Jean Christophe Cambadélis " François Mitterrand a gagné parce qu’une génération a décidé non pas d’abdiquer mais de se ranger derrière lui "
Dans une interview au Monde, Jean-Christophe Cambadélis revient sur le choc suscité par la percée de Marine Le Pen . Tout en relativisant le phénomène , il appelle les socialistes à la responsabilité.
La poussée du Front national dans les sondages a créé un choc. Quelle est votre réaction ?
Il faut raison garder. Nous ne sommes pas dans un épisode pré fasciste. Mme le Pen n’est pas une solution mais un symptôme, Elle n’est forte que de nos manques.
Vous avez décidé de minimiser ?
Soyons sérieux. Les Français ne pensent pas une seule seconde qu’elle sera présidente de la République. Ils savent que ce qu’elle propose conduirait à l’affrontement social et à l’impasse économique. Ils ont intégré la mondialisation mais ils sont exaspérés parce qu’ils ne voient pas le chemin de la sortie de crise. La droite ne cesse de leur répéter « vous coutez trop cher, vous n’êtes pas aux normes du monde. C’est mieux en Allemagne » Alors ils secouent le cocotier.
Pourquoi la gauche n’apparait elle pas comme un recours ?
On va y venir. Mais il faut d’abord bien comprendre ce qui se passe. La France vit une triple exaspération. C’est un pays très politique qui ressent avec beaucoup plus d’acuité que les autres le déclassement du monde occidental. Le silence de Nicolas Sarkozy en janvier lors des révolutions arabo musulmanes a été dévastateur. On ne voyait qu’Obama. La France n’avait plus de voix. Sur ce sentiment profond de relégation se greffent la crainte ou la réalité de déclassement social et une grande exigence à l’égard de l’intérêt général. Nicolas Sarkozy a de nouveau décroché dans les sondages après les révélations sur les vacances de Michèle Alliot- Marie en Tunisie et de François Fillon en Egypte. En pleine crise sociale, l’effet a été ravageur.
Vous analysez la poussée du FN comme une simple irruption de colère. Mais n’y a t il pas une banalisation de ce parti ?
Mme le Pen, c’est vrai, est dans une stratégie de dédiabolisation. Elle cultive son côté banal pour mieux catalyser les colères. Elle se distingue de son père en allant piocher dans l’appareil idéologique du GRECE et du club de l’horloge. Elle leur emprunte le « différencialisme culturel » qui permet de ne plus parler de race mais de culture. Elle développe leur stratégie, la différenciation maximale : la sortie de l’euro, le rejet des musulmans, l’islamophobie, ou autres, là où la droite classique ne peut pas aller. Pourtant, l’appareil FN est terriblement affaibli par la saignée de 2007 et la suite. C’est la nature de ce parti ; il est à éclipse, il se manifeste dans les sondages ou dans les urnes dans les moments de crise mais sans suite.
Comment réagir face à cette poussée du FN ?
D’abord restons dans le gauche-droite. Ensuite le passé nous a montré que la critique du FN ne porte pas. Nous avons décortiqué son programme. On a écrit des dizaines de livres formidables pour montrer les dangers. Cela n’a rien changé. Et suivre le FN, le construit. Enfin, il ne faut pas suréagir comme certains l’ont fait ces derniers jours. Nous assistons à une sorte de Munich des esprits. A chaque coup de boutoir du FN, c’est une volière. Tout le monde parle dans tous les sens, au lieu de se concentrer sur les réponses à apporter aux problèmes des Français. Et puis on oublie…
Pourquoi la gauche ne parvient pas à incarner une réelle alternative ?
Il faut relativiser. Dans les plus mauvais sondages nous sommes autour de 22%. Comme le disait François Mitterrand, entre 22 et 23%, c’est le score du PS. Nous ne tombons pas, nous ne capitalisons pas, c’est différent. Malgré le travail remarquable fait par Aubry sur le projet, nos réponses n’impriment pas. Pourquoi ? Parce que l’irresponsabilité domine, parce que les chamailleries des socialistes brouillent le message du PS. Dans la crise, il faut du sang froid, du discernement, de la dignité. Si le grand débat de la rue de Solférino, c’est de savoir si la candidature de François Hollande et la fatwa de Mélenchon vont interdire le retour de DSK, ou savoir si le retour de DSK va marginaliser le radicalisme bon teint de Benoît Hamon et si un troisième peut revenir du diable Vauvert pour imposer sa candidature et perturber l’ensemble du dispositif, bref si on substitue au récit national celui de Solférino 2012, on trouble la capacité de perception des réponses.
La plupart des socialistes avaient bien perçu ce danger et militaient pour une désignation moins tardive du candidat ? Or vous avez refusez cette option pour protéger votre champion !
Cela ne changerait rien. Le problème n’est plus tôt ou tard. La question, c’est de placer les socialistes devant leur responsabilité. On ne peut pas faire croire aux Français que nous sommes le parti de l’intérêt général, et collectionner les intérêts particuliers.
La privatisation de la réponse politique, le « moi-je-personnellement » l’emporte sur notre action collective. Chacun préfère pour être repéré, se singulariser. Et comme on ne peut pas se distinguer sur le fond car globalement tout le monde est conscient des marges de manœuvre limitées de la France, il faut se distinguer sur la forme.
Il y avait une temporalité fixée, le projet, le candidat, et le rassemblement de la gauche. D’emblée, on ne l’a pas respectée. Je ne jette la pierre à personne, c’est un problème collectif. Je rappelle seulement, que François Mitterrand a gagné parce qu’une génération a décidé non pas d’abdiquer mais de se ranger derrière lui. Et pourtant les talents n’étaient pas moindre que ceux d’aujourd’hui, mais aucun n’a dit, ça va passer par moi, ils se sont mis dans un dispositif collectif.
Mais DSK contrairement à François Mitterrand que vous citez, est un candidat fantôme. Sa propre responsabilité n’est-elle pas d’accélérer son calendrier ?
Non, je ne peux pas vous dire qu’il faut respecter les rythmes et les calendriers et demander à Dominique d’accélérer le sien. Dominique doit être patient dans ce monde impatient. Je ne connais pas ses intentions, mais il doit être l’homme qui ne se précipite pas. Bref s’il était candidat, il devrait être dans son attitude l’anti Sarkozy. Martine Aubry est dans la même logique que DSK, elle ne se laisse pas dicter son calendrier par les autres.
Les Strauss-kahniens s’interrogent sur la pertinence de la primaire. Faut-il la maintenir ?
Oui. Si un sondage nous conduit à changer le dispositif, c’est que l’extrême droite nous dicte le calendrier. Certes il faut entre nous un code de bonne conduite. Mais changer sans arrêt sur tous les sujets ne rassure pas les français, nous participons de l’affolement général.
Vous craignez une campagne antisémite ?
Non, la France ne le permettrait pas. Mais il est évident que l’UMP face au risque de tout perdre, présidence, assemblée, sénat, collectivités aura la tentation d’abimer l’adversaire. Nous aurons une campagne très dure. Elle a déjà commencé. La stratégie du terroir est une faute éthique mais aussi politique. C’est considérer que les Français n’entendent rien aux grandes questions et qu’il vaut mieux leur parler de leur périmètre. C’est tout ce que la France déteste.