Il faut interroger toutes les facettes, par Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen

Publié le par SD32

tva.jpgDepuis 1945, la France a fondé son système de protection sociale sur un pacte de solidarité entre les générations : aux jeunes une formation, aux actifs un travail en échange d'un salaire et aux seniors une retraite bien méritée, et à tous un accès aux soins. Depuis au moins une quinzaine d'années, ce modèle social est en difficulté. L'Etat-providence est en crise : essentiellement réparateur, il ne combat pas suffisamment les inégalités à la racine. Confronté d'une part à la persistance d'un chômage de masse et d'autre part au vieillissement heureux de la population, résultat des progrès en matière de santé, il ne parvient plus à se financer.

Ces mécanismes de solidarité sont également impactés par la mondialisation et par la mise en concurrence des systèmes économiques et sociaux. Partout en Europe, les gouvernements cherchent des solutions acceptables pour financer leur protection sociale et préserver les droits sociaux. En France, la conjoncture reste sombre alors que les déficits publics ont atteint le seuil d'alerte.

Chacun sait aujourd'hui que la droite laissera notre pays confronté à une bombe fiscale à retardement. Les systèmes de financement des dépenses publiques sont aujourd'hui usés. Et leurs défauts ont été poussés jusqu'à la caricature par Nicolas Sarkozy. La gauche doit faire ses choix dans la perspective des échéances électorales de 2012. Puisque l'honnêteté nous amène tous à reconnaître qu'une augmentation des prélèvements obligatoires aura lieu, l'ambition de la gauche est d'assurer qu'elle soit efficace et juste.

Seule notre capacité à traiter simultanément la préservation de la compétitivité de notre économie et le renforcement du financement de notre système de protection sociale, nous permettra de prévenir un risque majeur d'explosion des inégalités dans notre pays. A cette fin, il nous faut amorcer un véritable big bang fiscal, ne s'interdire aucun tabou et interroger toutes les facettes de notre système fiscal, y compris la TVA.

Une augmentation de la TVA, en substitution d'une part des charges sociales payées par l'employeur, est en débat dans notre pays, à l'instar de l'Allemagne qui a déjà fait ce choix politique. Ce basculement de cotisations vers la TVA pourrait améliorer sensiblement la compétitivité de certains secteurs industriels fortement exposés à la concurrence, qui pâtissent d'un euro fort et d'un dollar faible. De plus, cette baisse du coût du travail pourrait dissuader les délocalisations, enrayer la destruction des emplois industriels et favoriser l'emploi à long terme. La France pourrait ainsi bénéficier de la création de 300 000 emplois sur la durée d'un quinquennat.

Cette nouvelle vision de la TVA, qui compense en partie le fait que le prix des produits importés n'intègre pas aujourd'hui toutes les externalités sociales et environnementales, est donc aussi un moyen de protection face à la production à bas coût des pays émergents. La TVA, avec cette caractéristique très sociale, pourrait correspondre au nouveau visage d'une gauche ouverte sur le monde, qui ne prône pas le repli ou la guerre tarifaire, mais qui assume de défendre les intérêts économiques et industriels de la France et de ses salariés.

En outre, dotée d'une assiette très large, la TVA est un impôt très efficace pour financer les politiques publiques, les services au public et les prestations sociales. Cette mesure aurait donc l'avantage de dégager une nouvelle source de financement au bénéfice de nos régimes sociaux, tout en favorisant la reprise de l'emploi.

Certes, la gauche s'est souvent déclarée ennemie de la TVA. Quitte à s'en accommoder très largement lorsqu'elle était au pouvoir. Il est vrai que la TVA, du fait de son caractère forfaitaire, peut avoir un effet anti-redistributif compte tenu de la part de la consommation dans le budget des ménages modestes.

Au contraire, cette mesure doit s'envisager dans un autre "mix fiscal". Assortie de l'abrogation du bouclier fiscal, des niches fiscales injustifiées ou de la TVA réduite sur la restauration, d'une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, et d'une personnalisation plus grande de la fiscalité locale, une augmentation de la TVA peut faire partie d'un ensemble fiscal progressif, juste et équitable. Son augmentation peut agir aussi sur la consommation, en faisant évoluer les comportements. Ainsi, tout en respectant les normes européennes, il est possible d'exclure du champ de la TVA à taux plein la quasi-intégralité des biens de première nécessité (alimentation, logement, etc.).

A l'autre bout de la chaîne, une grande partie des biens supérieurs (éducation, santé, etc.) n'y seraient pas assujettis. Ils seraient au contraire les premiers bénéficiaires des recettes collectées par cet impôt. La TVA peut constituer un levier utile pour réduire la place de la marchandisation dans notre société et favoriser un développement plus durable et plus juste. Au moment où la gauche accélère sa réflexion sur son projet, nous l'appelons, en matière fiscale comme sur les autres sujets, à relever les défis avec le sens de l'effort, du progrès et de la justice.

 

Par Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen

Source Le Monde.fr


Publié dans Politique

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