Dominique Strauss-Kahn: " l'urgence c'est le nettoyage du système bancaire".

Publié le par SD32

Dix jours avant la tenue du G20 , dont il sera l'une des vedettes, et en prélude à sa grande émission en prime time sur France 2, Dominique Strauss-Kahn a reçu Challenges. Le Directeur Général du FMI, français et socialiste, en poste à Washington, apparaît le mieux placé pour faire le point sur la préparation du sommet de Londres et les controverses entre Américains et Européens, qu'il juge «hypocrites» au regard de la profondeur de la crise.

Challenges. Le FMI vient de prévoir pour 2009 une récession mondiale allant de - 0,5 à - 1%, et autour de - 3% pour les Etats-Unis et la zone euro. N'est-ce pas trop pessimiste ?

Dominique Strauss-Kahn. A vrai dire, ce ne sont pour l'instant que des fourchettes que nous avons en voyées au G 20. Nos prochaines prévisions formelles ne sortiront qu'au mois d'avril. Mais déjà, il y a un an, on nous trouvait exagérément pessimistes. Malheureusement, nous avons eu raison. Peut-être cela vient-il de ce que cette crise est unique : elle est à la fois mondiale - or, le FMI envoie des missions dans 185 pays -, et elle est financière, ou, plus exactement, elle est le produit du lien entre le secteur financier et l'économie réelle : partie de la finance, elle a atteint l'économie réelle, et les difficultés de cette dernière font qu'elle se propage de nouveau dans le secteur financier. Il se trouve que le FMI est la seule institution au croisement de ces deux mondes, de Main Street et Wall Street, comme disent les Américains. Voilà pourquoi nous avons été les premiers à sentir la profondeur de la crise. Et nous serons peut-être les premiers à annoncer quand cela repartira.

Et quand espérez-vous le rebond ?

Nous continuons à dire que le redémarrage peut se produire au premier semestre 2010. A condition, toutefois, que les politiques publiques soient réellement mises en oeuvre. D'ailleurs, on distingue déjà quelques indices favorables : il y a l'immobilier américain, dont on peut penser qu'il est près de toucher le fond; il y a aussi la fi n de certains déstockages... La reprise peut donc venir dès 2010 si, je le répète, les gouvernements mènent les bonnes politiques.

Est-ce que vous voulez dire par là que les politiques de relance pourraient être insuffisantes, comme le claironnent les Américains ?

Ce sujet est un peu hypocrite des deux côtés de l'Atlantique. Le FMI a donné l'alerte en janvier 2008 : devant la profondeur de la crise, disions-nous déjà, il faut organiser la relance budgétaire. Ce n'était pas alors la tonalité générale, ni l'habitude du FMI. On m'a regardé avec des yeux ronds. Puis les pays ont mis six mois à bouger. A la fin, chacun y est allé avec la marge de manoeuvre budgétaire dont il disposait. Cette relance a donc eu lieu, et, finalement, dans un élan assez bien coordonné à l'échelle mondiale. Au total, nous sommes peut-être un peu au-dessous des 2% du PIB que le FMI avait demandé de consacrer à la relance, sans doute autour de 1,5- 1,6%, mais ce n'est pas si mal, même si on peut encore faire un peu plus de-ci, de-là.

Pourquoi parler d'hypocrisie ?

Les Américains disent aux Européens : il faut que vous fassiez plus, sous prétexte que le plan Obama fait 4,8% du PIB. Il est un peu exagéré de leur part de ne pas prendre en compte l'importance des transferts sociaux, de ces fameux «stabilisateurs automatiques», qui existent traditionnellement en Europe.
Mais les Européens exagèrent un peu aussi en disant, de leur côté : la première priorité, c'est de faire de la régulation financière.

La régulation ne serait-elle donc pas une urgence ?

C'est une urgence. La régulation est absolument nécessaire, et l'origine de cette crise le montre : il vaut mieux réguler et superviser l'ensemble du secteur financier, y compris les hedge funds. Il faut aussi s'occuper des agences de notation, et en finir avec les paradis fiscaux. Il faut abandonner cette idée que le marché suffi t à se réguler lui-même. Cette crise en a au moins fini avec ce mantra. J'ai même assisté à un dîner surréaliste où, évoquant le sujet des rémunérations, des banquiers disaient : «Régulez-nous mieux, vous connaissez la nature humaine...»

Alors en quoi la demande de régulation serait-elle exagérée ?

C'est bien que les responsables politiques européens prennent ce cheval de bataille, mais cela n'indique pas un chemin de sortie de crise suffisant. Ce n'est pas parce qu'on mettra les paradis fiscaux ou les agences de notation sous contrôle - et, encore une fois, il faut le faire, même si cela va prendre du temps - que cela changera la situation de ceux qui sont aujourd'hui dans la rue et qui sont menacés à court terme de perdre leur emploi.

Que manque-t-il aujourd'hui ?

On ne met pas suffisamment l'accent sur ce qui est le plus urgent aujourd'hui : le nettoyage du système bancaire. Le Fonds monétaire a l'expérience de 122 crises bancaires. Il y a une constante : le retour à la croissance ne se fait jamais tant que l'on n'a pas réglé les problèmes du secteur bancaire. Or, il y a des quantités importantes d'actifs dont les pertes n'ont pas été reconnues dans les bilans des banques, et beaucoup d'entre elles ont besoin d'être recapitalisées. Tant que cela ne sera pas fait, la distribution de crédits ne reprendra pas suffisamment.

