Etats généraux de la démocratie territoriale
Jean-Pierre Bel, président du Sénat, ouvre, ce jeudi 4 octobre, les travaux des Etats généraux de la démocratie territoriale. Il en présente les grandes lignes auprès du Monde. ( Propos recueillis par Patrick Roger )
Quel bilan tirez-vous de la préparation de ces états généraux de la démocratie territoriale ?
La première phase, lancée en décembre 2011, nous a permis d'avoir un retour de questionnaires de 20 000 élus, dont près de 60 % de maires. C'est bien mieux qu'un sondage. La seconde phase, sous la forme d'assises départementales, a confirmé cet engouement : au total, cela fera près de 30 000 personnes qui auront pris part à ces réunions. Cela nous a donné raison dans notre choix de faire s'exprimer les élus : il y a aujourd'hui un vrai questionnement, au-delà de la décentralisation, sur la place des territoires. Il faudra d'ailleurs, après ces états généraux, qu'il y ait un prolongement.
Est-ce qu'il y a des pistes consensuelles qui s'en dégagent ?
Quand on écoute les élus, il y a de grandes directions sur lesquelles on peut se retrouver. Tout d'abord, la question qu'on n'attendait pas, puisqu'elle est tellement ancienne qu'on avait fini par s'y habituer : c'est la question du statut de l'élu, véritable serpent de mer auquel on ne s'est jamais attelé. Cela doit être couplé avec la limitation du cumul des mandats.
Il y a un accord assez général, aussi, sur la clarification des compétences. Nos amis de droite ont compris qu'ils n'allaient pas s'acharner à défendre le conseiller territorial, qui va être supprimé. A partir de là, ils réfléchissent à ce qui peut se construire derrière. Beaucoup sont même soulagés.
Autre grande question : la simplification des normes, sur laquelle on peut avoir des lignes directrices convergentes mais aussi des différences. En ce qui me concerne, par exemple, je m'opposerai à toute forme de déréglementation dans un esprit libéral. Il y a 400 000 normes ; on ne va pas supprimer 400 000 normes. Mais ces normes ont un coût : cela représente 500 millions d'euros par an. Il faut tarir un peu le flux législatif et le flux réglementaire et supprimer ce qui n'est pas utile. C'est un travail de longue haleine.
Est-ce qu'il n'y a pas un danger, au nom de la simplification des normes, de vouloir repousser certains objectifs législatifs comme, par exemple, l'accessibilité pour les handicapés ?
Entièrement d'accord. C'est un point sur lequel il peut y avoir des différences d'approche. Je pense que l'objectif qu'on s'est fixé ne doit pas être remis en cause. Il s'agit là de normes qui constituent un objectif politique fort. C'est la même chose pour certaines normes environnementales sur lesquelles il ne faut absolument pas revenir.
Quelle architecture administrative doit émerger de ces états généraux ?
Le principe est de n'avoir entre collectivités territoriales ni tutelle ni concurrence. La concurrence entre département et région est totalement dépassée : les départements reconnaissent le rôle de stratège de la région sur l'économique, l'innovation, la recherche, la formation. Il peut y avoir des discussions entre certaines métropoles et la région : là, une clarification est nécessaire.
L'idée dominante, c'est que les situations ne sont pas les mêmes d'un territoire à un autre. Cela pose la nécessité d'une adaptabilité de la loi en fonction des territoires. Ce vieux pays jacobin a besoin, sous forme d'expérimentation, d'aller vers plus de souplesse. Le maître-mot, donc, c'est l'adaptabilité.
Il me semble nécessaire d'aller vers des contrats de gouvernance territoriale, en instituant, sur un territoire donné, une sorte de conférence des exécutifs - région, départements, communes, intercommunalités – où l'on se met d'accord sur la répartition des compétences, ainsi que sur les objectifs et les moyens. Selon les régions, il peut y avoir des périmètres différents. Il faudrait des contrats de gouvernance sur une période pluriannuelle, afin de donner aux élus de la prévisibilité, avec un cadrage budgétaire qui permette que les collectivités, en faisant jouer la clause de compétences générales, sachent comment elles pourront être financées et jusqu'à quel niveau.
Avec quelles ressources ?
A partir du moment où tout le monde est d'accord sur la clarification des compétences, se pose ensuite la question des ressources et du panier fiscal qui sera attribué à chacun, chaque collectivité se voyant dotée de ressources propres et bien identifiées. La réforme fiscale est indispensable : on ne va pas faire une réforme territoriale sans volet fiscal, sachant que la suppression de la taxe professionnelle a créé de grosses injustices.
Sur quelles recettes pourrait reposer ce panier fiscal propre à chaque collectivité ?
Il faut remettre à plat les finances locales et retrouver du dynamisme dans les ressources. Une dimension essentielle repose sur la péréquation verticale. Parmi les collectivités, certaines sont dans une situation plutôt confortable, d'autres dans une situation périlleuse, notamment pour les départements, avec la gestion du RSA qui pose d'énormes difficultés. La péréquation verticale permettrait de faire jouer la solidarité entre collectivités.
