Cela va mal se terminer !

Il est né d’une colère et est asséné avec un sourire résigné. Il ponctue un café, un canon, ou un apéro. Il est ourlé sur le ton de la confidence ou annoncé à la cantonade, il court, il vole et devient rumeur, il est tout à fait clair… Cela va mal se terminer !
Tout à coup, la France regarde le Président de la République avec de toutes autres lunettes.
L’énergie qui était hier le sésame de la confiance s’est mutée en l’expression de tous les excès et a laissé place à l’absence de maîtrise. Le Président de la République a les nerfs. Et ça se voit. Pas une sortie, pas une décision qui ne soit marquée ou entachée par un problème. Est-il agacé par le moment ? Ou a-t-il tout simplement peur d’une situation où tout va mal ?
Lorsqu’on croise à l’Assemblée nationale quelques députés UMP hagards, ils ont tous la même mine lasse. Et quand on les interroge, tout à coup tout y passe : l’ouverture, le paquet fiscal, les frasques présidentielles, la prise du pouvoir des conseillers, l’inconsistance de la politique internationale, le pouvoir d’achat. Pour un peu, on croirait un tract du Parti socialiste.
Et ce n’est pas la bonne figure sondagière de Fillon, qui est tout à la fois la récompense d’un silence et l’expression d’une punition présidentielle, qui change leur état d’esprit.
Tout va mal ! Les Français ressentent que cela ne va pas mais surtout un doute s’est installé, un doute au cœur de la situation politique française, un doute quotidien : le Président sait-il où il va ?
Les colères entrées ou publiques, la mise en cause des décisions du Conseil constitutionnel, l’altercation au salon de l’agriculture avec un quidam, tout semble indiquer symboliquement que Nicolas Sarkozy ne se maîtrisant pas, ne maîtrise pas la situation.
Un président démonétisé, une droite démobilisée, et une gauche survoltée, avions-nous dit, il y a quelques semaines. Aujourd’hui le Président semble exploser et créer ainsi une situation décomposée.
Formidable rançon de l’ouverture et de l’erreur fiscale des premiers jours, Nicolas Sarkozy a décomposé les repères d’abord à droite en chevauchant le frontisme, puis à gauche en multipliant les ouvertures feintes ou réelles. Il a déboussolé la France, brouillant ses repères nationaux et même internationaux. Il a exercé le pouvoir avec vanité et se trouve aujourd’hui totalement dépourvu, les proches n’ayant que l’anathème face à une montagne de critiques qu’ils ont eux-mêmes constituée. Il n’a pas incarné l’intérêt général dans le domaine social ceci au point de n’avoir comme dernier porte-parole que Mme Parisot. Il a confondu la présidence de la république et la vie rêvée des stars, il a mis le feu à tous les symboles, allumé toutes les colères, et aujourd’hui il crie « pouce », je vaux mieux que cela.
La magie du verbe s’est retournée en un brouhaha inconséquent duquel émerge le festival de couacs de ses proches.
Paradoxe des paradoxes, la droite rêve d’une défaite nette pour mettre fin au massacre et reprendre la main.
On espère secrètement à l’Assemblée Nationale et au Sénat, dans les cercles dirigeants de l’UMP pouvoir remettre le Président sur ses fondamentaux. On suppute sur le fait que le remaniement sera la digue sur laquelle viendra se briser la vague de la contestation.
Rien n’est moins sûr car ce raisonnement sondagier ne prend pas en compte l’inexorable crise de ciseaux qui se met en place.
Effet de la campagne présidentielle : en bas, on veut gagner plus et, en haut, on ne peut que donner moins. La négociation sur les salaires des fonctionnaires est la démonstration pour le pays non seulement que les caisses sont vides mais que l’austérité est inévitable.
Il est peu probable que Nicolas Sarkozy, de plus en plus agité, ne puisse s’en passer. Et la présidence de l’Europe en juillet l’oblige à apurer les comptes. Cette situation économique détériorée pèsera sur les négociations sociales, les retraites, le périmètre de la fonction publique, etc…
Il est tout aussi peu probable que les Français acceptent de se serrer la ceinture alors que le gouvernement a multiplié les cadeaux fiscaux et que l’on assiste aux augmentations mirifiques du patronat du CAC 40.
Dans une situation où la droite est au abois et la gauche pas encore sûre d’elle-même, dans un moment où rode dans les esprits le spectre de la grande cohabitation - à la droite le pouvoir national, à la gauche le pouvoir local - l’absence de perspective de la droite combinée à l’absence d’alternative de la gauche va donner au social un champ inéluctable.
La tension sociale va être grande en ce 40ème anniversaire de mai-juin 68. Souvenons-nous que celui-ci a démarré contre l’autoritarisme déclinant du Général de Gaulle, s’est amplifié via la contestation des ordonnances de la sécurité sociale et le blocage des salaires et a explosé face aux premiers effets d’une vie chère.
Comparaison n’est pas raison et comme les municipales ne peuvent provoquer l’alternative et comme le pouvoir est maintenant dans l’impossibilité de changer d’orientation, le raisonnement d’en bas « « ça va mal se terminer » est peut-être moins un catastrophisme latent qu’une intuition populaire.
Jean Christophe CAMBADELIS