Elections générales au PAKISTAN : des lendemains qui (dé)chantent ?

A la grande joie des Pakistanais se répandant dans l’allégresse — là où l’on craignait colère et violence — dans les rues soudain débordantes de liesse et d’espoir, les forces démocratiques sont en tête des résultats ; et très largement, reléguant le « parti du roi » (PML-Q) et principal relais politique du Président Musharraf loin des formations rivales et gagnantes incarnées par le Pakistan People Party (PPP ; dynastie Bhutto) et la Pakistan Muslim League (PML-N ; N. Sharif) ; plus loin encore les formations politico-religieuses (MMA) au discours volontiers fondamentaliste, beaucoup plus discrètes désormais.
Des élections libres et honnêtes ?
Une décennie après ses dernières véritables élections générales (1997), le Pakistan et ses 81 millions d’électeurs étaient « invités » lundi 18 février 2008 à exercer leur droit de vote et renouveler tout à la fois, entre appel au boycott, craintes d’attentats et pression de l’appareil d’Etat, les 4 assemblées provinciales (Punjab, Sindh, Baloutchistan et Province frontière du nord-ouest) et l’Assemblée nationale. Deux scrutins conjugués organisés sous haute surveillance policière et militaire ; une échéance politique particulière, appelée de ses vœux par les forces démocratiques de ce pays sous influence martiale permanente, à un niveau ou un autre, depuis soixante ans (indépendance en 1947).
Une élection vécue sous haute tension intervenant — après un premier report en janvier — une cinquantaine de jours après la tragique disparition de Benazir Bhutto (attentat du 27 décembre à Rawalpindi), chantre de la contestation à l’ordre militaire établi depuis 1999 et du renouveau démocratique, fut-il imparfait et contrarié. Si à l’instar de la population, l’observateur étranger (ils étaient bien peu du reste à avoir reçu l’autorisation des autorités ou à avoir pris le risque d’y assister) se félicite que ces élections aient finalement peu avoir lieu (un énième attentat-suicide fit 47 victimes la veille du scrutin), sa réserve sera plus légitime dès lors que la régularité du scrutin, sa trame « libre, honnête et équitable » sera abordée.
Comment en effet auraient-elles pu l’être alors que le gouvernement intérimaire, la Commission électorale, la Cour Suprême étaient bien avant le scrutin aux ordres (du clan présidentiel), que les meetings préélectoraux étaient interdits, que les opposants, responsables politiques de la société civile, juges et avocats étaient à tour de rôle et à tour de bras arrêtés par les forces de l’ordre, pour des motifs évidents ? Si ces élections n’ont fort heureusement pas connu le tour violent qu’on leur prêtait, elles n’ont pas pour autant adopté les atours de l’équité et de la régularité. N’en déplaise aux autorités.
Un verdict crédible et légitime ?
Certes, alors que 81 millions de Pakistanais étaient inscrits sur les listes électorales, ils ont été moins de 40 millions à avoir fait le chemin vers les bureaux de vote ; le sentiment que «tout était comme de coutume joué d’avance », que le dépouillement des urnes adopterait plus souvent qu’à son tour une trame déloyale, les appels aux boycott et menaces associées, les pressions de nature féodale en zone rurale, auront détourné, une fois encore, le citoyen de son droit de choisir, bulletin en main et seul face à l’isoloir, ses représentants.

Un Président Musharraf bon perdant ?
Loin de son assurance coutumière et de son goût pour la témérité, le Président Musharraf se félicita peu après l’annonce des premiers résultats — très défavorables à son endroit — que cette importante étape politique ait pu avoir lieu dans des conditions de sécurité globalement satisfaisantes (une vingtaines de victimes à l’échelle du pays) et annonça sa disposition à œuvrer, dans l’exercice de ses fonctions et pour le bien de la nation, avec la prochaine équipe gouvernementale, quelle qu’en soit la composition et le chef de file.