Pourquoi cela n'avance-t-il pas ?

Parce que c'est très difficile politiquement : cela demande aux Etats de mettre de l'argent dans le secteur bancaire, celui-là même qui est à l'origine de la crise; un discours qu'il est bien difficile de faire accepter.

Le chiffre que vous avancez de 2 200 milliards de dollars d'actifs toxiques à nettoyer, n'est-il pas aussi difficile à entendre ?

Ma mission n'est pas d'inquiéter pour rien, mais elle n'est pas davantage de distribuer des potions magiques. Ces milliards sont la réalité telle que le FMI l'a mesurée. Et ce chiffre augmente avec la crise qui se développe, parce que des actifs qui n'étaient pas toxiques le sont devenus.

Regrettez-vous l'obsession des Français et des Allemands au sujet des paradis fiscaux ?

Ma position est simple : oui, il faut prendre toutes les mesures pour faire cesser l'activité des paradis fiscaux - s'il le faut en allant jusqu'à cesser toute relation financière avec ces paradis. Je redis que c'est très important, notamment parce qu'il doit y avoir une morale derrière tout cela. Mais, encore une fois, même si cela peut aider à restaurer la confiance, il ne faut pas compter uniquement là-dessus pour nous sortir de la crise, ne serait-ce qu'en raison des délais de mise en oeuvre.

Que veut dire le FMI quand il recommande que les agences de notation en finissent avec leurs conflits d'intérêts ?

Réduire les conflits d'intérêts, cela veut dire, par exemple, qu'on ne peut pas être payé par les gens que l'on note. Les agences de notation donnent une information qui est une sorte de bien public : elles doivent donc être l'objet d'une forme de contrôle public.

Quand la Fed rachète des bons du Trésor, ne marche-t-elle pas sur la tête ?

Ce n'est effectivement pas d'une orthodoxie absolue. Et dans d'autres circonstances, dans d'autres pays, tous les régulateurs auraient dit que c'était la première chose à éviter. Mais nous ne sommes pas dans des circonstances normales, et les Etats-Unis ne sont pas un acteur anodin du système. Tous les moyens sont bons pour apporter des liquidités à un marché qui en a besoin. La moins mauvaise image que j'ai trouvée pour décrire la situation présente, c'est celle-ci : il y a un incendie, on arrive avec de grosses lances, et on fait des dégâts des eaux. C'est regrettable, mais il faut absolument éteindre l'incendie.

N'y a-t-il pas des risques liés à ce trop-plein de liquidités ?

Bien sûr, il y a notamment un risque inflationniste, mais il est moins grave aujourd'hui que le risque dépressif. Vous savez, nous venons de sortir une étude sur les premières leçons à tirer de la crise, et cela commence par la faiblesse de la régulation du système financier, mais il y a aussi à dire sur les politiques macroéconomiques. Il faudrait notamment, pour identifier les nouvelles bulles, que les banquiers centraux étendent leur préoccupation de l'inflation courante au risque d'inflation des actifs.

Quel est le risque d'échec du G 20 ?
Le risque de craindre d'en faire trop. Aujourd'hui, dans beaucoup de pays, quoi qu'on en dise, la crise n'est pas encore ressentie avec une forte intensité. Nous sommes à la veille de l'orage, et la nécessité de prendre des mesures drastiques n'apparaît pas à tous. En temps de guerre, le discours churchillien est plus évident à comprendre. Pourtant, aujourd'hui, l'erreur principale serait de sous-estimer la profondeur de la crise : nous sommes vraiment dans la Grande Récession.
Faut-il faire maigrir les banques ?

La sphère financière à l'arrivée sera de toute façon plus petite, et plus en phase avec l'économie réelle. Les hedge funds, par exemple, ont déjà été considérablement réduits. Mais le rôle du FMI n'est pas de décider quelle activité est bonne ou mauvaise, quelle rentabilité est exagérée. Surveiller les banques, c'est aux superviseurs de le faire.

Quel doit être le rôle du FMI ?

Par temps calme, c'est de faire de l'assistance technique et de donner des conseils de politique économique : c'est grâce à cela, par exemple, que les pays de l'Afrique de l'Ouest ont connu 5 à 6% de croissance ces dernières années, ce qui ne s'était jamais vu. Et puis, quand la tempête arrive, nous pouvons, à sa demande, soutenir un pays avec nos moyens financiers. Enfin, notre autre tâche, c'est la surveillance, les alertes précoces, les prévisions... Dans ce domaine, nous avons besoin d'étendre nos capacités, et peut être de rendre obligatoires certains contrôles qui n'étaient que facultatifs.

Quels seront les signes d'un G 20 réussi ?

Affirmer la mise en oeuvre du nettoyage du secteur financier. Ne pas se disputer sur le niveau du plan de relance. Donner des signaux en matière de régulation financière. Augmenter les ressources du FMI, et lui demander un suivi des missions de coordination. Et, au moins aussi important, s'engager à ne pas laisser les pays pauvres être les victimes de la crise.

Publié dans Politique

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