DOSSIER - Climat : après Poznań, tout reste à faire

Le Sommet européen a confirmé l’engagement de l’Europe dans la lutte contre le changement climatique, avec l’adoption du calendrier des négociations, qui s’étendra après la conférence de Copenhague prévue fin 2009. Mais les résultats sont loin d’être exemplaires. En particulier, la multiplication des dérogations accordées à des secteurs industriels ne constitue pas une réponse à la hauteur de l’aggravation des risques climatiques, et risque de retarder la formation d’un marché du carbone qui fasse économiquement et écologiquement sens.
La modestie des résultats de Poznań montre bien combien l’après-Kyoto sera difficile à mettre sur pied, et a donné des signes négatifs aux pays du sud en n’élargissant pas suffisamment l’assiette du financement de l’aide aux P.V.D. par le fonds d’adaptation, prévu pour soutenir leurs efforts contre les effets du changement climatique. L’effort de Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation (REDD) n’a pas non plus connu d’avancée, malgré les espoirs que l’on mettait dans les résultats des travaux approfondis qui avaient précédés la conférence.
En fait, la crise financière a dominé l’esprit de la négociation, car elle reste la priorité des pays du Nord, tandis que les pays du Sud se sont raidis après la démonstration faite par les pays riches de leur promptitude à trouver les fonds pour leur propre survie tandis que l’argent manque toujours pour la coopération et le développement. De plus, si l’équipe choisie par Barack Obama pour l’accompagner sur l’environnement laisse penser qu’il tiendra son engagement, l’approche qu’il choisira (volume des permis, négociations dans le temps, exigences envers les P.V.F) sera décisive pour 2012.
1 - ELEMENTS DE CONTEXTE
Le contexte de la négociation internationale sur la lutte contre le changement climatique a profondément évolué au cours des trois dernières années :
- sur le plan scientifique d’abord avec la parution en 2007 du 4è rapport du groupe international d’experts sur le climat. Ce rapport a levé les derniers doutes sur la réalité et les causes du réchauffement climatique. Il met en évidence à la fois l’impact majeur du réchauffement climatique en l’absence d’action, et la possibilité d’une stratégie efficace de lutte et d’adaptation avec les connaissances et technologies existantes.
- sur le plan économique avec la parution du rapport Stern en 2008. Ce rapport de l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale souligne qu’une action internationale immédiate pour stabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) aurait un coût très largement inférieur aux conséquences économiques majeures d’un réchauffement climatique non maîtrisé, démontrant ainsi qu’en matière de climat l’inaction n’est pas une option.
- sur le plan géopolitique avec la mise en œuvre du protocole de Kyoto (objectif contraignant de réduction de 5% des émissions de GES par rapport à 1990 en moyenne annuelle sur la période 2008-2012), sa ratification par l’Australie et l’élection de Barack Obama.
- sur le plan politique enfin, avec un niveau de connaissances et une sensibilité accrus des opinions publiques à ce sujet.
Une course contre la montre est cependant engagée pour élaborer un accord international devant s’appliquer après 2012. Le protocole de Kyoto ne prévoit en effet des objectifs et outils de réduction des émissions de GES que pour la période d’engagement 2008-2012. Au-delà, faute d’accord politique, ce serait l’ensemble de l’architecture internationale de lutte contre le changement climatique (objectifs contraignants, marché du carbone, mécanismes de flexibilité) qui s’effondrerait.
Compte tenu d’un délai de 2 ans environ, difficilement compressible, pour qu’un traité international soit ratifié par l’ensemble des Etats, il est crucial qu’un accord politique soit trouvé sur la future architecture internationale lors de la conférence des parties de Copenhague en 2009.
La précédente conférence des parties à Bali en 2007 a été un quasi échec. Elle n’a pas permis d’enregistrer de progrès significatifs vers des engagements post 2012 . Elle a cependant permis d’adopter une feuille de route de la négociation pour y parvenir (calendrier et thèmes à aborder). Dans ce contexte, la conférence des parties de Poznań constitue une étape déterminante pour donner l’impulsion politique indispensable à l’élaboration courant 2009 d’un accord climatique ambitieux.
