2012, la fenêtre de Dominique STRAUSS-KAHN
Dominique Strauss-Kahn n’est évidemment pas le seul candidat possible pour représenter le Parti socialiste à l’élection présidentielle, tant s’en faut, mais c’est de loin le mieux placé pour l’emporter.
Martine Aubry, première secrétaire désormais pleinement légitime, possède tous les titres pour se mettre sur les rangs. Elle est redevenue populaire, elle incarne mieux que quiconque l’opposition frontale et même brutale à Nicolas Sarkozy. Elle a toute l’envergure intellectuelle nécessaire, un caractère combatif, bien utile en campagne. Elle se situe d’instinct au cœur de la gauche traditionnelle, avec un style et une rhétorique très années 80. Elle a démontré depuis deux ans des habiletés tactiques insoupçonnées. Dans le climat actuel, sa ligne presque syndicaliste lui donnerait une chance sérieuse face à Nicolas Sarkozy.
François Hollande, son ennemi intime, a beaucoup progressé depuis le début de la présidence bonapartiste. Il est de loin, parmi les hiérarques socialistes, celui qui a le plus travaillé le fond, fourni des idées et approfondi des propositions sérieuses. Qu’il s’agisse de fiscalité, des retraites, d’éducation nationale, ses suggestions constituent une alternative crédible. Il est même réconfortant de constater que ce labeur sérieux ne laisse pas les Français indifférents, puisque depuis quelques mois son image et sa popularité ont beaucoup progressé. Tout le monde connaissait son agilité intellectuelle, son éloquence ironique, son goût excessif de la synthèse. On vérifie maintenant qu’il a bien la stature d’un homme de gouvernement. Son humour, si rare dans le monde politique, ne l’empêche pas d’aspirer méthodiquement au pouvoir. En mincissant, il a grandi.
Actuellement dernière du quatuor des présidentiables socialistes - la demi-douzaine d’autres postulants ne pouvant qu’espérer prendre date et semer pour l’avenir -, Ségolène Royal, toujours imprévisible, toujours originale, effectue un retour brillant. Elle a réussi la meilleure émission d’un représentant de la gauche depuis trois ans lors d’un A vous de juger inattendu. Elle s’est relégitimée astucieusement en se déclarant prête à sacrifier ses ambitions personnelles sur l’autel de l’unité, ce qui lui a permis de faire entendre aussitôt sa différence sans dissonance : bien joué. Même si son étoile a pâli, elle allie toujours un charisme baroque et un manichéisme audacieux.
Reste que nul ne possède autant d’atouts que Dominique Strauss-Kahn, sinon pour être candidat, du moins pour devenir Président. La situation actuelle le sert en effet grandement. Une chose est d’ores et déjà malheureusement acquise : la crise économique et sociale mondiale n’aura pas disparu avant l’ouverture de la campagne présidentielle. Le décor sera donc tumultueux, gris foncé et anxiogène. Or, même si François Hollande ne manque pas de compétence, nul à gauche n’approche l’autorité et le renom de Dominique Strauss-Kahn dans ce domaine. Il est à coup sûr, avec Jacques Delors, le plus marquant des ministres des Finances socialistes, toutes républiques confondues. Il a, sur la scène internationale, un prestige spécifique, lié à ses fonctions comme à sa trajectoire.
En ce sens, il est pour la gauche l’homme de la situation, même si cela désespère Olivier Besancenot, exaspère Jean-Luc Mélenchon et irrite Eva Joly lesquels, de toute façon, n’auront au second tour pas d’autre choix que de le suivre : entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy, SUD, les trotskistes, les écologistes et les communistes devront préférer la place des Vosges à Neuilly-sur-Seine. L’union est un cilice.
Ce n’est pas tout. Dominique Strauss-Kahn a bien évidemment vocation à recevoir le renfort des centristes, plus que tout autre candidat socialiste, puisqu’il apparaît comme le plus rassurant au cœur d’une période convulsive et le plus rassembleur au milieu des invectives, des affrontements, des clivages et des détestations qui vont se multiplier dans les dix-neuf mois qui viennent. C’est aussi, cela va de soi, l’un de ses privilèges.
Alors que tous ses rivaux vont devoir plonger, plongent déjà dans le médiocre mélodrame français, traversé de bruits et de fureurs, d’antagonismes fracassants et de polémiques subalternes, DSK tente de remettre de l’ordre dans un monde convulsif et s’entraîne à faire face aux crises. Enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, le système des primaires mis en place par le PS le sert, puisque la logique délétère de la démocratie d’opinion transforme les sondages en préférences pavloviennes. A ce jeu redoutable, Dominique Strauss-Kahn est actuellement le mieux placé. Il le sait. En dix-neuf mois, bien des tendances peuvent certes s’inverser. S’il conserve son avance actuelle, s’il décide d’entrer dans la mêlée, qui à gauche pourrait lui barrer la route ?
Par Alain DUHAMEL
Source Libération.fr