Hiatus

Publié le par SD32

undefinedNicolas Sarkozy vient de perdre, d’un coup, 7 points dans les sondages, il se retrouve en dessous de 50 % pour la première fois depuis son élection en mai 2007, avec une cote très faiblement positive – 48 % de bonnes opinions vs. 45 % de mauvaises.

L’avertissement est sérieux, la glissade est forte, cela confirme une tendance qui a vu l’approbation de son action chuter de 17 points après juillet – ce qui est énorme. L’état de surgrâce est un souvenir, l’état de grâce n’existe plus, la banalisation est là, le mécontentement menace.

Je n’accorde qu’une importance mineure aux sondages – même si, comme tous les politiques, je les lis avec passion, j’en connais les limites – mais je crois en cette évolution, qui correspond à ce que, revenant de ma circonscription, qui a voté fortement pour lui, j’observe sur le terrain. Il faut chercher une explication à ce mouvement. Pour moi, elle est simple.

J’ai d’abord la conviction qu’il y a eu, d’emblée, un malentendu dans la popularité sarkozienne. Selon moi, les Français n’ont en réalité jamais vraiment aimé Nicolas Sarkozy. Ils ont été, ils sont encore pour beaucoup d’entre eux, bluffés par son énergie, par sa volonté sans limites, ils voyaient, certains voient encore en lui un homme d’action, attaché à une « culture de résultat », tranchant avec un univers politique jugé résigné et routinier.

Le Président n’avait rien pour être élu : ni grande prestance, ni charme immense, ni charisme rassembleur. Et pourtant, il l’a été, et bien été, parce qu’il a su incarner de façon crédible la « rupture » dont il avait fait son mot d’ordre. Séduits pour l’ouverture, impressionnés par les premiers gestes d’une présidence suractive, un grand nombre de Français ont voulu croire aux promesses de la campagne, au terme d’une bataille électorale qui avait rendu ses lettres de noblesse à la politique. Tout cela créait une impression, un climat, cela ne faisait pas une cote d’amour, une vraie popularité.

Nicolas Sarkozy est aujourd’hui, et d’abord, victime des espoirs qu’il a déçus. Il s’était dit Président de la France qui se lève tôt, qui travaille dur, des ouvriers, des paysans, des artisans. Il lui avait promis de travailler plus pour gagner plus. Il avait aussi promis de renforcer le pouvoir d’achat. Il avait annoncé un choc de confiance et de croissance.

Rien de tout cela n’est venu. Le paquet fiscal de l’été 2007, je l’ai déjà dit, je le redis, a été un vrai péché originel pour le quinquennat. Il a montré que le pouvoir préférait arroser ses clientèles sociales traditionnelles, celles de la droite, plutôt que de se tourner vers l’électorat populaire qu’il avait pourtant su séduire. Il a aussi privé le gouvernement de toute marge de manœuvre et accru la difficulté de nos finances publiques, confrontées à nos engagements européens et à l’impératif catégorique de diminuer la dette. Les mesures sur les heures supplémentaires tardent à produire leurs effets et sont – outre leur aspect critiquable - d’une invraisemblable complexité.

Enfin, Nicolas Sarkozy s’est refusé – peut-être parce qu’il n’en avait plus les moyens – à prendre pour le pouvoir d’achat des mesures simples, de nature à accroître les salaires. C’est donc – avec il est vrai le handicap d’une conjoncture internationale plombée par la crise des « subprimes » - un climat de défiance et non de confiance qui s’installe. La déception est là, elle commence, je suis persuadé qu’elle va s’aggraver, à proportion des promesses non tenues.

Cette déception est encore renforcée par un hiatus, par le sentiment que ce Président, élu pour agir en faveur des Français, ne pense en réalité qu’à lui. Je ne veux pas exagérer, dans le début de défaveur qui touche le Président, le poids du facteur personnel. Mais je suis persuadé qu’il n’est pas négligeable.

Nicolas Sarkozy exerce une hyperprésidence, certes, mais une hyperprésidence narcissique. Fasciné par les « people », irrésistiblement attiré par l’argent, il se vit comme une « rock star » et non comme le chef d’un État en situation difficile, voire comme le disait François Fillon en faillite. L’augmentation du salaire présidentiel au moment où la question du pouvoir d’achat se faisait plus aigue, l’usage répété, malgré cela, du jet privé de Vincent Bolloré pour ses vacances, le style ostentatoire désormais omniprésent, les petits week-ends luxueux en amoureux, l’annonce d’un mariage imminent : voilà autant de petits cailloux qui, mis bout à bout, donnent l’impression que Nicolas Sarkozy, qui s’était peint comme un Français ordinaire au destin extraordinaire, s’est éloigné de sa tache et de son peuple. S’il persiste, le contraste entre une action sans résultats probants et une privatisation outrancière de la fonction présidentielle ne lui sera pas pardonné.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres… Cette glissade sarkozienne fait au moins un heureux, le Premier ministre François Fillon, qui a semblé comme ressuscité, ragaillardi en tout cas, aux Antilles. On le comprend, il montre, par contraste, la vertu du sérieux, un peu austère même, de son action, il retrouve une utilité, celle du type qui fait le sale boulot, voire à terme un rôle, celui du « fusible ».

Je n’aime pas Sarkozy, mais cet épisode, à mon avis le début d’une séquence durable, n’a pas de quoi réjouir. Il confirme que le Président est un chef politique doué, mais pas un homme d’État. Et pourtant, il serait souhaitable qu’il prenne, enfin, la mesure de sa fonction, qu’il pense davantage à ceux qui l’ont élu et moins à lui-même.

La gauche, dans tout ça, retrouve quant à elle un espace : il lui reste maintenant à faire, dans cette période d’élections municipales qui s’ouvre, entendre à nouveau une voix. Car il reste à Nicolas Sarkozy une force immense : il reste, pour l’heure, seul à organiser le champ politique.

À nous d’y reprendre notre place.

Pierre MOSCOVICI
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