En l’absence pour l’instant encore des Etats Unis, l’Europe a une responsabilité majeure dans cette négociation. Son exemplarité en matière de lutte contre le changement climatique et son unanimité autour d’objectifs européens et internationaux ambitieux en matière de réduction des émissions de GES sont en effet des éléments indispensables pour faire progresser les discussions internationales. L’adoption par l’Europe d’un « paquet énergie-climat » ambitieux s’inscrit dans cette perspective. Le but de ce programme de lutte contre le réchauffement climatique, proposé par la Commission européenne, est d’atteindre d'ici à 2020 20 % de réduction des émissions de GES, 20 % d'énergies renouvelables et 20 % d'économies d'énergie supplémentaires. Les négociations ont longtemps achoppé sur la clé de répartition de l’effort de réduction des émissions et sur la mise aux enchères des quotas de CO2 alloués.
Il faut saluer dans ce contexte l’accord obtenu par la Présidence française qui, malgré les dissensions européennes, sauvegarde la capacité de l’Union à rester l’un des moteurs de la négociation climatique internationale. Cet accord a cependant un coût très élevé en termes de concessions accordées aux Etats membres et secteurs industriels les plus polluants. Alors que les ambitions européennes en matière de réduction des émissions des véhicules neufs avaient déjà été revues à la baisse, et bien loin de l’application du principe pollueur-payeur et de la proposition initiale de la Commission, ce sont en effet de nombreux secteurs de l’industrie manufacturière et énergétique qui continueront à bénéficier de quotas d’émission de C02 gratuits.
La mise aux enchères de ces droits à polluer aurait dû permettre de financer la recherche-développement de technologies propres et l’adaptation au changement climatique des pays du Sud. La mise en œuvre de ses dérogations sera en outre particulièrement complexe pour les entreprises tant sur le plan technique que juridique.
2 - LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA NEGOCIATION
Bien qu’elle n’ait permis d’enregistrer aucun progrès significatif, la précédente Conférence sur le climat à Bali en 2007 a au moins accouché d’une feuille de route de la négociation à conduire d’ici 2009. Cette feuille de route est le Plan d’action de Bali, et la route en question ressemble plus à un chemin difficile et escarpé qu’à un boulevard… Le plan d’action aborde en effet tous les points clés de la future architecture internationale de lutte contre le changement climatique sans vision commune des objectifs de long terme, sans axes directeurs ni liens entre les différents éléments à négocier et sans garantie que cet ensemble de principes et d’actions soit à la hauteur de l’enjeu et de son urgence.
2.1 - LE CADRE JURIDIQUE
La question du cadre juridique de la négociation et du futur accord climatique reste ouverte. Le processus de négociation est actuellement conduit par un organe subsidiaire de la Convention des Nations unies sur le changement climatique : le groupe de travail ad hoc sur l’action de coopération à long terme (acronyme anglais : AWG-LCA). Mais parallèlement, dans le cadre du Protocole de Kyoto, le groupe de travail ad hoc sur les engagements chiffrés des pays de l’annexe I continuera son travail en 2009 et les travaux pour la révision du protocole ont eu lieu à Poznań, qui était à la fois la 104è conférence des parties de la Convention et la 4è rencontre des parties du Protocole. L’enjeu est moins formel qu’il n’y parait : les Etats-Unis n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto et sont donc simple observateur dans les instances correspondantes. La Conférence est donc le seul forum de discussion politique rassemblant l’ensemble des acteurs. Mais pour autant, les mécanismes de flexibilité (mécanisme de développement propre, marché du carbone), qui ont été une des innovations majeures de la négociation climatique et continuent de contribuer à la mise en œuvre des objectifs de réduction des émissions, n’ont d’existence légale que dans le cadre du Protocole de Kyoto. L’accord climat qui sera être négocié en 2009 devra donc tâcher de faire converger ces deux cadres juridiques afin de préserver les acquis du Protocole tout en étendant le nombre de pays prenant des engagements contraignants.
