Jean Christophe Cambadélis " plaidons pour le réalisme de gauche "
Libération publie aujourd’hui une interview que Socialisme & Démocratie 32 vous propose de retrouver ci-dessous:
Libération: L’entente cordiale DSK-Aubry, c’est fini?
J.C Cambadélis: Prenons un peu de hauteur. La France, comme l’Europe, vit une crise économique et politique. Seule la gauche est en situation de créer le choc de confiance qui nous permettrait de nous en sortir. Voilà pourquoi, au PS, nous sommes condamnés à nous entendre. On est en train de nous refaire le coup qui avait été fait à Ségolène Royal: on a un leader plébiscité par les sondages, mais qui diviserait la gauche, et un leader adoubé par le parti, mais qui diviserait le pays! Si on rentre dans cette mécanique, à l’arrivée, ce sera Sarkozy.
L’éthique de responsabilité va donc pour une fois l’emporter au parti socialiste?
« C’est une nécessité absolue. Il vaut mieux se concentrer sur le projet, l’alternative, la sortie de crise plutôt que sur des supputations autour de candidats qui n’ont d’ailleurs pas encore décidé s’ils l’étaient ou pas. Il faut faire de cette situation, où nous avons deux personnalités qui battent Sarkzoy dans les sondages, un atout, plutôt qu’un obstacle. »
Entre les deux, le pacte de non agression tient donc encore?
« Cela tombe sous le sens. C’est Nicolas Sarkozy qui sera le champion de la droite. Et même si les Français sont en colère, exaspérés par sa politique, notre victoire n’est pas mécanique. Il faudra être tous ensemble. Le moindre caillou dans la chaussure de la gauche serait un handicap pour le sprint final. »
En évoquant le « dogme » de l’âge légal de la retraite à 60 ans, DSK a pourtant pris l’exact contrepied de la position édictée 48 heures plus tôt par le parti et sa première secrétaire. Un petit caillou dans la chaussure de Martine Aubry?
« Il n’est pas le seul à penser cela. Mais ce n’est pas la position unanime du bureau national du PS. Dominique Strauss-Kahn parle depuis le FMI, et Martine depuis le parti. Chacun a ses contraintes. Et cela ne doit pas créer d’artificielles tensions. Sur le fond, les soixante ans ne doivent pas être un tabou, et ils ne l’ont d’ailleurs jamais été chez nous. Mais ils ne doivent pas non plus être un totem, qui ferait qu’une réforme serait juste ou fausse. »
Tout de même, l’incident n’est pas anodin…
« Je suis frappé par le fait que le buzz sur les retraites ait occulté l’essentiel: dans son intervention, DSK a plaidé pour la croissance, alors que le couple Merkel-Sarkozy se prononce pour une austérité renforcée. Il y avait là une profonde critique politique. »
Certains de vos camarades, à la lumière de cet épisode, se demandent si le projet de DSK est toujours socialiste. Qu’en est-il?
« Le FMI, ce n’est pas l’Internationale socialiste. Ce n’est pas le premier territoire socialiste libéré! Mais cela peut être le point d’appui pour un monde régulé. Sans changement de paradigme mondial, pas de vraie politique de gauche qui vaille. »
Le cas DSK semble pourtant crisper la gauche du parti, et surtout de la gauche. Ainsi Jean-Luc Mélenchon, pour qui le directeur général du FMI est un « affameur ». Que lui répondez-vous?
« Jean-Luc a le droit de préférer Chavez à Strauss-Kahn, et le PC chinois au dalaï-lama. Mais cela ne nous fait pas avancer d’un iota. A moins que par son intervention, il ait suggéré qu’il souhaitait participer à nos primaires. De deux choses l’une: soit il participe, et il choisit. Soit il ne participe pas, et il nous oublie. Au-delà, je voudrais dire qu’ une gauche irréaliste n’est qu’un rêve. Et un réalisme sans gauche, un cauchemar. Plaidons donc pour le réalisme de gauche. »
Entre une Aubry plutôt rassembleuse à gauche, et à ce titre meilleure candidate de premier tour, et un DSK qui grapille au centre et à droite, et donc susceptible d’emporter le second, quel camp faut-il choisir ?
« Pour l’instant, tout ceci n’est que spéculation. Il faut faire un bon premier tour pour espérer gagner le second. »
Vous même, à la fois lieutenant de Strauss-Kahn et d’Aubry, ne vivez-vous pas difficilement cette double allégeance?
« J’ai deux amours, DSK et Aubry. Mon pari est le pays… »
Reste qu’on a récemment noté quelques signes de crispation entre aubrystes et strauss-kahniens, comme le fait que Martine Aubry ait confié à Laurent Fabius le pilotage de la convention du PS sur les questions internationales, dont vous êtes pourtant le responsable. Pas trop déçu?
« Je n’ai pas la vocation d’être un porteur d’eau toute ma vie. Mais réfléchir avec Laurent Fabius, ce n’est pas une punition. Plutôt un honneur. Si Martine Aubry m’a demandé de le faire, comme elle m’avait demandé de travailler avec Ségolène Royal à l’Internationale socialiste, ou avec Pouria Amirshahi, de la gauche du parti, c’est qu’elle m’en croit capable. »
Recueilli par David Revault d’Allonnes
Source LIBERATION