Notre jeunesse se désespère si elle perd confiance en l'avenir

Alors que les deux principales organisations lycéennes, l'UNL et la FIDL appellent aujourd'hui à une journée de mobilisation, en prélude à un mois où syndicats enseignants et lycéens entendent hausser le ton pour faire reculer le ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, sur les suppressions de postes, après le report en décembre de la réforme du lycée, il m'apparaît nécessaire de revenir sur ce projet de réforme et d'ouvrir quelques pistes de réflexion.
1° Etat des lieux
Officiellement, Xavier Darcos, le ministre de l’Education nationale, avait trois objectifs principaux en tête , en mettant en œuvre cette réforme du lycée :
- mieux préparer les lycéens aux études supérieures,
- assurer la réussite scolaire de tous les élèves
- permettre à chacun de mieux choisir son orientation.
1 - Mieux préparer les lycéens aux études supérieures, notamment à la fac
Constat : aujourd’hui, moins d’un étudiant sur deux inscrit en licence parvient en 3e année sans redoubler et plus de 20 % d’entre eux interrompent leur cursus au cours des deux premières années.
Pour le ministre, le "mal" prend racine au lycée, où les élèves ne sont pas assez préparés à travailler de façon autonome.
2 - Assurer la réussite scolaire de tous les élèves
Près de 15 % des élèves redoublent la seconde. Beaucoup d’autres abandonnent en cours de route. "Entre 16 et 18 ans, on perd 150.000 élèves par an. Il faut une seconde stimulante, moins oppressante", clame Xavier Darcos. Le ministre souhaite notamment apporter un coup de pouce aux élèves les plus défavorisés.
3 - Permettre à chaque élève de mieux choisir son orientation
Un lycée aux filières moins cloisonnées, aux passerelles nombreuses qui permette aux lycéens de construire leur parcours en fonction de l’évolution de leurs goûts : tel est le lycée rêvé de Xavier Darcos.
Le tout dans le but de réduire les erreurs d’orientation donc l’échec dans le supérieur (retour à l’objectif 1)…
Cette réforme du lycée qui s’annonçait, dès le départ, comme un sujet largement consensuel, a vite suscité les tensions. Ainsi, dès l’élaboration par le Ministère des premières dispositions, il n’a plus été question de souplesse dans les parcours d’études, dans l’organisation de l’année scolaire, dans la répartition des activités des élèves, dans l’architecture de la classe de seconde, pour favoriser des choix d’orientation plus lucides , pour éviter les redoublements.
Ni même d’ailleurs de suivi rigoureux des élèves ou de la mise en place de nouvelles modalités d’évaluation, y compris en ce qui concerne le baccalauréat. Pas plus d’ailleurs d’ une mise à jour des programmes, d’une clarification des compétences attendues des élèves impliquant une évolution des pratiques et une redéfinition du métier et du service enseignant .
NON, à y regarder de plus prêt , on s’est vite rendu compte que derrière les bons mots et les idées soi-disantes généreuses, le Ministre avait un seul objectif : faire des économies…
Avec son projet de réforme du lycée, mené dans la précipitation, le Ministre poursuit cette logique implacable engagée avec la disparition programmée des maternelles, poursuivie avec la suppression de 3000 postes RASED (réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) prévue au budget 2009, et peaufinée avec la remise en cause des moyens des IUT dans le cadre de la loi LRU ( loi sur l’autonomie des universités ).
Très vite, on s’est aperçu que les premières mesures ainsi mises en place pour atteindre les objectifs assignés par le Ministre à sa réforme, permettraient, en réalité, de grappiller des crédits sur les postes (enseignants ou autres) économisés. Et cela tombe super bien ! A la rentrée 2008, 11.200 suppressions ont été comptabilisées. A la rentrée 2009, on en attend 13.500 et au moins autant chaque année jusqu'en 2012.
Cette réforme du lycée, qui prévoit, à l’origine, une division de l'année en deux semestres (dès 2009 pour la classe de seconde) et un bac unique avec des options facultatives ; qui sous tend la fusion des trois sections S, L et ES, au profit de toute un série d'options ; qui crée des inégalités entre établissements qui n'auront pas tous les moyens de dispenser toutes les options ; qui supprime l’enseignement de la physique et chimie dans un premier temps puis propose en option celui de l’histoire et de la géographie a potentialisé très rapidement les vives inquiétudes des lycéens, des enseignants et d'un nombre grandissant de familles.
Dès le début du mois de décembre 2008, plusieurs milliers de lycéens manifestent spontanément, dans toute la France, contre ce projet de réforme : un mouvement qui s’étend très rapidement : rassemblements, blocages d’établissements, et puis malheureusement échauffourées avec des forces de l’ordre. Au même moment des affrontements violents opposent, en Grèce , les jeunes et la police : expression du malaise d'une jeunesse qui voit en noir son avenir.
Très vite, la crainte d'une propagation existe, en France, comme ailleurs en Europe. Alors que Xavier Darcos, le ministre de l’Education nationale, devait détailler mardi 16 décembre 2008 la nouvelle seconde, prévue pour la rentrée 2009, un communiqué du ministère a brusquement annoncé, la veille, le report de sa réforme, au motif de " laisser plus de temps pour la mise en œuvre de la réforme de la classe de seconde initialement prévue pour la rentrée 2009 dans le cadre de la réforme du lycée".
