L'impact de la crise sur la pauvreté sera «considérable»

Publié le par SD32

crise--co-1.jpgEnfin! Pour la première fois, une étude évalue l'«impact de la crise sur la pauvreté». Réalisée par l'OFCE, elle sera rendue publique jeudi 25 février. Mediapart se l'est procurée. Ses résultats sont inquiétants. Le chômage resterait perché à 10% environ en 2012, et la foule des chômeurs de longue durée grossira de 600.000 chômeurs d'ici là. La pauvreté va gagner du terrain: pour deux personnes perdant leur emploi entre 2007 et 2010, une ou deux pourraient basculer en dessous du seuil de pauvreté. «La hausse du chômage aura des conséquences considérables en termes sociaux», prédit le rapport.

L'étude, encore inédite, devait être rendue publique jeudi matin 25 février. C'est ce jour-là que l'Observatoire nationale de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes), un organisme gouvernemental, doit remettre son rapport annuel sur la pauvreté, en présence de deux membres du gouvernement, Martin Hirsch, haut-commissaire à la jeunesse et aux solidarités actives, et Benoît Apparu, secrétaire d'Etat au logement. Cette année, l'Onpes a demandé à plusieurs équipes de chercheurs de travailler sur les conséquences de la crise. Une équipe de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le centre d'économie de Sciences-Po, s'est penchée sur une question cruciale: «L'impact de la crise sur la pauvreté». La France, lit-on, a connu en 2009 «sa plus profonde récession depuis la Grande Dépression des années 1930». Pourtant, jusqu'à aujourd'hui, très peu de données prospectives sur les conséquences de la crise étaient disponibles. Etonnant, alors que le chômage augmente et qu'un million de personnes perdront leurs droits à l'indemnisation chômage cette année.

Dans ce rapport de 51 pages que Mediapart s'est procuré, rédigé en novembre 2009 mais dont les données restent d'actualité, les chercheurs dressent un tableau du marché du travail jusqu'en 2012. Il est sombre. «La brutale montée du chômage [..] va se poursuivre dans les années qui viennent, préviennent-ils en introduction. [...] On entre aujourd'hui dans une phase de chômage durablement élevé. Cette hausse du chômage aura des conséquences considérables en termes sociaux.»

Les principaux enseignements de cette note, établie à partir des statistiques disponibles et de modèles économiques développés par les chercheurs eux-mêmes, sont très inquiétants. Malgré quelques signes encourageants, la crise n'est pas terminée: «Au cours de l'année 2010, l'activité devrait croître de nouveau (0,8% en moyenne annuelle) mais à un rythme très faible, insuffisant pour parler de reprise.» Mauvaise nouvelle: cela va durer. En 2011 et en 2012, la croissance ne serait, selon l'étude, que de 1,8%. Pas assez élevée pour résorber l'hémorragie des emplois héritée de la crise. Du coup, on comptera de plus en plus de chômeurs de longue durée, et la pauvreté va gagner du terrain.

Perspectives sombres pour le chômage jusqu'en 2012

Premier mérite de cette étude: elle dresse un bilan de l'ampleur des destructions d'emploi depuis le début de la crise. Une mise en perspective salutaire, qui intègre les données existantes pour 2008-2009 et évalue les destructions d'emploi à venir en 2010. «Globalement entre 2008 et 2010, tous les secteurs économiques vont connaître une contraction de l'emploi, à l'exception du secteur des services non-marchands» de la sphère publique, qui ont continué de croître. Dans l'automobile, 260.000 emplois auront été détruits en trois ans (un quart des effectifs de 2008); 114.000 dans le BTP, dont 30.000 intérimaires; 189.000 dans les services marchands (commerces, transports, banques etc.)... Fin 2010, le taux de chômage pourrait atteindre 10,6% de la population active – selon l'Insee, il s'élevait à 9,5 % de la population active (2.583.000 chômeurs) au troisième trimestre 2009.

«L'ajustement du marché du travail va continuer», martèle Eric Heyer, un des coauteurs. Si le chômage semble avoir atteint un pic en septembre 2009, «la situation du marché du travail demeure[ra] ensuite très dégradée, ce qui se traduit par une stabilisation du nombre d'entrées au chômage, mais les sorties demeure[ron]t peu nombreuses. Les flux de demandeurs d'emplois entrés à Pôle emploi lors du pic de la crise se reporte[ron]t ensuite progressivement vers les catégories de chômeurs de plus longue durée.»

