Que faire contre les paradis fiscaux ?

Après Eric Worth, le ministre du Budget, en avril devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, et le président Sarkozy, lors de son récent discours de Toulon, le gouvernement français semble avoir retenu comme l'une de ses priorités la lutte contre les paradis fiscaux. Ce genre de déclarations ne reçoit généralement qu'un accueil sceptique : on soupçonne souvent les gouvernements incapables de passer aux actes, compte tenu de la complexité et de l'opacité des centres financiers offshore. C'est une erreur : on peut et doit s'attaquer aux paradis fiscaux.
Les grands Etats savent que les dépenses publiques ne pourront que progresser demain : pour la santé et les retraites de leurs populations vieillissantes, pour l'éducation, clé de l'insertion dans la mondialisation, pour lutter contre le changement climatiques, les pandémies internationales et pour réguler la finance. Ils ne peuvent plus se permettre de voir leurs recettes fiscales (10 % pour la France !) fuir dans des territoires sans contrôle qui, de plus, peuvent remettre en cause leur volonté de réguler la finance internationale. Le sénateur Barack Obama a déposé l'an dernier un projet de loi anti-paradis fiscaux d'une grande envergure. S'il est élu, il y a de grandes chances qu'il agisse. Une action coordonnée des Etats-Unis et de l'Europe ouvrirait des temps très durs pour les paradis fiscaux.
Alors comment lutter contre les paradis fiscaux ? Cinq pistes sont envisageables :
Casser la confiance des investisseurs
La crise financière actuelle nous rappelle combien le monde de la finance vit sur la confiance. Les déclarations politiques comme celle du Premier ministre contribuent à introduire de l'incertitude dans le monde des paradis fiscaux. En matière de régulation financière, la communication politique est donc essentielle.
Retirer les garanties
Dans la même ligne, les gouvernements qui ont apporté leur garantie aux dépôts des particuliers auprès des banques pourraient préciser que la garantie ne concerne pas les dépôts réalisés dans les filiales situées dans les paradis fiscaux. L'Île de Man, Jersey, Guernesey, etc. n'ont pas les reins financiers assez solides pour apporter ce genre de garanties.
Partager l'information
Depuis 2005, une directive européenne oblige les pays de l'Union à échanger l'information sur les placements des non-résidents ou bien, pour les pays qui souhaitent conserver leur secret bancaire, à une retenue à la source sur les intérêts des placements. Il faut aller plus loin dans ce sens : supprimer la retenue à la source et passer à l'échange d'information obligatoire. Surtout, il faut que cette obligation touche non pas uniquement les individus mais également toutes les personnes juridiques (fondations, trusts, etc.) ; il faut aussi qu'elle couvre tous les produits financiers complexes et autres innovations financières destinées à contourner les règles fiscales.
Une directive sur le « prix de transfert »
Il faut relancer la directive européenne sur les « prix de transfert », c'est-à-dire les prix auxquels les multinationales s'échangent des biens et services, souvent utilisés pour faire apparaître les profits sur les territoires les moins taxés. Celle-ci devait voir le jour cette année, mais a été repoussée après le "non" irlandais au référendum européen. Elle consiste à établir une base fiscale consolidée au niveau européen. Les profits des firmes seraient taxés en une seule fois, et le produit de la taxe redistribué entre les différents pays d'implantation selon des critères à déterminer (quantité de capital investi, chiffre d'affaires...), comme c'est le cas aux Etats-Unis ou au Canada.
Réformer les normes comptables
La crise financière ayant ouvert le débat sur le changement des normes comptables internationales ; il faut en profiter pour exiger le reporting pays par pays des multinationales : chaque firme devra rendre transparent dans quels pays elle est présente, ce qu'elle y fait, le montant de ses actifs et le nombre de personnes employées, comment s'établissent les relations intra-groupe, ses profits avant impôts, etc. Le Parlement européen a déjà demandé à la Commission d'agir en ce sens. Et les investisseurs le souhaitent, George Soros en tête, plutôt que d'être surpris par une soudaine mauvaise publicité liée à l'utilisation des paradis fiscaux pour les entreprises dans lesquelles ils investissent.
Source Alternatives Economiques