Xavier Darcos propose même " de prolonger les discussions sur le lycée", dès début janvier 2009 Malgré cette annonce l’UNL (Union nationale lycéenne) et la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne) ont annoncé la poursuite de la mobilisation et le maintien de la journée de manifestations jeudi 18 décembre 2008.
Leur message : "On ne veut pas qu'un report, on veut un changement de fond".
Pour le Parti Socialiste, Benoît Hamon tient à préciser, au lendemain du report : " le gouvernement a une stratégie vis-à-vis de ce projet et il ne faut certainement pas y voir un renoncement ou un recul. Nous ne pensons pas qu’il faille baisser la garde et cesser d’être vigilant tant ces choix se traduisent par un recul du nombre de postes d’adultes et d’enseignants dans les collèges et les lycées, et surtout une dégradation des conditions d’enseignement tant pour les élèves que pour le personnel éducatif. Un report de cette réforme ne signifie pas un renoncement par le gouvernement de Nicolas SARKOZY de ses grands choix de politique éducative. On a constaté une humeur bien différente chez les parents d’élèves et chez les enseignants, dans les manifestations qui se sont déroulées. Il y a une forme de ras-le-bol à l’égard des collèges et des lycées qui paient aujourd’hui l’austérité budgétaire. On na pas le sentiment que ceux qui ont commencé cette mobilisation soient prêts y renoncer, au motif qu’un tout petit bout du projet a seulement été reporté. L’ordre du jour reste à la mobilisation politique".
2° Quelles propositions
S’opposer à une réforme qui porte en elle tous les éléments d’une contestation légitime et n’a pour finalité que de justifier une nouvelle austérité budgétaire, c’est bien . Mais apporter des solutions pour une vraie transformation de l'enseignement secondaire, c’est mieux.
L'école n'appartient ni aux politiques, ni aux professeurs, ni aux élèves, ni aux familles : elle appartient à la République. A ce titre, mener à bien une telle réforme exige , au lieu des sempiternelles provocations et autres parties de bras de fer, la recherche , avant tout, d’un large consensus entre tous les partenaires de la communauté éducative, par la discussion, la concertation, la mise en œuvre de l’accompagnement, l’élaboration de critères d’évaluation et la définition d’un processus de formation.
Comme le souligne Philippe Meirieu, " les questions d'éducation ne doivent pas être traitées en fonction de critères économiques à court terme : il n'y a pas que la dette à considérer, il y a aussi le coût social de l'échec scolaire, de toutes les formes de discrimination et d'exclusion qui grèvent notre avenir " .
La réforme du lycée ne saurait être envisagée sans une articulation avec les autres secteurs de l’Ecole, notamment l’enseignement professionnel ( est-il nécessaire d’insister sur la nécessaire valorisation de ce dernier) le collège ( le référentiel indispensable notamment au niveau de la maîtrise de la langue), et l'enseignement supérieur .
Réformer le lycée exige également que l’on définit précisément ce que l'on attend de ce dernier, au niveau de la prise en compte du socle commun de connaissances et de compétences.
Réformer le lycée c’est aussi s’interroger sur l’un des problèmes majeurs de notre système éducatif français, qui veut qu'on demande aux élèves de faire des choix sans qu'ils aient la connaissance suffisante de ce entre quoi ils doivent se déterminer : on touche là à la question de l’orientation et plus précisément à celle de l’autonomie du jeune dans l’élaboration de son projet personnel.
En effet l’implication du jeune dans l’élaboration de son propre parcours est une des conditions de sa réussite et de son émancipation. Tous les acteurs qui y concourent doivent être associés, y compris les parents et les collectivités territoriales.
Le projet d’établissement joue alors un rôle déterminant dans le cadre de l’accompagnement du jeune. Il doit notamment préparer les conditions de la mobilisation de la communauté éducative et définir les critères d’une réelle formation des équipes enseignantes.
3° Conclusion
Toute réforme du système éducatif en général, du lycée d’enseignement général et technologique en particulier, ne saurait être engagée dans la précipitation et les effets d’annonce.
Vouloir atteindre les objectifs de 50% de diplômés au niveau de la licence, comme le demande un des indicateurs de référence de l’Union Européenne, c’est accepter de s’en donner les moyens, et ce, d’autant plus qu’il importe aussi de ne pas perdre de vue d’autres indicateurs pour le système éducatif :
- 100% d’une classe d’âge sortant de la formation initiale obligatoire avec une qualification et ayant acquis les compétences du socle commun,
- 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat.
Former des citoyens libres et responsables, prêts à apprendre et à se former tout au long de la vie implique d’assigner des objectifs qualitatifs et quantitatifs importants au système éducatif.
Aujourd’hui, la crise financière et économique impose de redoubler de vigilance . En effet, quels que soient les objectifs, une réforme d’ampleur demande du temps pour la concertation et l’expérimentation. Sinon, elle ne fait que générer de l’inquiétude, du repli sur soi et alimente le marché de l’angoisse scolaire, déjà largement développé dans notre pays.
Notre jeunesse se désespère si elle perd confiance en l’avenir.
Philippe PUGNET