2.2 - OBJECTIFS DE MOYEN ET LONG TERME
Le préambule du Plan d’action de Bali ne mentionne pas l’objectif de réduction de 50% des émissions globales de GES en 2050 par rapport au niveau de 1990, pourtant clairement fixé par les experts du GIEC dans les conclusions de leur 4è rapport pour éviter toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il ne reprend pas non plus l’objectif intermédiaire d’une réduction des émissions de 25 à 40% d’ici 2020, lui aussi proposé par le GIEC. Derrière l’appel à la construction d’une « vision partagée de l’action de coopération à long terme » se pose donc la question cruciale de l’affirmation d’objectifs internationaux chiffrés à moyen et long terme qui permettent de guider la négociation sur les outils et étapes intermédiaires de mise en œuvre du nouvel accord sur le climat.
Plusieurs éléments nouveaux permettent aujourd’hui d’être raisonnablement optimiste sur ce point. D’une part, l’Europe a déjà clairement pris position pour un objectif chiffré et ambitieux à long terme : limiter l’augmentation de la température moyenne globale à 2° au dessus de sa valeur préindustrielle ; et elle s’est dotée avec le paquet énergie climat d’un objectif intermédiaire cohérent avec cet objectif (20% de réduction des émissions de GES à l’horizon 2020, et jusqu’à 30% en cas d’accord international). D’autre part, le président Obama a confirmé le 18 novembre ses engagements de campagne en matière de lutte contre le changement climatique : une réduction des émissions de 80% à l’horizon 2050 et un objectif intermédiaire de retour des émissions à leur niveau de 1990 d’ici 2020. Les Etats-Unis sont de retour dans la négociation climatique internationale et se sont déclarés « prêts à des obligations internationales contraignantes de réduction des émissions dans le cadre d’un accord global par lequel toutes les grandes économies prendraient des engagements similaires ».
Leur engagement reste cependant conditionné à des engagements similaires des principales économies développées et émergentes, et notamment de la Chine. Or, et c’est sans doute l’une des avancées les plus prometteuses de Poznań, la Chine a adopté une attitude beaucoup plus collaborative et volontaire en mettant en avant les efforts accomplis dans le cadre de son plan climat 2005-2010 et affirmant sa volonté de prendre sa part dans la lutte contre le changement climatique.
2.3 - NATURE DES MESURES D’ATTENUATION
Ce chapitre de la négociation est consacré à toutes les actions de réduction des émissions de GES qui soient quantifiables, vérifiables et pouvant être rapportées. Par rapport au Protocole de Kyoto, un élargissement important des modalités concrètes d’engagement des Etats est donc envisagé, ce qui ne va pas sans soulever des difficultés comme la question de la comparabilité des efforts ou des modalités de prise en compte de la déforestation et de la dégradation des forêts. L’enjeu est donc de préserver voire d’étendre la souplesse et l’efficacité offertes par des mécanismes du type mécanisme de flexibilité du Protocole de Kyoto tout en veillant à la cohérence de l’ensemble.
Un point en particulier a largement occupé les discussions de Poznań sans avancées notables : il s’agit de la Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation (REDD). Si la pertinence d’inclure la question de la préservation et de la gestion des forêts dans le futur accord climatique ne fait guère de doute et que les déclarations d’intention se sont multipliées en ce sens depuis Bali, la Conférence de Poznań n’a pas permis de dégager de consensus sur les modalités pratiques et le financement du dispositif REDD. Les conclusions sur le volet social du dispositif, notamment la question du droit des populations autochtones, est même en recul par rapport à Bali.
