Vers l’élection présidentielle américaine du 4 novembre 2008

Dick Howard, professeur de philosophie politique à l’Université d’Etat de New York à Stony Brook, analyse ici le contexte économique et social de l’Amérique d’aujourd’hui et les chances des uns et des autres de l’emporter.
Quelles sont, à un an de l'élection présidentielle, la situation économique et sociale du pays et les principales attentes de la société américaine ?
Sur le plan intérieur, la question de l’immigration est une question brûlante, qui divise les deux partis. Le compromis élaboré par George Bush et des modérés des deux partis et proposé au Congrès l’an dernier n’a pas été voté. La question n’est donc pas réglée, avec ses conséquences : un nombre important de sans papiers cherche du travail. Dans les banlieues, ils s’entassent à quinze ou vingt par maison. On les voit le matin, au coin de la rue principale, attendre qu’on leur offre du travail. Faut-il, comme le font de très nombreux maires - dont l’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani - interdire à la police de demander à ces personnes leur nationalité ? Le débat est au cœur de la campagne des primaires.
L’autre thème majeur est celui de la situation économique du pays. Les riches étant toujours plus riches, les autres se sentent appauvris par l’accroissement des inégalités, la crise des « subprimes » qui met à mal les retraites privées et la persistance d’un nombre élevé de chômeurs auxquels s’ajoutent deux millions de prisonniers (dont de nombreux Noirs). En outre, la mondialisation jette une inquiétude sur l’avenir des contrats de libre-échange passés avec les pays étrangers, notamment l’Amérique latine. Au niveau social, la récurrente question de l’assurance santé demeure présente, alors qu’environ 45 millions d’Américains en sont privés. Les Républicains continuent d’accuser les Démocrates de vouloir « étatiser » la santé, alors que Hillary Clinton et Barack Obama font des propositions légèrement différentes mais dans la tradition initiée par Truman, qui, le premier dès 1947, a proposé aux Américains une assurance médicale.
Enfin, le poids de la religion continue de peser lourdement. La droite religieuse, notamment, développe avec vigueur le créationnisme, même si elle est partagée sur la candidature du candidat mormon Mitt Romney et celle du pasteur baptiste Mike Huckabee, dont le discours dépasse sa seule base évangélique.
Dans quelques semaines, les Démocrates désigneront leur candidat (e) pour 2008. Quelles sont les chances de l'une et des autres? Quels sont les sujets qui les divisent ?
Le 3 janvier prochain, les premiers « caucus » se tiendront dans l’Etat clé de l’Iowa. Les derniers sondages donnent Barack Obama devant Hillary Clinton mais une partie des électeurs peut encore changer d’avis. Le premier, noir, représente une sorte de Kennedy, porteur d’une transformation radicale de la société, l’autre, femme, est une candidate expérimentée, connaissant déjà les arcanes de la Maison Blanche et prônant une sorte de « New Deal », c’est-à-dire la réforme, même si, sur le fond, ce qui les sépare est assez limité.
Ceux qui soutiennent Hillary le font de façon raisonnée mais sans amour, alors que le jeune sénateur noir de l’Illinois suscite de l’enthousiasme et de l’affection. Pour autant, beaucoup, au sein de la communauté noire, disent ne pas vouloir voter pour lui car ils sont sûrs, en raison d’un certain fatalisme lié à la culture de ghettoïsation, que les Etats-Unis ne voudront pas élire un Noir à la présidence.
Quant à John Edwards, depuis toujours opposé à la guerre en Irak non ! il a voté pour lorsqu’il était au Sénat en 2002, sa campagne populiste ne semble pas devoir lui permettre de rester dans la course, même s’il réussit son pari de se placer dans les deux premiers dans l’Iowa. Ne parlons pas du candidate de « la gauche de la gauche », Denis Kucinich ; mais mentionnons que le rôle des campagnes indépendentes en ligne, dont le plus connue s’appelle Moveon.org pourrait devenir un facteur de gauchissement des candidats qui voient dans leur public une proie à attirer.
