Le temps du mépris

Publié le par SD32

pierre-moscovici--barbe.jpgLa décomposition de la situation politique et morale du pouvoir se poursuit hélas, avec même une vitesse accrue. Deux événements sans relation en témoignent. Le premier, le principal bien sûr, est l’invraisemblable refus du Président d’accepter la décision, pourtant singulièrement tempérée, du Conseil constitutionnel à propos de la mauvaise loi Dati sur la rétention de sûreté. Le second est l’insulte faite par Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture à un citoyen qui refusait – crime de lèse-majesté on en conviendra – de lui serrer la main. Nous entrons, avec ce non-Président de la République, dans le temps du mépris. Voyons en aujourd’hui les manifestations, avant d’en examiner demain les conséquences.

Je reviens d’abord sur la saisine du Premier président de la Cour de cassation pour contourner la censure partielle du Conseil constitutionnel sur la rétention de sûreté. Cette loi, inspirée par l’ex-juge Fenech et l’extrême droite judiciaire, rompt, je ne cesse de le dire, avec notre tradition de justice des libertés. Selon celle-ci, les choses sont simples : une faute, délit ou crime, est commise, la justice passe, la peine se déroule, une fois exécutée la libération est un droit.

Avec la rétention de sûreté, on passe à autre chose. Un criminel pédophile peut être maintenu en détention non pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il pourrait faire, en fonction de sa dangerosité supposée. C’est une sale loi, qui rétablit la lettre de cachet, la détention à vie, qui joue sur les émotions, une fois de plus, au détriment des libertés. La gauche a saisi le Conseil constitutionnel, qui n’a pas osé remettre en cause le principe – j’en suis déçu, je l’accepte – mais a encadré la rétention de sûreté, et empêché, au nom de la non-rétroactivité des lois, qu’elle soit applicable aux condamnés avant la loi. Mais voilà, Sarkozy en difficulté dans l’opinion, engage, comme le dit « le Figaro » un bras de fer avec la gauche sur la sécurité, et demande au Premier président de la Cour de cassation de lui indiquer les moyens de droit pour faire exécuter immédiatement la peine.

Nous en sommes là, avec en prime une sombre polémique entretenue par la si charmante et fine Nadine Morano et, plus surprenant, par Étienne Mougeotte, rangeant les socialistes dans « le camp des assassins » - rien que ça ! Résumons. Au départ, une loi dégueulasse. Puis une décision modérée du Conseil constitutionnel, qui s’impose à tous. Et la machine s’emballe. Le Président de la République, gardien de nos institutions, refuse la décision des sages et s’adresse au premier magistrat de France pour l’aider à la contourner. Tout cela est vertigineux, lamentable, triste. Oui, comme le dit Robert Badinter avec sa force habituelle : « nous vivons une période sombre pour notre justice ». J’ajoute, pour ma part, que c’est une période sombre pour la République et la démocratie en France.

Plus anecdotique est apparemment l’affaire du salon de l’agriculture. Elle est simple. Dans les travées de cette importante manifestation, un citoyen, sans doute pas sympathique, refuse sa main au Président – « me touche pas, tu me salis » - et celui-ci lui rétorque – « alors casse-toi, pauvre con ». Étrange époque, où l’on peut ainsi apostropher le chef de l’État, où le respect des institutions s’est tant égaré.
Mais curieux Président que celui-ci. Le mot de Nicolas Sarkozy est inacceptable, on ne peut pas se contenter de le laisser passer en revenant aux « vrais problèmes », comme le pouvoir d’achat. Évidemment, là est l’essentiel. Mais un Président de la République qui ne se contrôle pas, qui perd ses nerfs, qui « pète les plombs », non ce n’est pas une bricole, c’est un scandale.

Nicolas Sarkozy n’est pas une personne privée, au demeurant grossière – je ne m’exprime jamais ainsi, même bousculé – il est le premier des Français, il devrait avoir, à chaque instant, le sens de la dignité de sa fonction, il n’a pas le droit d’insulter un de ses compatriotes. En agissant ainsi, il continue d’abaisser, de salir même, la tâche essentielle qu’il effectue, et cela, oui, me met en colère. Je n’ai jamais succombé aux explications psychologisantes, je vois que Sarkozy est un homme nerveux, migraineux, agité de tics, je ne le crois pas fou. Mais là, vraiment, il a besoin de se calmer, de se maîtriser. Certes, il est dans la tempête, et alors ? C’est au contraire le moment, pour un homme d’État, de garder la tête froide et d’avoir les idées claires. La semaine dernière, j’avais parlé à son sujet de vulgarité, on m’en avait parfois critiqué. Samedi, il a suscité la honte et la nausée.

C’est cela, je crois que traduisent des sondages sans précédent. Hier, dans le baromètre de l’Ifop – le plus ancien, le plus sûr – Sarkozy s’effondre à 38 % de bonnes opinions, 62 % de mauvaises, -24 – alors que Fillon monte jusqu’à 50 % d’appréciations favorables, 40 % de mauvaises, +17. 41 points d’écarts entre le Président et le Premier ministre, du jamais vu ! On peut toujours chercher des excuses ou des raisons institutionnelles -  elles existent – comme l’inversion des rôles entre un chef de l’État qui s’expose alors qu’il devrait se protéger et un chef de gouvernement plus prudent, qui devient décidément une valeur-refuge.

Non, je crois qu’il y a autre chose, que le lien entre Nicolas Sarkozy et les Français, un lien toujours confus, toujours fait de plus de fascination et d’attente que d’affection, s’est – provisoirement ? – cassé. Les Français, même de droite, je les ai vus ce week-end sur le terrain à Levallois-Perret en faisant campagne contre Patrick Balkany avec Thierry David et Anne-Eugénie Faure, ne sont pas fiers de celui qu’ils ont élu, ils regrettent leur vote, ils ne se reconnaissent pas dans leur Président.

Oui, il y a du mépris pour Sarkozy, et ce n’est pas chercher la considération que de s’inquiéter de cette situation, non pas pour lui mais pour un pays qui,  si rien n’est fait, va devoir vivre quatre ans dans cette atmosphère nauséabonde.

Pierre MOSCOVICI
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