Humanisme et Mondialisation

Publié le par SD32

Mireille Delmas-Marty occupe au Collège de France la chaire d’études juridiques comparatives et internationalisation du droit.

Elle fait dans cet entretien , paru dans La Vie des Idées et reproduit par Socialisme & Démocratie 32 le point sur ses six premières années d’enseignement, consacrées aux « Forces imaginantes du droit ».

Elle montre comment la mondialisation nous invite à considérer à nouveaux frais les valeurs de l’humanisme moderne.


La Vie des Idées : Mireille Delmas-Marty, vous entamez votre septième année de cours au Collège de France. S’est achevé l’an dernier le premier cycle de votre travail, consacré aux « Forces imaginantes du droit ». Cette réflexion s’est inscrite dans une étude comparatiste, et en même temps votre chaire porte sur l’internationalisation du droit. Quelle est la différence entre la comparaison et l’internationalisation ?

M. D.-M. : En réalité, l’internationalisation est au centre de mes recherches. C’est un processus de transformation des systèmes de droit qui met à la fois en cause le droit national et le droit international. Alors, pourquoi les études comparatives ? C’est un choix déjà engagé, parce que l’internationalisation du droit, l’extension du droit hors des frontières nationales peut se faire de plusieurs manières. Elle peut se faire de façon hégémonique, si un système de droit plus puissant que les autres s’impose au reste du monde. Elle peut aussi se faire de façon pluraliste, mais alors on a besoin des études juridiques comparatives pour introduire la diversité des systèmes nationaux existants : en les ajoutant à l’intitulé de la chaire, j’entendais marquer mon engagement en faveur d’une internationalisation pluraliste.


C’était aussi une sorte de clin d’œil à l’histoire des chaires juridiques au Collège de France. Au XIXe siècle il y a eu deux chaires orientées vers le droit comparé (à l’époque on disait la législation comparée), notamment une chaire attribuée au fondateur de la Société de Législation Comparée, spécialiste de la constitution américaine, Edouard Laboulaye. Et au XXe siècle, le collègue qui m’a précédé était le grand internationaliste René-Jean Dupuy. En somme, on avait enseigné séparément le droit comparé et le droit international. Compte tenu du contexte actuel et de l’évolution des systèmes de droit, il me paraissait intéressant de les relier à travers l’internationalisation, parce qu’elle marque l’interaction entre le droit interne et le droit international : ils se transforment réciproquement.


La Vie des Idées : Ce qui est neuf, c’est l’internationalisation mais aussi l’importance que vous donnez à l’imagination. Vous commencez d’ailleurs votre leçon inaugurale en citant longuement les travaux de Bachelard. Pourriez-vous revenir sur ce point essentiel ?

M. D.-M. : C’est venu de façon très intuitive. Dès mes premiers essais sur le droit pénal, j’avais été mise en mouvement par Bachelard qui, au tout début de L’Eau et les rêves, organise les forces imaginantes de l’esprit selon deux axes : un axe qui est celui de l’enracinement, de la recherche des racines, met l’imagination en éveil ; le second axe, celui du surgissement, évoque l’inattendu et l’inespéré. Si l’on prolonge la métaphore botanique, ce serait le bourgeon, la fleur parfois inattendue. Dans le domaine du droit, l’approfondissement nous renvoie à notre histoire, mais aussi au droit comparé, qui permet de saisir la spécificité de chaque système.


Et le surgissement amène à réfléchir sur les évènements, nationaux ou internationaux, qui font bifurquer l’histoire. Je pense aux attentats du 11 septembre 2001 qui ont modifié considérablement et les droits nationaux, et le droit international. Ou encore à un évènement moins dramatique et plus bénéfique comme la signature en 1998 de la convention sur la Cour Pénale Internationale, peut-être pas totalement inattendue vu le nombre de projets qui l’ont précédée, mais inespérée en raison de la force des oppositions, notamment américaines.


Plus récemment, j’ai été amenée à reprendre cette réflexion pour un ouvrage collectif qui va être prochainement publié par Catherine Thibierge sur La force normative, naissance d’un concept. Elle m’a demandé : Quelle est la différence entre « la force normative », les « forces créatrices du droit » dont parlait le doyen Georges Ripert, dans un livre célèbre, et les « forces imaginantes du droit » ? Si la force normative relie les sources du droit à leurs effets, elle implique une continuité, sans exclure une variabilité, selon que le lien est plus ou moins étroit et les effets plus ou moins garantis. Les forces créatrices du droit, au sens que leur donnait Ripert, sont des forces sociales au sens large, morales mais aussi politiques et économiques, qui peuvent perturber le mécanisme de la force normative, donc l’organisation des systèmes de droit. Pourquoi aurait-on besoin aussi de forces imaginantes ?


Précisément pour permettre aux systèmes de droit de s’adapter aux forces sociales qui les perturbent. Pour que le droit s’adapte aux perturbations, le juriste a besoin de nouveaux principes (on a vu surgir le principe de précaution à mesure que les risques se révélaient plus graves et plus dangereux qu’on ne le pensait) ; de nouvelles catégories (telles que l’espace normatif, ou les vitesses de transformation) ; aussi de nouvelles métaphores parce que la doctrine classique privilégie les métaphores statiques, comme la pyramide des ordres, les piliers, les socles, les fondements, les fondations, alors que le droit devient à la fois interactif et évolutif.


C’est ainsi que Michel van de Kerchove et François Ost ont proposé de placer le droit entre la pyramide et le réseau, d’autres ont parlé de rhizomes. De façon un peu provocatrice, j’ai évoqué les « nuages ordonnés ». L’important, pour trouver des réponses appropriées aux courants qui transforment les systèmes de droit, est d’élargir l’imaginaire juridique. Certes l’imagination ne crée pas de contrainte, mais elle est néanmoins une force car elle crée de la reconnaissance, permettant de reconnaître de nouvelles pratiques comme étant elles aussi juridiques.

Pour lire la suite:humanisme et mondialisation

Source La vie des idées

Publié dans Faits de société

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