« DSK : Ce que je sais de lui »
Socialisme & Démocratie 32 publie ce texte de Gaël Tchakaloff ( Le Nouvel Economiste ) dans lequel il nous parle du nouvel état d’esprit de Dominique Strauss-Kahn, de ce qu’il est, de ce qu’il ressent, de ce qu’il a décidé de faire, de ses interrogations.
Un texte poignant où l'on découvre un homme dont on mesure trop l'absence aujourd'hui, dans le débat politique et la gestion de cette crise qu'il avait su juguler, en son temps, par des réponses lumineuses et des actions pertinentes.
Dominique avait fait fi des vieilles recettes, bousculé les théorèmes dépassés et affronté le spectre spéculatif avec l'intelligence d'un joueur capable de découvrir ses pions pour mieux anéantir l'adversaire.
Le vrai DSK par Gaël Tchakaloff
Héros contemporain du mythe camusien, il a refusé les codes politiques, sociaux et sociétaux, au nom de la liberté individuelle. En armant contre lui ceux qui poursuivent sa chute, il semble avoir appliqué, à la lettre, la théorie de l’absurde. Retrouvant son tempérament révolté, il décide désormais d’arracher une à une les griffes de sorcières médiatiques et politiques qu’il n’avait pas suffisamment vues pousser.
Le mythe de Sisyphe
L’humour, la joie, l’enthousiasme, la capacité à transformer un instant banal en situation exceptionnelle. Cela, c’est ce qu’il était avant. Plus provocateur que léger, il avait décidé de se faire aimer tel qu’il était. Tant pis pour les autres, ils resteraient sur le bas-côté. Recherchant le bonheur au gré de ses amitiés tribales, de la musique, des jeux de go, d’échecs ou de poker, des bonnes tables, du travail intellectuel, de sa capacité à séduire les hommes autant que les femmes…
Il refusait les codes établis : psychologiquement, ils contraignaient sa liberté ; philosophiquement, ils rétrécissaient le champ des possibles ; intellectuellement, ils induisaient des raisonnements étriqués. Mêlant l’hédonisme au besoin d’être aimé, il s’arrangeait toujours pour jouer à armes égales avec son interlocuteur (à condition qu’il ne soit pas son adversaire). Il avait autant de plaisir à fréquenter l’élite du pouvoir que le bistrotier du coin de la rue.
Il admirait ceux qui accumulaient les excellences variées. Il avait autant le goût des mots que celui des chiffres, celui du chocolat que celui de la vodka. Mais tout cela, c’était avant. Avant que ne surgissent trois questions lancinantes : Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Comment a-t-il pu ? Nous ne détenons pas tous les réponses à nos interrogations les plus profondes. Il n’est pas question de revenir ici sur des faits qui ne pourront être précisément retracés que par le travail commun de la justice et des parties impliquées dans les affaires. On peut néanmoins se demander pourquoi une telle déferlante médiatique s’est abattue sur Dominique Strauss-Kahn depuis le mois de mai.
Son tempérament peu précautionneux, son mode de vie et les conditions de son arrestation aux Etats-Unis n’expliquent qu’une partie du raz-de-marée. Plusieurs présidents français ou étrangers ont été des maris volages, plusieurs grands managers internationaux ont négocié des gros contrats entre deux libertinages, sans que les médias choisissent d’étaler tout cela sur la place publique. Contre toute attente, cela a été fait plus que de mesure, notamment dans le cadre de l’affaire du Carlton. Personnellement, je ne sais pas de quelle manière John Fitzgerald Kennedy faisait l’amour avec Marilyn Monroe.
Mais je sais désormais précisément, et sans le vouloir, l’intimité supposée d’un homme qui n’a pas encore été entendu dans le cadre d’une procédure judiciaire. Un homme dont le nom et les agissements potentiels ont fait grimper le chiffre d’affaires d’une presse économiquement condamnée à un cortège funèbre qui lui fait perdre la tête, cherchant à tout-va les ventes dont elle se sait bientôt privée.
Résolument, le prisme de la crise économique a également modifié ce que nous demandons à ceux qui nous gouvernent. La rationalité des personnalités doit l’emporter sur le reste de leur ADN. La compétence et la vision sociétale passent après la morale. Et depuis le 14 mai 2011, la morale est devenue le synonyme de la responsabilité. Il semble entendu qu’un homme aux mœurs dissolues ou un mauvais mari est un irresponsable politique.
Et cela a été implicitement revendiqué par les médias (notamment sur le plateau de France 2, fin mai 2011), bien avant l’issue pénale de l’affaire Diallo. Par extension, un mauvais père de famille serait-il aussi un irresponsable politique ? Paradoxalement, la pression qu’induit le pouvoir conduit les hommes politiques à décompresser ou décompenser, plus que de raison. Ils sont nombreux à le faire, pour le moins en France.
Que les journalistes politiques féminines qui n’ont pas été poursuivies par une drague assidue de certains membres du pouvoir exécutif actuel lèvent le doigt. Je crains qu’elles soient peu nombreuses.
Le malentendu
Les amalgames nuisent à la vérité, mais il semble que les médias n’en aient cure. Du Sofitel au Carlton, en passant par l’affaire Tristane Banon, la liste des agrégats hasardeux est longue. Si bien que la différence n’est plus faite entre un violeur maladif et un séducteur libertin qui drague avec insistance, s’organisant une vie personnelle marginale… Développé par les médias, l’amalgame s’est propagé jusqu’au cercle rapproché de Dominique Strauss-Kahn.
