Bloc-notes de la rénovation n°3

La redéfinition
par
Thierry Mandon
Porte parole de Rénover maintenant
La rénovation du Parti socialiste est une ardente nécessité.Tous ses présidentiables, ceux d’hier comme ceux de demain, y réfléchissent. Très bien. Mais est-ce vraiment la question ? Depuis 1962, chaque élection présidentielle est un échec pour le Parti socialiste. Battu sept fois sur neuf, il ne doit qu’à François Mitterrand d’avoir emporté une élection qui semble avoir été conçue pour lui échapper.
La personnalisation de l’enjeu et, depuis peu, la peapolisation du débat, sont d’autant plus éloignés des traditions du PS que celui-ci, parlementaire de culture, s’est construit contre la logique de la Ve République. Il prétend choisir souverainement son candidat, sans pression de l’opinion, élaborer librement son projet et négocier des alliances en fonction des rapports de force du moment, transposant dans la République d’aujourd’hui une culture et des mœurs politiques nés sous la IIIe République parlementaire.
Parce qu’en 1971 il a rebâti le Parti socialiste sur un mode charismatique, François Mitterrand a pu dépasser cet atavisme. Sitôt disparu, les gênes ont repris le dessus : représentation proportionnelle en interne de courants plus soucieux de se disputer des parts de marché idéologiques que de fédérer autour d’un projet commun, ce qui rappelle les modes de cohabitation des sept sensibilités socialistes qui, en 1905, constituèrent la 1ère SFIO ; unité qui ne s’exprime que dans l’opposition au pouvoir (et encore !), défiance à l’égard du candidat investi, tenu à l’observation stricte de la ligne du parti.
Avec de tels fers aux pieds, le plus agile des candidats présidentiels est condamné d’avance : impossible unité, conflits programmatiques et organisationnels récurrents entre le candidat et le parti, difficulté à assumer collectivement un projet décomplexé de gouvernement. A cette aune, les défaites de 2002 et de 2007 sont frère et sœur.
Plutôt que de chercher à affronter cette contradiction entre logique présidentielle et tradition parlementaire, les présidentiables socialistes ont cru trouver leur salut en faisant le choix de l’arène ou de la ruse.
Ceux qui se sont engagés tête baissée dans les délices des luttes internes, contribuant à fractionner un peu plus un parti qui n’en avait pas besoin, ont creusé leur propre tombe. Maximisant leurs différences avec leurs rivaux potentiels, au prix de contorsions stupéfiantes, ou préférant émasculer le projet de réforme qu’ils pouvaient incarner pour se revendiquer de la fidélité aux dogmes, ils ont perdu deux fois : en audience dans le parti puisqu’ils se sont singularisés, et en crédit dans l’opinion publique du fait de leur préférence pour les private joutes.
À l’inverse, la candidature de Ségolène Royal a laissé penser que le choix de l’opinion publique plutôt que celui des rites de congrès donnerait un avantage à la ruse. Plébiscitée par les militants du parti contre lequel elle s’était construite, cette stratégie de contournement laissait espérer la possibilité d’une victoire présidentielle. Mais l’évitement n’a qu’un temps : sitôt l’investiture donnée, les mêmes causes produisant les mêmes effets : soit la candidate acceptait d’être sous contrôle du parti, se reniait et elle perdait ; soit elle s’y refusait… et elle perdait aussi.
Voila pourquoi s’en tenir à la simple rénovation du Parti socialiste, pourtant revendiquée à l’unisson, c’est consolider la machine à perdre. Car la seule rénovation de la plate-forme programmatique, la redéfinition d’une ligne politique claire, la génuflexion devant les " réalités du marché ", de la mondialisation et de l’individualisation seront vaines tant que n’aura pas été tranchée la question de l’adaptation même du Parti socialiste à la Ve République présidentielle. Plus que d’un déficit idéologique, le PS souffre d’un travers ontologique qui le rend inapte à agir dans un système politique fondé sur le présidentialisme.
Pour avoir une chance de remporter une élection présidentielle, le Parti socialiste devra donc repenser son rôle et adapter son fonctionnement à cette réalité. Deux voies sont possibles.
Refusant de se soumettre au diktat présidentialiste, le Parti socialiste adapte sa tradition parlementaire à la logique de l’élection présidentielle. Il s’organise pour faciliter l’émergence d’un chef en mettant fin à la représentation proportionnelle en interne au bénéfice d’un mode majoritaire pour désigner sa direction ; il cherche à élargir le plus possible son assise à gauche en intégrant des sensibilités écologistes, altermondialistes, à la gauche de la gauche, et travaille à élaborer un véritable projet de gouvernement. Ambitionnant de devenir le parti de toute la gauche, à tout le moins de la gauche la plus large possible, il se redéfinit à l’image d’autres partis européens parlementaires (New La-bour, SPD...). Dans ce cas, son premier secrétaire est nécessairement le futur candidat à l’élection présidentielle de la même manière que le chef du parti est le Premier ministre en cas de victoire dans nombre de partis de gauche européens. Plus cohérent, plus efficace et plus rassembleur, ce nouveau parti socialiste peut postuler avec des chances de succès à l’élection présidentielle. Reste à savoir s’il saura dépasser la contradiction qu’implique son élargissement nécessaire et la mise en place d’une discipline interne plus forte.
Soit, au contraire, intégrant pleinement la logique de l’élection présidentielle, le Parti socialiste se redéfinit à partir de cette élection. Il confie à des élections primaires à l’italienne, c’est-à-dire rassemblant les électeurs d’une coalition de partis, le soin de désigner le candidat à l’élection présidentielle. N’ayant plus à l’investir lui-même, ni à arrêter son programme définitif dont la finalisation dépendra des arbitrages de la coalition, le Parti socialiste se redéfinit à partir de fonctions nouvelles : il se dote d’outils pour s’ancrer davantage dans la société à partir d’une force militante renouvelée (organisation de ses relais dans le monde économique et les services publics ; départements entreprise et services publics ; ré appropriation de la coordination de ses élus locaux ; développement des liens avec les acteurs associatifs...) ; travaille à penser les évolutions de la société à moyen terme en créant un outil de réflexion ambitieux ; développe des services pour ses militants et sa base sociale (assurances, mutuelles…), voire constitue un fonds de placement social lui permettant de prendre des participations financières minoritaires pour contribuer à des objectifs précis (pluralisme dans les médias, émergence de nouvelles formes économiques…).
À côté de ces missions nouvelles, il continue bien sûr à définir les orientations et investir les candidats pour les élections locales et législatives. Reprécisant aussi en profondeur son rôle et ses moyens d’actions, le Parti socialiste peut donner des motivations nouvelles à l’action militante et devenir durablement le pôle qui tirera l’ensemble de la gauche vers les succès.
Dans tous les cas, le travail à engager dépasse de beaucoup la rénovation à laquelle semblent se préparer les principaux dirigeants socialistes. C’est l’utilité même du Parti socialiste, dans sa forme actuelle, que la succession des échecs présidentiels oblige à affronter. Une formation politique créée il y a plus d’un siècle, forte d’une histoire riche, de milliers d’élus locaux et pivot indispensable d’une alternance politique, n’a pas à craindre d’être sans objet.
Mais, par manque de courage de se transformer, elle encourt le risque d’être durablement réduite à analyser les causes de ses défaites électorales nationales successives.
Réincarner l’esprit de réforme dans la société implique d’abord de se l’appliquer à soi-même. Il n’est pas tâche plus urgente que de bâtir un nouveau parti socialiste pleinement adapté aux institutions de son temps.