Les Etats-Unis sont-ils prêts, selon vous, à élire une femme présidente?
Une femme, oui, pour autant qu’elle ait de l’expérience, ce qui inspire confiance. Hillary Clinton en a, mais elle s’appelle Clinton. C’est, à mon sens, son principal problème. Pour beaucoup d’Américains, le nom de Clinton est associé aux « années maudites », non seulement celles des années 60 mais aussi celles de la présidence de Bill. En outre, depuis les années 80, se succèdent les « Bush » et demain les « Clinton » ! Cela fait beaucoup…
Enfin, certains Démocrates ne souhaitent pas qu’ Hillary soit désignée, redoutant que le rejet violent dont elle fait l’objet de la part des Républicains ne les unissent plus que leur programme qui les divise et qui pourrait conduire une partie de leur électorat à s’abstenir. Au fond, une femme républicaine aurait plus de chance d’être élue car malgré la misogynie ambiante - bien que des femmes occupent des postes très importants comme la présidente démocrate de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi - les Américains font plus confiance aux Républicains dans le domaine de la politique étrangère. Ce qui explique, d’ailleurs, qu’Hillary Clinton adopte des positions plus agressives, vis à vis de l’Iran par exemple.
Les Républicains n'ont-ils aucune chance de gagner, comme on le croît souvent en France? Quel serait, selon vous, leur meilleur candidat?
Les Démocrates veulent à tout prix gagner. Je pense qu’ils remporteront les élections législatives et qu’ils seront majoritaires non seulement à la Chambre des Représentants mais aussi au Sénat (mais : auront-ils les 60 voix nécessaires pour passer outre un éventuel filibustre des républicains ?). Mais, justement dans ce cas de figure, les Républicains peuvent gagner.
En effet, les Américains pourraient préférer choisir une cohabitation et élire un président républicain qui serait bridé par l’opposition démocrate au Congrès. Je ne sais pas quel serait le meilleur candidat. Rudolph Giuliani fait souvent figure de favori, notamment parce qu’il symbolise le 11 septembre, mais certaines de ses relations un peu douteuses nuisent à son image. Mitt Romney le talonne de près. John MacCain pourrait reprendre du poil de la bête si les choses allaient mieux en Irak.
En fait, il se pourrait - et ce serait une « première » dans l’histoire politique des Etats-Unis - que leurs divisions empêchent les Républicains de désigner leur candidat avant leur Convention, alors que les Démocrates l’auraient fait dès le « super mardi » du 5 février prochain, ce qui est d’ailleurs très tôt. Qui va tirer profit de cette donne inédite ? Tout peut donc arriver dans cette longue campagne !
Quel peut être le poids des questions internationales dans le choix final des électeurs ?
Alors que la situation semble s’améliorer en Irak, on pouvait penser que les questions d’ordre intérieur allaient reprendre le dessus. Le rapport des services secrets sur l’arrêt du programme nucléaire iranien relance le débat sur le plan international. En novembre dernier, onGeorge Bush évoquait parlait déjà de « troisième guerre mondiale ».
Le Congrès a voté une mesure déclarant comme organisation terroriste la garde révolutionnaire iranienne. Hillary Clinton a soutenu cette disposition. Ce vote a ainsi pu être compris comme autorisant une guerre éventuelle avec l’Iran. Il est trop tôt pour savoir quel sera l’impact de ce rapport sur l’opinion. Peut-être est-ce un tournant dans la campagne, mais il y en aura sûrement d’autres.
Je rappelle que les élections américaines se déroulent en deux tours : des primaires au sein de chaque parti puis l’élection contre le candidat du parti opposé. Nous en sommes aux primaires. Les militants et les sympathisants démocrates vont devoir choisir bientôt entre la réforme ou la transformation. Un choix difficile qui engage sûrement déjà le résultat de l’élection de la fin de l’année prochaine.
