La fin du " capitalisme intouchable "

Publié le par SD32

Daniel Cohen, professeur d'économie à l'Ecole normale supérieure et directeur du CEPremap*, a livré au JDD sa "feuille de route économique" pour 2009.

Selon lui, si le capitalisme va inévitablement évoluer, il "ne va pas devenir plus moral tout seul." En matière de nouvelles normes financière, "c'est vers les Etats-Unis et Barack Obama que le monde portera le regard", estime encore l'économiste.

Devons-nous nous attendre, en 2009, à une nouvelle année noire?
La crise commence vraiment maintenant et elle va durer au moins un an. La reprise est possible en 2010. Mais je ne le crois qu'à moitié. Au fond de leur âme, chez les économistes, c'est le doute qui prévaut. Nous sommes confrontés à quelque chose de totalement inédit. Nous vivons la même séquence que dans les années 1930: crise économique, perte de confiance, faillites bancaires, resserrement du crédit... La seule différence, mais elle est de taille, tient aux réponses apportées.

Avons-nous pris les bonnes mesures de relance?
En France, je doute que les sommes mobilisées suffisent. Sur les 26 milliards mis sur la table, 11 milliards correspondent à une restitution de trésorerie aux entreprises par le Trésor public. C'est très utile, mais ça ne crée pas de débouchés additionnels. Deuxième risque du plan français: les programmes de grands travaux qui étaient prévus pour 2010 ont été avancés d'un an. C'est une bonne idée mais il se peut que l'on déshabille 2010 pour habiller 2009. On peut enfin regretter l'absence d'un plan concerté avec l'Allemagne. Le risque majeur est l'emploi. Après les mesures de chômage technique, on pourrait basculer vers le développement d'un chômage important. Tout dépendra du moral des entreprises. En Europe, toutefois, les craintes sur l'emploi sont en partie lissées par le vieillissement de la population qui atténue l'effet des licenciements sur le taux de chômage.

Les différents plans de croissance risquent-ils de se neutraliser?
Non. Seule la dette publique trouve aujourd'hui grâce aux yeux des investisseurs. Le problème se posera sans doute plus tard. Ces plans financés avec de l'argent très bon marché deviendront plus coûteux dans un second temps, si la reprise est au rendez-vous. Mais c'est tout le mal qu'on peut leur souhaiter. En revanche, pour les entreprises, trouver de l'argent est devenu un vrai casse-tête. Cette situation va avoir pour effet de faire passer au second plan les investissements, sauf lorsqu'ils sont réducteurs de coûts, comme certains services informatiques.

La reprise partira-t-elle de là où elle est venue, la finance, ou d'ailleurs?
Aujourd'hui la crise financière et la récession se développent de concert. Nous sommes dans un trauma global. Donc, c'est tout cet ensemble qu'il faut stimuler. D'ailleurs, si nous regardons les plans d'aide américain, celui de Bush-Paulson à 700 milliards de dollars et celui à venir d'Obama, que l'on situe autour de 1 000 milliards, l'un et l'autre visent à colmater des brèches différentes. Sauvetage de l'industrie financière pour le premier et injection budgétaire pour créer du pouvoir d'achat pour le second.

Quels seront les pays locomotive en 2009?
C'est vers les Etats-Unis et Barack Obama que le monde portera le regard. Sans la faillite de Lehman, il n'aurait peut-être pas gagné les élections. Mais il a été élu parce que l'Amérique attend aussi une réponse morale et veut tourner la page. Il rassemble sur son nom les espérances de Roosevelt et Kennedy lorsqu'ils ont pris le pouvoir. S'il parvient à convaincre, le mouvement partira des Etats-Unis. Ce sont eux qui produisent les normes financières de la planète et fixent les règles de gouvernance du capitalisme. En revanche, la Chine aura du mal. Elle demeure une formidable machine à produire des exportations, le principal fer de lance de sa croissance.

L'année 2008 marque-t-elle un tournant dans l'histoire économique, la fin du capitalisme?
C'est la fin du capitalisme intouchable, des stock-options et d'inégalités réputées justes au nom du marché mondial. Pour autant, le capitalisme ne va pas devenir plus moral tout seul. En soixante ans, nous sommes passés d'un système relativement harmonieux dans les années 1950-1960, où les entreprises étaient comme de grandes familles, à un schéma, celui des vingt dernières années, d'entreprises qui rêvent d'être sans usines et ouvriers et qui tentent de répliquer le modèle des salles de marché. Je ne pense pas que ce système soit remis en cause. Le vrai enjeu des prochaines années est de lui ajouter des règles qui le rendent vivable, qui débouchent sur un nouveau contrat social.

La France est-elle bien armée pour tendre vers cet équilibre?
Ce pays ne parvient pas à se penser. Lorsqu'au début du XXe siècle les autres pays européens débattaient déjà de la question sociale, en France on s'écharpait sur l'affaire Dreyfus et la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Nous sommes restés à cheval entre deux modèles, allemand et italien (pour reprendre une distinction de Bruno Amable). Le système allemand fonctionne en segmentant la société par statuts (fonctionnaires, cadres, employés de grands groupes, de PME...) et l'italien repose sur des solidarités plus informelles comme la famille. Nous ne parvenons pas à en sortir pour nous rapprocher d'un modèle de protection plus universel, comme dans les pays scandinaves. Le RSA, par exemple, pourrait être une bonne réponse, à condition qu'en même temps, on élargisse le RMI aux 20-25 ans pour aider les jeunes des banlieues qui sont au chômage et n'ont ni statut ni famille pour les soutenir.

Source JDD

*Le Cepremap est le Centre pour la recherche économique et ses applications.

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