Il faut sauver l'économie réelle, par Juan Somavia

Publié le par SD32

La crise actuelle a durement frappé le secteur financier. Qu'en est-il des retombées pour les personnes et l'économie réelle ? Nous méconnaissons la gravité de cette crise et sa durée. Mais nous savons que si nous ne parvenons pas à agir de manière décisive, les conséquences pour des millions de personnes et leurs conditions de vie et de travail seront profondes.

Dans l'urgence, des propositions ont été faites pour une meilleure régulation financière et un mécanisme de surveillance global plus efficace. Mais nous devons nous projeter au-delà des marchés financiers. La crise ne sévit pas seulement à Wall Street mais dans les rues du monde entier.


Le monde a besoin d'un plan de sauvetage économique pour toutes celles et ceux qui travaillent, investissent et assurent le fonctionnement de l'économie réelle. Avec des règles et des politiques favorables au travail décent et aux entreprises productives. Avec le rétablissement du lien entre productivité et salaires, entre croissance et développement. Les gens doivent retrouver confiance en une économie qui fonctionne aussi pour eux. Ce message est urgent.

L'Organisation internationale du travail a réalisé une première estimation de l'impact de la crise sur la vie quotidienne des gens à tous les niveaux de la société. Le nombre global de chômeurs pourrait augmenter de 20 millions d'ici à la fin 2009 - dépassant le seuil des 200 millions de chômeurs dans le monde pour la première fois dans l'Histoire. Les personnes qui travaillent dans la construction, l'automobile, le tourisme, la finance, les services et l'immobilier seront les premières touchées.

Qui plus est, le nombre de personnes au travail et vivant avec moins d'un dollar par jour pourrait augmenter de 40 millions et celui des personnes vivant avec 2 dollars par jour de plus de 100 millions. Aussi sombres que soient ces prévisions, il est à craindre qu'il s'agisse d'une sous-estimation si les effets du ralentissement économique et de la récession qui se profilent ne sont rapidement jugulés.

Nous devons concentrer notre action sur les personnes, les entreprises, l'économie réelle. Quatre axes doivent être retenus. Primo, restaurer la circulation du crédit. Des mesures d'urgence ont déjà été prises ou sont en préparation. Deuxio, soutenir les plus vulnérables. Une série de mesures sont à portée de main, de la protection des retraites aux indemnités chômage, en passant par l'aide aux PME, qui demeurent le premier gisement d'emplois. Tertio, des politiques publiques efficaces et une régulation intelligente qui récompensent le travail et l'entreprise. Nous subissons les spasmes d'un système financier qui a perdu le cap sur le plan éthique. Nous devons revenir à la fonction première et légitime de la finance, qui est de promouvoir l'économie réelle, de prêter aux entrepreneurs qui investissent, innovent, créent des emplois, produisent. Revenons au rôle premier des marchés financiers : lubrifier les rouages de l'économie réelle.

Enfin, et c'est crucial, nous devons relever les défis fondamentaux sous-jacents. Bien avant la crise financière actuelle, nous étions déjà en crise. Une crise marquée par une pauvreté massive à l'échelle mondiale, des inégalités sociales grandissantes, une informalité et un travail précaire en plein essor. Une crise de la mondialisation dégageant des bénéfices considérables, mais qui, pour beaucoup, est déséquilibrée, injuste et non durable.

Il est urgent de retrouver un équilibre. Celui-ci passe par le soutien aux personnes et à la production. Il faut sauver l'économie réelle. Souvenons-nous que les gens jugent leur vie et leur avenir en fonction de leur parcours au travail. Plus que jamais, nous devons veiller à ce que les politiques publiques et les soutiens nécessaires soient à même de répondre à la principale préoccupation des gens : une chance équitable d'accéder à un travail décent.

Pour maintenir ouvertes les économies et les sociétés, les organisations internationales concernées doivent se rassembler autour d'un cadre multilatéral pour une mondialisation équitable et durable. Les négociations commerciales sont en panne ; les marchés financiers vacillent et sont au bord du gouffre ; le changement climatique est en marche ; toute refondation devra trouver une méthode pour intégrer les politiques financière et économique, sociale et environnementale au sein d'une approche globale. La crise des subprimes ne se résoudra pas par des politiques au rabais. Le temps est à l'audace, la pensée et l'action innovantes, pour répondre aux immenses défis qui sont devant nous.

 

Par Juan Somavia  directeur général du Bureau international du travail

Source Le Monde

Publié dans Politique

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