2.4 - L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Longtemps négligée dans la négociation climatique internationale, la question de la coopération internationale pour élaborer et mettre en œuvre des mesures d’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique est revenue sur le devant de la scène depuis Bali et constitue une demande pressante des pays du Sud. Ces derniers auront en effet à faire face aux impacts les plus lourds du réchauffement (désertification, submersion des terres, pénuries en au, etc.) sans en avoir les capacités techniques et financières.
Bali et Poznań ont permis des avancées intéressantes sur ce point. Les négociations ont en effet permis de rendre enfin opérationnel le Fonds d’adaptation en le dotant d’une structure de gouvernance dans laquelle les pays en développement sont majoritaires et auront un accès direct au fonds. Ce fonds disposera d’un budget de 215 M€ d’ici 2012 grâce à un prélèvement de 2% sur les crédits produits par le mécanisme de développement propre.
2.5 - LE TRANSFERT DE TECHNOLOGIES ET LE FINANCEMENT
Ce chapitre des négociations s’attache aux transferts financiers et aux transferts de technologies vers les pays en développement pour leur permettre de réduire leurs émissions et de s’adapter au réchauffement climatique. La question du financement de la lutte contre le réchauffement et de la nécessaire adaptation à ce dernier, évaluée à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, domine chaque jour un peu plus les négociations : « Soyons honnêtes : trouver un accord à Copenhague reviendra, dans une large mesure, à entraîner les pays en développement et c'est largement lié à la capacité de mobilier des ressources (financières) » a ainsi déclaré Yvo de Boer, le plus haut responsable du climat au sein des Nations unies.
Les discussions ont achoppé sur ce point à Poznań. Les pays du Sud réclamaient en effet que le prélèvement de 2% sur le MDP qui finance le Fonds d’adaptation soit étendu à l’ensemble du marché du carbone, ce qui signifierait un changement d'échelle majeur de quelques centaines de millions d'euros à plusieurs dizaines de milliards. La négociation s’est achevée tard dans la nuit du dernier jour sur un constat de désaccord, l'UE refusant de céder sur une question essentielle qui a vocation être réglée dans le cadre du traité global qui sera négocié à Copenhague. Cet échec est un signal politique particulièrement négatif adressé aux pays du Sud, au moment où l’un des enjeux de la négociation climatique internationale est de les convaincre de s’engager à réduire leurs émissions.
La crise qui frappe de plein fouet l'économie mondiale a bien évidemment pesé sur les discussions de Poznań et va compliquer encore l'équation. Il faut cependant garder à l’esprit que le Protocole de Kyoto avait été négocié en 1997 dans un contexte défavorable, celui de la crise financière asiatique. L’enjeu en 2009 sera donc de faire de la crise une opportunité de réorienter notre modèle de développement et de dépasser le stade de l’incantation en matière de « croissance verte ».
3 - CONCLUSION
L’adoption par l’Union Européenne du paquet climat énergie, même au prix de très fortes concessions, démontre la volonté politique de l’Union en matière de lutte contre le changement climatique dans le contexte difficile de la crise économique. En revanche, la Conférence de Poznań n’a pas permis d’enregistrer les petites avancées que l’on pouvait attendre d’elle. Le refus des pays du Nord de mobiliser des financements plus conséquents pour aider les pays du Sud en matière d’adaptation au changement climatique est un signal politique d’autant plus négatif que les économies développées ont démontré leurs capacités à trouver des moyens financiers importants pour répondre à la crise financière et économique.
La conférence de Poznań n’a finalement fait que jeter les bases d’un calendrier de négociation pour aboutir à un accord international sur le climat lors de la conférence de Copenhague qui se tiendra en décembre 2009. Un point d’étape majeur sera le sommet des chefs d'Etat sur le climat que l’ONU pourrait convoquer en septembre. Le programme de travail s’annonce particulièrement chargé, tant sur le plan technique que politique, et la convergence sur plusieurs enjeux cruciaux sera difficile à obtenir. La tâche à accomplir est à l’ampleur de la crise climatique : globale, complexe et critique.
Source Terra Nova