OBAMA le grand défi

Il y aura la vieille Bible sur laquelle Lincoln avait prêté serment. Il y a eu, douze jours avant la cérémonie, ce discours dans lequel il a paraphrasé Kennedy («La première question que chacun de nous doit se poser n'est pas «qu'est-ce qui est bon pour moi ?», mais «qu'est-ce qui est bon pour le pays dont hériteront mes enfants ?»»). Il y a eu cette interrogation surprenante, venant du «Wall Street Journal» : «Obama est-il le prochain Ronald Reagan ?» Et il y aura certainement, dans le discours du 20 janvier, des références à Roosevelt. Comme le dit celui qui s'apprête à devenir le 44e président des Etats-Unis : «Tout au long de l'histoire américaine, il y a ces années qui surviennent une fois par génération, de celles qui marquent une cassure nette avec un passé trouble et donnent une nouvelle direction à la nation. Nous y sommes.»
Elles ont semblé bien longues, ces onze semaines qui ont séparé l'élection de la prise de pouvoir. La crise a piaffé à la grille d'une Maison-Blanche aux abonnés absents, un demi-million d Américains sont venus grossir chaque mois les rangs des chômeurs et l'économie a continué de plonger, au rythme annuel de 5%. Perte de temps ? Tout le contraire. En moins de trois mois, Obama a constitué une équipe dont la qualité est saluée par tous, et mis sur rails un plan de relance gigantesque, qui avoisinera les 1 000 milliards de dollars sur deux ans. Il a su trouver le ton juste, donnant d'abord l'impression d'un homme calme au milieu de la tempête, puis sonnant le tocsin de plus en plus violemment. «Il n'est pas trop tard pour changer de cap, mais il le sera si nous ne prenons pas des décisions spectaculaires dès que possible, a-t-il prévenu le 8 janvier. Une situation mauvaise pourrait empirer dramatiquement.»
Le message est clair : une course de vitesse contre la crise est engagée, comme en 1933. L'histoire dira si l'on peut parler des «cent jours» d'Obama, mais la fermeté de ton du président ne laisse aucun doute : le Congrès doit travailler «jour et nuit, les week-ends si nécessaire», pour voter le plan de relance de toute urgence. Et l'heure n'est plus aux ronds de jambe : tout en demandant au Parlement de mettre le turbo, Obama ne se gêne pas pour dénoncer l'ère d'«irresponsabilité profonde qui s'est propagée des salles de conseil d'administration de Wall Street jusqu'aux couloirs du pouvoir à Washington». «Chaque membre du Congrès a des idées sur la façon de dépenser l'argent public [...], mais il faut que cette fois les leaders des deux partis placent les besoins urgents de notre nation avant leurs propres intérêts étriqués.» Jouissant d'une popularité stratosphérique, qui dépasse largement les clivages partisans traditionnels, le président Obama est bien décidé à ne pas s'enliser dans les sables mouvants de Capitol Hill. Chaque fois que cela sera nécessaire - mobilisant au besoin son fichier de 13 millions d'adresses e-mail -, il jouera la pression populaire contre le statu quo.

Vu l'ampleur des réformes annoncées, Obama décevra forcé ment. La gauche, qui s'inquiète de son centrisme décomplexé. Le Congrès, qui va devoir profondément réformer ses mauvaises habitudes. L'étranger, qui va découvrir un Obama accaparé dans les premiers mois par la crise économique et qui placera les intérêts de son pays (ou de sa majorité politique) avant toute autre considération. L'homme en est pleinement conscient. Au fil des semaines de l'interrègne, son ton est devenu plus sombre, plus inquiet. Mais le pari n'a pas changé : s'appuyer sur le pays, et sur un discours transpartisan, pour changer radicalement le pays dans les quelques mois de grâce qui lui sont donnés. Certains lui conseillent de remettre à plus tard telle réforme de structure, de différer telle priorité. Lui semble avoir choisi l'option inverse : Full steam ahead ! A toute vapeur ! Comme Roosevelt en 1933.
Source Le Nouvel Observateur