faisait des dégâts.
Cafouillage sur une lettre très recommandée qui n’arriva pas à temps puis grand coup de poing sur la table « pas de négociation sans rédition ». Allez, maintenant il faut rentrer !!
Rien ne bouge pendant le week-end et pour cause. Alors… Monsieur Bertrand se tortille puis recule à nouveau… Il veut bien négocier mais si il y a une dynamique de reprise. Comme cela ne veut rien dire il termine un peu piteux « on négocie mercredi ». Ce que personne ne comprend, c’est pourquoi on a perdu le week-end suite aux rodomontades. Et ceci d’autant plus que la brave Madame Lagarde, qui n’en rate pas une, nous annonce toute « fiérote » que la grève coûte 300 ou 400 millions d’euros par jour.
Il est, au passage, paradoxal, de demander aux dirigeants syndicaux une attitude responsable au regard des enjeux sur les retraites. Puis de les conspuer, les mains sur les hanches, parce qu’ils ne contrôlent pas la base, à qui on n’a laissé aucune porte de sortie, si ce n’est de liquider ce qui fut un acquis. Vouloir réformer dans l’équité, ce n’est pas punir, c’est prévoir. Demander de la responsabilité, ce n’est pas minauder devant les difficultés à assumer, c’est aider à dégager l’intérêt général. Deux principes que le gouvernement ne connaît pas. Le pouvoir n’a pas de stratégie sociale. Il ne cherche que la victoire symbolique, c'est-à-dire médiatique. Il le fait, avec le paravent un peu facile des promesses de campagne. Comme si la présidentielle avait plébiscité celle-ci. Il reste que la culture d’un syndicalisme d’engagement fait son œuvre. La CGT et la CFDT ont évité cette fameuse défaite symbolique, tout en démontrant un sens de l’intérêt général dont nous ne sommes pas sûr qu’il soit partagé par le gouvernement.
Mais voilà le pouvoir est passé de l’état de grâce à l’état de grogne…L’épisode des retraites n’annonce pas la retraite de celui-ci mais le gouvernement Sarkozy n’est plus à la fête ! Sur le moment, il n’y aura ni vainqueur, ni vaincu. Mais sur le long terme on jugera l’épisode peu glorieux car tout le monde aura perdu. D’autant qu’il y a « lourd » derrière comme on dit à la CGT. La question du pouvoir d’achat est toujours là. Les étudiants contestent et le reste ne va pas être en reste. Et les Français vont retomber dans la déprime.
A force de frapper en tout sens, mais dans le vide, Nicolas Sarkozy s’essouffle. Il va tenter de changer de terrain en s’attaquant par la face nord aux raisons de son déficit : le pouvoir d’achat. Mais les faits sont têtus, il n’a pas de marges de manoeuvre budgétaire. Et la crise de l’immobilier va redoubler au premier semestre 2008, les comptes sociaux explosent, merci Monsieur Bertrand ! Il ne reste au Président que le discours. Le pouvoir n’a comme recours que le plume d’un conseiller. Les Français ne lui tiennent pas encore totalement grief car ils n’ont rien d’autre sous la main, mais ils ne sont plus dupes. Voilà nous y sommes, la semaine aura changé la donne.
Pour lire la suite : cambadelis.over-blog.net/article-13969045.html
Jean Christophe CAMBADELIS