L'idée d'une part de CSG revenant aux collectivités est toujours envisagée ?
S'il pouvait y avoir une spécialisation et une part qui reviendrait es qualités aux collectivités, qui correspondrait à ce que nous avons appelé le panier fiscal, ce ne serait pas une mauvaise idée.
Il y a quand même une pression très forte sur les collectivités territoriales pour qu'elles prennent leur part de l'effort budgétaire.
Les collectivités, c'est certain, ne peuvent pas se comporter comme si elles étaient un îlot de prospérité dans une mer de sinistrose. Néanmoins, la nécessité de relancer l'activité, donc la croissance, passe par les collectivités. Autant on peut comprendre le gel des dotations ou les efforts à faire sur le fonctionnement, autant il faut soutenir la capacité des collectivités à investir et à être un levier pour relancer la croissance.
Comment leur redonner un peu d'oxygène ?
Elles ont aujourd'hui de grosses difficultés à financer leurs investissements. Il faut avancer rapidement sur les structures financières en appui des collectivités, à travers la Banque publique d'investissement mais aussi, c'est une idée qui avait été lancée par le président de l'Association des maires de France (AMF), Jacques Pélissard, avec une banque spécifique pour les collectivités locales.
Les collectivités territoriales sont régulièrement pointées du doigt sur l'explosion des effectifs. N'y a-t-il pas des économies à faire de ce côté-là ?
Rétablissons d'abord les réalités. Si les effectifs des collectivités territoriales ont augmenté, c'est en bonne partie dû aux transferts de compétences. Quant aux effectifs de l'Etat, s'ils ont baissé, c'est parce qu'on a externalisé vers des agences d'Etat. C'est vrai, il y a des choses à regarder dans les doublons, entre l'Etat et les collectivités, d'une part, et entre les intercommunalités et les communes, d'autre part. La prise en charge de compétences par l'intercommunalité n'a pas toujours entraîné la disparition des personnels concernés au niveau communal. Nous sommes d'accord pour une mutualisation au maximum de telle sorte que les collectivités puissent participer à l'effort national.
Cette montée en puissance de l'intercommunalité n'appelle-t-elle pas une élection au suffrage direct de ses exécutifs ?
C'est un sujet sur lequel les états généraux vont un peu à rebours des sondages ou des idées toutes faites. Aujourd'hui, la grande masse des élus considère que, s'il y a élection directe à la présidence de la communauté de communes, c'est la fin de la commune et du maire. Il y a un consensus, là, pour dire attention. On peut envisager d'autres formules.
La question reste posée de leur démocratisation. Quand on a des communautés urbaines comme Bordeaux, Lyon, Lille, qui gèrent des budgets colossaux et des exécutifs qui, à aucun moment, n'ont été désignés par la population, ça pose un problème. Ce qui semble se dégager, de la part des élus, c'est la mise en place de seuils afin que, dans les grandes métropoles, on puisse imaginer des élections directes.
Quel mode de scrutin se dégage pour les élections au conseil général ?
Nous préférons d'abord parler de conseil départemental que de conseil général. Il y a un débat entre le statu quo, la proportionnelle ou le scrutin binominal pour faire respecter la parité. L'idée du binôme est originale et inédite, mais elle peut fonctionner.
Vous réfléchissez aussi à une réforme du mode scrutin, ou du collège électoral, pour les sénatoriales ?
Bien sûr. On est sur un mode de scrutin qui date de 1958. Il faut rendre plus représentatifs les collèges en fonction de la démographie. Nous avions fait des propositions au comité Balladur, qui les avait reprises mais le gouvernement de l'époque les avait rejetées. Par ailleurs, si on veut respecter les objectifs de parité, plus il y aura de proportionnelle, mieux ce sera. Nous souhaitons que ces propositions soient adoptées avant l'été 2013.
La question du cumul des mandats continue à susciter de fortes réserves, notamment chez les sénateurs. Vous-mêmes constatez qu'il n'y a pas de majorité en l'état.
Quand je dis qu'il n'y a pas une majorité au Sénat, ça correspond à une réalité, pas à mon souhait. Dès lors, il y a une hésitation sur la jurisprudence constitutionnelle : à savoir si on peut le faire malgré l'avis du Sénat ou pas. Les juristes sont en train de se pencher sur le sujet.
La même règle de limitation des cumuls doit s'appliquer aux députés et aux sénateurs ?
Je suis pour que le Sénat reste une assemblée politique à part entière, qui a une compétence législative générale. Tout ce qui contribuerait à un statut particulier pour les sénateurs affaiblirait, à mon sens, cette vision du bicamérisme. Je comprends qu'il y ait débat. J'écoute les arguments de mes amis. Ce n'est pas pour cette raison que je me rallie à leur thèse.