Dominique Strauss-Kahn : "une crise systémique implique une solution globale "

Publié le par SD32

Nous vivons des temps exceptionnels. Exceptionnels par l'évolution observée sur les marchés financiers, une évolution qui a parfois pris l'allure d'un effondrement. Mais exceptionnels aussi parce que les conséquences prévisibles sur l'ensemble de l'économie, à savoir une récession grave, ne se sont pas manifestées ou du moins pas encore.

C'est peut-être cette absence de récession qui conduit un certain nombre de personnes à considérer imprudemment l'éclatement de cette bulle de l'immobilier comme une simple correction, les carences du marché hypothécaire américain comme un incident malheureux, et la faillite d'institutions financières majeures comme des dommages collatéraux.

Il y a six mois, lorsque le Fonds monétaire international (FMI) a évalué à plus de 1 000 milliards de dollars (678,26 milliards d'euros) les pertes du secteur financier et prédit un fort ralentissement de l'économie mondiale, on nous a reproché d'être trop pessimistes.

Aujourd'hui pourtant, alors que la crise financière fait rage et que la majorité des pertes n'a pas encore été réalisée, il devient clair que des mesures au coup par coup comme celles adoptées au cours des douze derniers mois ne peuvent pas suffire. Seule une solution systémique, conçue pour faire face à toutes les retombées immédiates, mais aussi, et surtout, pour traiter l'ensemble des causes profondes, permettra de restaurer un semblant de fonctionnement normal à notre environnement économique, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le monde.

SOLUTIONS ALTERNATIVES

A court terme, une telle approche doit prendre en compte trois éléments : l'approvisionnement en liquidités; le rachat des actifs dévalorisés; l'apport de capitaux aux institutions financières.

Le premier impératif des banques centrales est d'éviter des retraits massifs dans les banques et les institutions financières. Pour cela, il faut rassurer les déposants sur la sécurité de leurs avoirs bancaires et fournir des liquidités aux institutions financières en contrepartie de garanties solides. Cette politique a constitué la première ligne de défense utilisée dès 2007, et les banques centrales ont probablement fait autant qu'il leur était possible de faire.

La deuxième étape doit être de faire disparaître la cause profonde de la crise, c'est-à-dire la présence d'actifs dévalorisés au bilan des institutions financières. L'expérience internationale a montré qu'il était souvent efficace de créer une structure publique pour racheter ces actifs et en assurer la détention jusqu'à leur maturité. La question principale est alors celle du prix d'acquisition de ces actifs. Il doit être suffisamment élevé pour inciter les institutions financières à vendre, mais il doit être assez faible pour que l'Etat ait la possibilité de retrouver sa mise et de maintenir l'équilibre de ses finances sur le long terme.

Il y a toutefois des solutions alternatives potentiellement moins coûteuses que celle d'un rachat pur et simple des créances. C'est ainsi que le FMI a proposé, au cours du premier semestre, une solution basée sur des swaps à long terme de titres hypothécaires contre des obligations gouvernementales. Cette solution a l'avantage d'assainir le bilan des banques à court terme mais leur laisse supporter le risque de long terme plutôt que de le transférer sur le contribuable.

Enfin, une recapitalisation du système financier s'impose, et nécessitera vraisemblablement un soutien public. L'insuffisance des capitaux dans l'ensemble du système financier est au cœur de la crise actuelle. Même si le système financier voit sa taille se réduire et même après avoir résolu le problème des actifs douteux, nombre d'institutions financières resteront confrontées à la faiblesse de leur capital.

Or sans ces capitaux, elles ne peuvent jouer leur rôle, qui est d'alimenter en crédits l'ensemble de l'économie. Il existe toutefois des moyens pour que l'Etat apporte des capitaux aux banques sans recourir à la nationalisation. Ainsi, certains membres du FMI confrontés à des situations similaires par le passé ont équilibré les apports publics par des injections de capitaux privés. Cela permet de laisser le contrôle aux mains du secteur privé, afin d'éviter la nationalisation des pertes.

Les mesures que viennent de décider les Etats-Unis sont les bienvenues, il faut maintenant attendre leur mise en œuvre effective. Pour parer à toute éventualité, les autres pays industrialisés devraient également préparer des plans d'action, notamment en raison de la difficulté à traiter le problème des institutions financières travaillant dans plusieurs pays.

Si de tels plans d'ensemble sont mis en œuvre, je suis convaincu que les systèmes financiers, qui se sont développés à l'excès par rapport à l'économie réelle, peuvent se stabiliser à un niveau plus raisonnable.

CETTE CRISE EST LA CRISE DE LA RÉGLEMENTATION

Mais on ne peut s'arrêter là, il faut aborder de front les difficultés à long terme.

Un aspect évident touche aux conséquences budgétaires. L'effort initial des finances publiques doit être massif, mais cela n'implique pas que, à l'arrivée, le contribuable doive y perdre. L'expérience internationale montre que, en s'y prenant bien, l'Etat peut espérer recouvrer une grande partie de son investissement initial. Mais, si cela n'était pas le cas, des efforts budgétaires importants seront alors nécessaires pour garantir la stabilité à long terme des finances publiques.

Au-delà des finances publiques, la question structurelle la plus fondamentale est celle de la régulation. Pour parler crûment, cette crise est la crise de la réglementation et de son échec à éviter des prises de risque excessives par le système financier, en particulier aux Etats-Unis. Pour s'assurer que cela ne se reproduise pas, le travail de refondation a déjà commencé, et les grands pays industrialisés ont formulé certaines propositions d'amélioration des règles prudentielles, de principes comptables et de pratiques de transparence.

Au-delà, le rôle des agences de notation, sur lesquelles s'appuie le système financier mondial, devra aussi être repensé pour permettre une plus grande surveillance publique. Mais, dans la mondialisation, il est clair que tous ces efforts n'auront de sens que s'ils sont mis en œuvre par tous.

Il faut enfin se demander quelles seront les conséquences de cette crise financière sur le reste du monde. Les économies européennes subissent déjà un ralentissement prononcé, et tout donne à penser, en raison des turbulences actuelles, que ce phénomène se prolongera jusqu'en 2009. Les économies émergentes ont jusqu'à présent bien encaissé le choc, même si certains prédisent un contrecoup brutal dans ces économies à forte croissance, en raison à la fois du risque d'assèchement des flux de capitaux dont elles ont bénéficié jusqu'à maintenant et de la stagnation, voire d'une baisse possible, du cours des matières premières qu'elles exportent.

Il faut néanmoins se garder de considérer les marchés émergents comme un bloc homogène. Si certains peuvent souffrir, d'autres bénéficieront de la baisse des cours des matières premières ou de l'accalmie de la demande, d'autres encore ont accumulé des réserves importantes, ont réduit leur endettement et mis en place une politique monétaire équilibrée.

Vigilance, objectivité et collaboration –à l'échelle mondiale – seront indispensables pour faire face aux problèmes qui sont devant nous. Je souhaite qu'à l'occasion de l'assemblée du FMI, dans trois semaines, où se rencontreront à Washington les ministres des finances et les gouverneurs de banques centrales, ce dialogue s'établisse pour que chacun puisse tirer les leçons des récents événements sur la régulation du système financier mondial.

 

Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du Fonds monétaire international (FMI)

Tribune parue dans Le Monde.fr

Publié dans Politique

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mieux vaut tard que jamais.
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