Mais dans quel sens ?
Sur le plan intérieur, la question de l’immigration est une question brûlante, qui divise les deux partis. Le compromis élaboré par George Bush et des modérés des deux partis et proposé au Congrès l’an dernier n’a pas été voté. La question n’est donc pas réglée, avec ses conséquences : un nombre important de sans papiers cherche du travail. Dans les banlieues, ils s’entassent à quinze ou vingt par maison. On les voit le matin, au coin de la rue principale, attendre qu’on leur offre du travail. Faut-il, comme le font de très nombreux maires - dont l’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani - interdire à la police de demander à ces personnes leur nationalité ? Le débat est au cœur de la campagne des primaires.
L’autre thème majeur est celui de la situation économique du pays. Les riches étant toujours plus riches, les autres se sentent appauvris par l’accroissement des inégalités, la crise des « subprimes » qui met à mal les retraites privées et la persistance d’un nombre élevé de chômeurs auxquels s’ajoutent deux millions de prisonniers (dont de nombreux Noirs). En outre, la mondialisation jette une inquiétude sur l’avenir des contrats de libre-échange passés avec les pays étrangers, notamment l’Amérique latine. Au niveau social, la récurrente question de l’assurance santé demeure présente, alors qu’environ 45 millions d’Américains en sont privés. Les Républicains continuent d’accuser les Démocrates de vouloir « étatiser » la santé, alors que Hillary Clinton et Barack Obama font des propositions légèrement différentes mais dans la tradition initiée par Truman, qui, le premier dès 1947, a proposé aux Américains une assurance médicale.
Enfin, le poids de la religion continue de peser lourdement. La droite religieuse, notamment, développe avec vigueur le créationnisme, même si elle est partagée sur la candidature du candidat mormon Mitt Romney et celle du pasteur baptiste Mike Huckabee, dont le discours dépasse sa seule base évangélique.
Dans quelques semaines, les Démocrates désigneront leur candidat (e) pour 2008. Quelles sont les chances de l'une et des autres? Quels sont les sujets qui les divisent ?
Le 3 janvier prochain, les premiers « caucus » se tiendront dans l’Etat clé de l’Iowa. Les derniers sondages donnent Barack Obama devant Hillary Clinton mais une partie des électeurs peut encore changer d’avis. Le premier, noir, représente une sorte de Kennedy, porteur d’une transformation radicale de la société, l’autre, femme, est une candidate expérimentée, connaissant déjà les arcanes de la Maison Blanche et prônant une sorte de « New Deal », c’est-à-dire la réforme, même si, sur le fond, ce qui les sépare est assez limité.
Ceux qui soutiennent Hillary le font de façon raisonnée mais sans amour, alors que le jeune sénateur noir de l’Illinois suscite de l’enthousiasme et de l’affection. Pour autant, beaucoup, au sein de la communauté noire, disent ne pas vouloir voter pour lui car ils sont sûrs, en raison d’un certain fatalisme lié à la culture de ghettoïsation, que les Etats-Unis ne voudront pas élire un Noir à la présidence.
Quant à John Edwards, depuis toujours opposé à la guerre en Irak non ! il a voté pour lorsqu’il était au Sénat en 2002, sa campagne populiste ne semble pas devoir lui permettre de rester dans la course, même s’il réussit son pari de se placer dans les deux premiers dans l’Iowa. Ne parlons pas du candidate de « la gauche de la gauche », Denis Kucinich ; mais mentionnons que le rôle des campagnes indépendentes en ligne, dont le plus connue s’appelle Moveon.org pourrait devenir un facteur de gauchissement des candidats qui voient dans leur public une proie à attirer.
Les Etats-Unis sont-ils prêts, selon vous, à élire une femme présidente?