Une attitude positive, de circonstance et là encore bienvenue, qu’il s’agit de saluer. Une démarche dictée par le bon sens et la modestie de ses résultats, ces élections ayant des atours de référendum pour ou contre Musharraf et l’implication directe de l’armée dans la gestion des affaires politiques nationales. On le savait avant même que le premier votant fasse le premier pas en direction de l’urne, le constat est cinglant : c’est désormais officiel, une majorité de Pakistanais entend passer à un chapitre post-Musharraf et redonner quelque chance aux forces démocratiques de prendre à bras le corps les grands défis lestant cette société affaiblie, divisée et échaudée.
Quelle équation gouvernementale ?
Au surlendemain du scrutin, la question reste posée et les possibilités diverses ; le PPP, vainqueur au niveau national et bien placé dans les provinces, en sera la matrice centrale ; c’est pour l’heure l’unique certitude ; l’appel ouvert en direction de la PML-N de Sharif semblerait faire du sens … si ce n’était l’intransigeance de ce dernier, arc-bouté depuis des mois sur des positions de principe délicates à mettre en musique aujourd’hui : refus absolu de « travailler avec un dictateur », appel à la démission du Président Musharraf, restauration immédiate et inconditionnelle de l’ancienne Cour Suprême et de son emblématique Pdt, M. Chaudhry ; un certain nombre de points peu compatibles avec les agendas des uns et des autres…
Dans son souci de composer avec d’autres acteurs politiques pour obtenir une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale, le PPP pourrait certes faire une ouverture en direction … du parti du roi, défait lors de ce scrutin ; si ce n’est que le nouveau « patron » du PPP et veuf de la défunte Benazir Bhutto, se refuse à une telle alliance; en terme de couleuvre à avaler, la perspective de travailler avec un Président Musharraf — officiellement disponible — lui suffit amplement… En revanche, dans l’hypothèse où la « codirection» au niveau national avec la PML-N s’avérerait plus problématique que bénéfique, le recours à un format composite associant le PPP + le MQM (Sindh) + l’ANP (nationalistes NWFP), soutenu de l’extérieur par le parti de Nawaz Sharif, pourrait également présenter quelques mérites à explorer, à défaut de formule idéale.
Pléthores d’attentes et de défis.
Quelle que soit en définitive la future trame gouvernementale et sa capacité à œuvrer, pour le bien de la nation, avec les deux autres incontournables pôles de pouvoir (Présidence ; armée), le spectre des défis attendant ce fragile triumvirat est aussi vaste qu’éloquent : parmi les premiers, notons l’économie et la situation dégradée des ménages les plus exposés ces derniers mois (cf. augmentation exponentielles des prix des produits de 1ere nécessité), la prise à bras le corps (par le dialogue entre autres) par l’ensemble des autorités du dossier terrorisme et violence politique, les velléités islamisantes de divers courants (cf. épisode de la Mosquée Rouge à Islamabad en juillet 2007), la situation atypique dans les zones tribales (talibanisation), le rééquilibrage équitable des pouvoirs entre la Présidence, le 1er ministre et le chef des armées, la restauration de l’indépendance de la justice (Cour Suprême) et de la liberté de tons des médias. La liste des priorités nationales pourrait s’allonger encore des sensibles questions bilatérales pakistano-afghanes, pakistano-indiennes, pakistano-américaines ; et l’on en passe…
Et si cette nouvelle matrice du pouvoir ne fonctionnait pas ?
Dans l’euphorie de la tenue de ces scrutins et de la victoire des agendas démocratique, un scénario à ne pas exclure d’emblée… La mesure et la circonspection s’imposent ; cependant, une « sortie de crise »possible, pétrie de bon sens et a priori quasi-consensuelle, se dessine pourtant : la démission « spontanée » du Président Musharraf.
Courageusement, ce dernier n’avait-il pas promis de quitter ses fonctions en cas de revers électoral consommé ? Depuis lors, selon une jurisprudence éprouvée, ses dispositions au départ semblent s’être muées en une farouche volonté de demeurer aux affaires. Une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le Pakistan ?
Source IRIS ( Institut de Relations Internationales et Stratégiques)
Olivier GUILLARD Directeur de recherches
Olivier GUILLARD Directeur de recherches