L'Etat social et la mondialisation
La mondialisation de l’économie implique-t-elle inévitablement une baisse de nos protections sociales ? Le penser, c’est comme le montre Jean-Fabien Spitz considérer qu’elles ne sont qu’un luxe auquel il faudrait renoncer en période de crise, alors qu’elles sont plus profondément ce qui permet à une société démocratique de fonder sa propre légitimité.
La plupart des commentateurs sont d’accord sur un constat : le mouvement contre la réforme des retraites est le signe de la réticence de la société française à accepter les effets de la mondialisation. Quels sont ces effets ? La protection sociale coûte cher et pèse sur la compétitivité des entreprises et, en clair, cela signifie que le fait que les salariés français bénéficient de retraites décentes, d’une éducation gratuite et d’un accès aux soins qui le demeure en principe également, entre dans les coûts des biens et des services produits en France et qui, de ce fait, ne peuvent rivaliser sur les marchés avec des produits et des services venant de pays dont la protection sociale est inexistante. La seule solution serait donc de couper dans les dépenses sociales, de réduire les déficits publics qu’elles entraînent, et de restaurer par ces moyens douloureux mais indispensables la compétitivité de notre pays sur le marché mondial. Ce raisonnement est simple et les dirigeants de la droite française ne comprennent pas qu’il y ait encore des égarés pour ne pas en admettre la pertinence et pour défendre des « acquis sociaux » dont le coût entraîne sans cesse plus notre pays vers le bas.
Les choses sont cependant moins évidentes qu’elles n’en ont l’air. Quelques mots d’abord sur le vocabulaire. Dans l’analyse dont on vient de tracer l’esquisse, les « acquis sociaux » paraissent comme un luxe, une sorte de transfert généreux de la part des entreprises, que l’on pouvait se permettre en période de prospérité mais auquel on devrait renoncer en période de vaches maigres. Ils s’apparentent aux bienfaits et avantages que le patronat paternaliste du XIXe siècle voulait bien consentir aux ouvriers par esprit de charité et par désir de paix sociale. Mais lorsque la survie de l’entreprise et de l’emploi est en jeu, cette bienveillance n’est plus de saison. Le marché polarise naturellement la richesse et, lorsque le jeu spontané des accords contractuels et des transactions volontaires est seul en action, les inégalités qui en naissent sont considérables sous le double impact de la différence des qualités naturelles des individus et du hasard. La redistribution d’une partie des richesses produites sous la forme de l’État providence est donc une anomalie par rapport à cette situation par défaut ; elle s’est produite – au lendemain de la seconde guerre mondiale – par le biais d’un ensemble de facteurs politiques où la montée en puissance de l’idée démocratique et la pression des idées socialistes jouent un rôle essentiel. Le résultat est que, au milieu des années 1970, la répartition de la richesse produite entre le capital et le travail s’était considérablement modifiée au bénéfice du second. Progressivement, et non sans pleurs et grincements de dents, on revient à une situation « normale » et les pays qui sauront le plus rapidement et le plus énergiquement tailler dans leurs dépenses sociales sont ceux qui retrouveront le plus vite le chemin de la compétitivité et donc de la prospérité. Revenir à la normale, cela signifie revenir à une situation où la collectivité ne s’emploie pas à transférer des richesses de ceux qui en produisent le plus à ceux qui en produisent le moins, mais où elle se contente de garantir les résultats des initiatives et des transactions privées, laissant chacun maître d’acquérir à leur prix marchand les biens et services en faveur desquels il veut arbitrer.
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