Une femme, oui, pour autant qu’elle ait de l’expérience, ce qui inspire confiance. Hillary Clinton en a, mais elle s’appelle Clinton. C’est, à mon sens, son principal problème. Pour beaucoup d’Américains, le nom de Clinton est associé aux « années maudites », non seulement celles des années 60 mais aussi celles de la présidence de Bill. En outre, depuis les années 80, se succèdent les « Bush » et demain les « Clinton » ! Cela fait beaucoup…
Enfin, certains Démocrates ne souhaitent pas qu’ Hillary soit désignée, redoutant que le rejet violent dont elle fait l’objet de la part des Républicains ne les unissent plus que leur programme qui les divise et qui pourrait conduire une partie de leur électorat à s’abstenir. Au fond, une femme républicaine aurait plus de chance d’être élue car malgré la misogynie ambiante - bien que des femmes occupent des postes très importants comme la présidente démocrate de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi - les Américains font plus confiance aux Républicains dans le domaine de la politique étrangère. Ce qui explique, d’ailleurs, qu’Hillary Clinton adopte des positions plus agressives, vis à vis de l’Iran par exemple.
Les Républicains n'ont-ils aucune chance de gagner, comme on le croît souvent en France? Quel serait, selon vous, leur meilleur candidat?
Les Démocrates veulent à tout prix gagner. Je pense qu’ils remporteront les élections législatives et qu’ils seront majoritaires non seulement à la Chambre des Représentants mais aussi au Sénat (mais : auront-ils les 60 voix nécessaires pour passer outre un éventuel filibustre des républicains ?). Mais, justement dans ce cas de figure, les Républicains peuvent gagner.
En effet, les Américains pourraient préférer choisir une cohabitation et élire un président républicain qui serait bridé par l’opposition démocrate au Congrès. Je ne sais pas quel serait le meilleur candidat. Rudolph Giuliani fait souvent figure de favori, notamment parce qu’il symbolise le 11 septembre, mais certaines de ses relations un peu douteuses nuisent à son image. Mitt Romney le talonne de près. John MacCain pourrait reprendre du poil de la bête si les choses allaient mieux en Irak.
En fait, il se pourrait - et ce serait une « première » dans l’histoire politique des Etats-Unis - que leurs divisions empêchent les Républicains de désigner leur candidat avant leur Convention, alors que les Démocrates l’auraient fait dès le « super mardi » du 5 février prochain, ce qui est d’ailleurs très tôt. Qui va tirer profit de cette donne inédite ? Tout peut donc arriver dans cette longue campagne !
Quel peut être le poids des questions internationales dans le choix final des électeurs ?
Alors que la situation semble s’améliorer en Irak, on pouvait penser que les questions d’ordre intérieur allaient reprendre le dessus. Le rapport des services secrets sur l’arrêt du programme nucléaire iranien relance le débat sur le plan international. En novembre dernier, onGeorge Bush évoquait parlait déjà de « troisième guerre mondiale ».
Le Congrès a voté une mesure déclarant comme organisation terroriste la garde révolutionnaire iranienne. Hillary Clinton a soutenu cette disposition. Ce vote a ainsi pu être compris comme autorisant une guerre éventuelle avec l’Iran. Il est trop tôt pour savoir quel sera l’impact de ce rapport sur l’opinion. Peut-être est-ce un tournant dans la campagne, mais il y en aura sûrement d’autres.
Je rappelle que les élections américaines se déroulent en deux tours : des primaires au sein de chaque parti puis l’élection contre le candidat du parti opposé. Nous en sommes aux primaires. Les militants et les sympathisants démocrates vont devoir choisir bientôt entre la réforme ou la transformation. Un choix difficile qui engage sûrement déjà le résultat de l’élection de la fin de l’année prochaine.
Mais dans quel sens ?
Propos recueillis par Ghislaine Toutain
Source Fondation Jean JAURES et Revue ESPRIT