Face à l'inflation des prix alimentaires, "il faut s'attaquer à la question des salaires"

Sur 1055 références (grandes marques, premiers prix ou marques de distributeurs), près de la moitié ont augmenté, dont 200 de plus de 10%. « Les prix à base de lait et de céréales ont été les plus touchés. Laits UHT entre 20% et 37%, yaourts nature entre 17% et 24%. Pâtes jusqu’à 45%. Camemberts jusqu’à 32%. Beurre jusqu’à 26% », note l’enquête de l’INC. Moins de 60 références ont baissé de « quelques pour cent ».
Alors que cette enquête de 60 millions de consommateurs sur la flambée des prix des produits alimentaires en France a provoqué de vives réactions politiques, le gouvernement promettant une "opération coup de poing", Philippe Moati, professeur à l'université Paris-VII et directeur de recherche au Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), revient , dans Le Monde, sur les moyens politiques d'agir sur le pouvoir d'achat des ménages.
J'ai bien peur que ce soit plus compliqué et que tout un système soit responsable. Un système où, d'un côté, la production agroalimentaire est concentrée entre les mains d'un petit nombre de groupes, qui ont restructuré ces dernières années leur portefeuille de marques pour ne conserver que des marques leaders, très demandées, et où, de l'autre côté, la distribution dispose elle aussi de monopoles sur les points de vente. Aux deux extrémités de la chaîne, on est dans une situation d'oligopole et la victime, c'est le consommateur.
Bercy a l'air de vouloir pointer du doigt les enseignes de grande distribution et compte renforcer la concurrence pour qu'elles baissent leurs prix. Est-ce la bonne méthode ?
Le niveau des augmentations de prix est effectivement très surprenant. Depuis que la loi Galland de 1996 a été assouplie en 2004, les distributeurs peuvent redistribuer une partie de la marge arrière au consommateur en baissant les prix de vente. Or, aujourd'hui, on constate que les industriels ont augmenté leurs prix, avec la bonne excuse de la flambée du prix des matières premières.
Quant aux distributeurs, ils n'ont pas jugé bon, pour certains produits, de rétrocéder au consommateur la marge arrière concédée. Ils font donc payer plein pot l'augmentation des prix des industriels, sans doute pour les désigner comme responsables de cette hausse et justifier ainsi une nouvelle révision de la réglementation – les distributeurs demandent en effet la possibilité de négocier directement les tarifs avec les industriels. Cette attitude est suspecte.
La loi Chatel entrera en vigueur le 1er mars. Peut-on en attendre des effets concrets sur les étiquettes ?
Théoriquement, on devrait en attendre une modération de l'inflation, puisque la loi Chatel achève la réforme de la loi Galland. Désormais, ce n'est pas une fraction mais la totalité de la marge arrière que les distributeurs seront capables de redistribuer au consommateur. Mais l'effet de la loi sera sûrement insuffisant pour masquer la dynamique des prix imputée à la hausse des matières premières.
Y a-t-il un sens à agir sur cette flambée des prix à l'échelle de la France, alors que nous sommes face à un phénomène mondial ?
Il ne faut pas se voiler la face. 60 millions de consommateurs a pointé des cas aberrants et il y aura sûrement des abus à sanctionner. Mais cela ne doit pas masquer le problème de fond. Il y a une vraie inflation par les coûts, qui a des causes très exogènes au "Landerneau de la grande consommation française" [allusion à l'enseigne Leclerc, dont le premier magasin s'est ouvert à Landerneau (Finistère), en 1949] et qui se joue sur les marchés mondiaux. Nous sommes face à un phénomène durable et il va falloir s'habituer à vivre avec des matières premières plus chères que dans le passé.
Le gouvernement français ne disposerait donc pas des leviers nécessaires pour inverser cette tendance inflationniste ?
Il faut maintenant s'attaquer au numérateur du pouvoir d'achat, c'est-à-dire aux salaires. Avec le risque d'engendrer une spirale inflationniste puisque si l'on augmente les salaires, les coûts des entreprises vont augmenter, ce qui leur donnera une raison supplémentaire d'augmenter les prix.
On peut comprendre que le gouvernement soit réticent à s'engager dans cette voie, mais il faut donner un signe.