L'abstention, ce mal qui ronge notre démocratie
Un mois après sa victoire à la présidentielle, François Hollande peut trouver bien des sources de satisfaction dans les résultats du premier tour des élections législatives de dimanche 10 juin. Rien n'est joué, certes. Point de triomphalisme au soir de ce scrutin parmi ses partisans. Le second tour sera décisif.
Il reste que les Français ont confirmé, dimanche, leur choix du 6 mai. La gauche arrive nettement en tête, la droite parlementaire résiste. Les ministres choisis par le président ont été agréés par les électeurs. A l'Assemblée nationale, le PS pourrait à lui seul avoir la majorité - alors qu'il n'est pas certain que les Verts ou le Front de gauche pourront y consister chacun leur groupe. Quelques ténors à ses yeux encombrants pourraient en être absents : Jean Luc Mélenchon est éliminé, François Bayrou et Ségolène Royal sont menacés.
Il y a, néanmoins, dans ce scrutin du 10 juin, un gros point noir, pour François Hollande comme pour tous les démocrates, c'est le niveau exceptionnellement élevé de l'abstention. Plus de deux Français sur cinq (42,7 % des inscrits) n'ont pas voté. Cette élection n'a pas mobilisé. Les législatives, de tradition, intéressent moins que la présidentielle. Cette fois-ci, l'écart se creuse encore. Le taux de participation avait été supérieur à 80 % le 6 mai ; il n'était plus que de 57,2 % dimanche 10 juin. Il s'agit du taux le plus faible jamais enregistré lors de législatives depuis les débuts de la Ve République. L'élection présidentielle apparaît comme l'exception dans notre vie politique : contrairement aux autres scrutins, elle continue à mobiliser fortement, sinon à déchaîner les passions.
L'actuelle désertion des urnes, semblable à celle observée lors des élections intermédiaires (cantonales et régionales), confirme le décalage entre les Français et leur système politique ainsi que la crise de confiance qu'ils ressentent à son égard. Les plus jeunes et les plus déshérités, notamment (c'est parmi eux que se trouve le plus grand nombre d'abstentionnistes), doutent de la capacité des élus à répondre à leurs préoccupations.
L'exception, l'élection présidentielle, avec une participation toujours très forte, montre néanmoins que l'"aquoibonisme" n'est pas encore le premier mouvement politique dans notre pays. Les Français ne désespèrent pas de la politique. Mais ils sont à la recherche de l'homme (ou de la femme) providentiel. François Hollande souhaite, c'est l'un de ses engagements de campagne, un rééquilibrage des pouvoirs, avec un président qui préside, un gouvernement qui gouverne et un Parlement qui légifère. Il ne veut en aucun cas être l'hyperprésident que fut son prédécesseur. En votant massivement à la présidentielle, beaucoup moins aux législatives, les électeurs lui ont pourtant de fait conféré une légitimité incontestable. La présidentielle est en France l'élection reine. Le quinquennat a contribué à renforcer la présidentialisation de notre régime politique. A François Hollande de démontrer que la responsabilité présidentielle peut être exercée pleinement sans pour autant asphyxier le gouvernement et le Parlement.
Erik Izraelewicz, directeur du Monde.
Source LeMonde.fr