Le triple choc correspondant à l’accumulation des trois affaires sus-citées, a entraîné la désertion des troupes sur le thème de la trahison. “Il aurait dû nous dire”, clament certains, qui se sont engagés de près à ses côtés l’année d’avant. C’est vrai, il aurait dû, mais peut-être ne pouvait-il ou ne voulait-il pas, soit par honte, soit parce qu’il n’avait pas pris la mesure des répercussions et des risques induits.
A cet endroit s’opère le tri sélectif entre ceux qui appartiennent au cercle de l’amitié, envers et contre tout, et ceux qui se sont présentés comme étant ses amis, quittant pourtant la route au troisième virage. Le problème réside dans le fait que nombre de ses amis travaillaient à ses côtés. Affaire d’opportunisme pour ceux-là, affaire judéo-chrétienne pour d’autres, considérant qu’ayant fait des bêtises, l’homme doit tout assumer.
Et tout seul. Le paradoxe entre l’hyper-réalisme d’un manager international gérant des problématiques économiques et financières planétaires et la déconnexion des comportements à risques dans le monde réel en a choqué plus d’un. Quoi qu’il en soit, ce comportement reste commun à beaucoup de gens de pouvoir, quand s’opère la bascule de la surpuissance, liée aux contenus traités, aux personnalités rencontrées et à la disparition de l’espace temps, réduit aux heures passées dans les avions autour de la planète. Ceci n’excuse pas cela. C’est un fait communément répandu. Voilà tout.
L’homme révolté
A qui profite le crime ? C’est, semble-t-il, la question que se pose aujourd’hui Dominique Strauss-Kahn. Jusqu’au-boutiste, décidé à prouver qu’aucun de ses agissements n’est pénalement répréhensible, en dépit d’égarements relevant de sa vie personnelle, il a choisi de ne pas négocier. Ni dans le cadre de l’affaire américaine, ni – on pourrait le supposer – dans le cadre de l’affaire Banon.
Même scénario pour l’affaire Carlton, puisqu’il demande à être entendu, ce qui laisse présager de la ligne défendue. La question qui demeure en suspens reste celle de l’étalage judiciaire à tiroirs qui a suivi le scandale new-yorkais, à propos duquel on peut, à ce jour, penser que la théorie du piège est devenue l’hypothèse de travail privilégiée. En ce qui concerne Tristane Banon, son avocat ayant annoncé envisager de déposer une plainte dès le 16 mai 2011 – c’est-à-dire deux jours après l’arrestation de DSK -, il semble entendu que la connexité médiatique des dossiers ait pu motiver la jeune romancière. Quant à l’affaire du Carlton, reste encore à découvrir le cadre précis du déclenchement de cette instruction, voire, si les langues se délient, quels en sont les commanditaires. La question n’est plus de savoir si l’homme avait des faiblesses.
La question ne consiste plus à se demander s’il les a suffisamment encadrées ou contrôlées. La seule question appartenant à la sphère publique qui demeure sans réponse aujourd’hui est celle de l’organisation du déroulé médiatico-judiciaire, dont l’avalanche ne peut être naturelle, tant sont concomitantes les superpositions de faits potentiellement reprochés. Le Parti socialiste est affaibli, l’homme traqué cherche les maîtres d’œuvre des révélations en cascade autant que la vérité de leurs mobiles.
Il a connu le pire à l’époque de Rikers Island. Il a connu des jours meilleurs, au mois de juillet, caressant l’espoir d’une procédure accélérée, avant que ne surgisse le tournant racial de l’affaire new-yorkaise. Rentré à Paris au mois de septembre, il a retrouvé l’envie de vivre normalement. Mais, très vite, un nouveau rebondissement l’a affaissé… Dans L’Etranger, le héros est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu de la société dans laquelle il vit.
Il ne montre pas d’émotions, se contentant de regarder avec distance l’enchaînement des faits. Pour ceux qui ouvrent les yeux, l’émotion de Dominique Strauss-Kahn est visible, autant que sa volition à faire émerger la vérité. De gré ou de force, l’homme est confronté à lui-même autant qu’à l’humanité réelle ou défaillante de ceux qui l’encensaient, encore récemment. Pendant plusieurs semaines au mois d’octobre, les interventions de ses avocats se sont raréfiées.
Puis, il est parvenu à en convaincre d’autres de l’aider. Pendant plusieurs semaines, ce même mois, les visites se sont espacées, la barbe a poussé, le regard s’est égaré, certainement lié à la déception qu’il a de son proche entourage autant que du comportement des amis de toujours qu’il avait dans la presse, ceux-là n’ayant pas su le contacter pour vérifier certaines informations… L’homme n’est plus à terre. Il s’est redressé.
Comme dans Camus, il n’est pas question de quitter la vie, il est question de démontrer sa vérité. Et cela, d’abord et avant tout, par des voies juridiques et judiciaires. On est bien loin du concept marketing de la “faute morale” que les communicants lui ont fait réciter, cherchant trop tôt la réconciliation avec l’opinion, alors que les procédures en cours interdisaient la formulation de la réalité passée.
Peut-être la livrera-t-il plus tard ou peut-être jamais. Car il appartient à la justice seule de décider du caractère pénalement répréhensible des faits reprochés. Si ce n’est pas le cas, personne n’a à connaître les dessous d’une vie privée et intime qui n’appartiennent qu’à Dominique Strauss-Kahn. Qui aurait osé demander à Nicolas Sarkozy de venir publiquement expliquer les hypothétiques tromperies dont la presse se faisait l’écho à l’égard de sa précédente épouse ? Qui aurait eu l’audace d’en livrer le détail ? Personne. Et c’était louable.