KARADZIC "Qu'il soit jugé, mais aussi son projet"
L'arrestation de Radovan Karadzic a donné de nouveaux espoirs aux associations de défenseurs des victimes de la
guerre en Bosnie-Herzégovine. Certains, comme Alisa Muratcaus, directrice de l'Association pour les survivants des camps (canton de Sarajevo), parle de "moment historique" et d'autres, comme Bakira Hasetic, présidente de l'Association des femmes victimes, de la "fin d'un monstre".
Pour sa part, Fadila Memisevic ne veut pas tomber dans l'euphorie de l'arrestation de Radovan Karadzic, "même s'il s'agit d'un premier signe qui montre que les crimes seront punis". Présidente, en Bosnie, de l'Association pour les peuples menacés, de retour d'une visite au Kurdistan irakien, elle veut aller au-delà. "Nous attendons à présent, insiste-t-elle, un triomphe de la justice… Que soit jugé Karadzic, mais aussi son projet." Ce projet qui, pour elle est "construit sur une pyramide d'ossements" et qui "a malheureusement réussi". Et d'ajouter, même si elle se défend de faire de la politique avec de tels propos : "La Bosnie-Herzégovine est un pays divisé. Je n'aime pas les ghettos. Les accords de Dayton, en décembre 1995, ont consacré la division. Dayton récompense le projet de Karadzic." Fadila Memisevic a en effet commencé, il y a huit ans, un travail de longue haleine. Elle organise, partout en Bosnie, des rencontres au cours desquelles "victimes et bourreaux" s'expriment, face à face. "Il s'agit de se réconcilier. Pour avoir une paix durable, il faut être confronté à son passé." Sur son bureau, une carte postale avec le texte de la chanson Imagine, de John Lennon. "Ça marche, vous savez. Prenez Srebrenica. Les victimes musulmanes s'expriment. Les femmes serbes de la ville de Bratunac, qui ne veulent rien entendre, commencent par pleurer. Elles s'expliquent ensuite franchement. Aujourd'hui, elles travaillent toutes ensemble, dans deux associations, à reconstruire un futur multiethnique." Parfois, il y a des problèmes et les conférences de réconciliation doivent être reportées. Mais, dit Fadila Memisevic, "jamais nos communiqués n'ont été dénoncés… Le plus dur, avec le dialogue, c'est de l'engager." "La liste de Fadila ", titrait le quotidien allemand Die Zeit, en 1994. Une liste de quelque 1 350 noms d'individus suspectés d'avoir commis des crimes de guerre, soigneusement tenue à jour. En 2008, la liste des suspects toujours en liberté en Bosnie compte 10 000 noms."Il n'y a pas de paix sans justice", conclut Mme Memisevic. "Les grands inspirateurs du projet destructeur [la guerre] sont arrêtés les derniers, malheureusement. En Republika Srpska [l'une des deux entités constitutive de la Bosnie-Herzégovine], le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie n'est pas encore respecté, une bonne partie de la population nie encore ce qui s'est passé durant la guerre." Et Munira Subasic, de l'organisation des Mères de Srebrenica, de renchérir : "Justice sera faite seulement quand le général Ratko Mladic sera, lui aussi, arrêté." Munira Subasice a perdu 22 membres de sa famille en juillet 1995.

|
Source : Le Monde