L'OFCE prévoit que «le nombre de chômeurs de très longue durée ne cessera d'augmenter jusqu'à la fin 2012». Le taux de chômage devrait osciller entre 9,4 et 10,4% en 2012. Donc au mieux, il stagnera. Mais le scénario d'une augmentation n'est pas exclu. Tout dépendra en fait des gains de productivité des entreprises. Si, quand l'activité redémarre, les entreprises réorganisent leur production et investissent dans des machines plus performantes sur un rythme plus soutenu qu'au cours des années précédentes, elles risquent d'ajuster encore davantage les effectifs...

Sur la base des données mensuelles du chômage collectées par Pôle emploi et de l'activité dans les différents secteurs de l'économie, l'OFCE a calculé le nombre de chômeurs en décembre 2012: il pourrait être de 3 millions, ce qui équivaudrait à 3,9 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi et tenus de faire des recherches actives. Surprise: le pic ne sera atteint qu'en juin 2011. «C'est dire les effets d'inertie sur le marché de l'emploi après une crise de cet ampleur, explique Marion Cochard. Malheureusement, les gens qui ont perdu leur emploi au plus fort de la crise risquent de basculer vers le chômage de longue durée.» Si le pic des demandeurs d'emplois de moins de 3 mois et de 3 à 6 mois a d'ores et déjà été atteint, il reste encore à venir dans toutes les autres catégories, dont les effectifs auront gonflé de façon spectaculaire (tableau). Ainsi, en 4 ans (janvier 2008-décembre 2012), le nombre de demandeurs d'emploi recherchant un emploi depuis plus d'un an augmenterait de 594.000. Des personnes durablement éloignées du marché du travail, confrontées au fort risque de ne rien retrouver...

Hausse de la pauvreté et de la précarité

C'était en décembre. La crise «est en train d'accélérer la paupérisation», confiait à Mediapart Xavier Timbeau, directeur adjoint de l'OFCE. A la lecture du rapport, on comprend mieux sa prophétie. Les chercheurs ont en effet tenté d'évaluer l'incidence de la crise, et en premier lieu du chômage, sur la pauvreté. Complexe, car la pauvreté dépend de facteurs multiples: les ressources du ménage dans lequel on vit, mais aussi l'évolution des revenus des autres ménages, etc. De plus, le taux de pauvreté en France est calculé de façon relative, puisqu'il est correspond à 50% ou 60% du revenu médian (plus de détails ici, sur l'excellent site de l'Observatoire des inégalités).

«Une prévision de pauvreté est un exercice périlleux», lit-on. Mais au-delà de ces précautions méthodologiques, les chiffres avancés sont éloquents: entre 239.000 et 523.000 personnes pourraient avoir basculées en dessous du seuil de pauvreté entre 2007 et 2010. Pourquoi cette différence? Tout dépend du mode de calcul utilisé. «Dans le premier cas, nous avons considéré que les revenus des ménages diminuant à cause de la crise, le seuil de pauvreté global s'est abaissé pendant ces trois ans, explique Guillaume Allègre, le chercheur qui a effectué le calcul. Dans l'autre cas, nous avons gardé le seuil de 2007 comme référence. La réalité sera certainement quelque part entre les deux estimations.» En résumé, pour deux personnes qui ont perdu leur emploi entre 2007 et 2010, une ou deux ont basculé en dessous du seuil de pauvreté.

Logiquement, les dépenses liées au RSA (ex-RMI), financées par les départements, vont bondir: +10% sur la même période, «taux comparable à ce que l'on avait observé avec le RMI lors de la crise de 1993», précise Guillaume Allègre. «Ce qui peut poser problème au niveau des finances des collectivités territoriales qui sont compensées par l'Etat avec retard au titre de ces dépenses», lit-on dans l'étude. A titre d'exemple, le conseil général du Nord estime que l'Etat lui doit 275 millions d'euros au titre du seul RMI pour la période 2004 et 2008.

Précision utile : «L'impact de la crise sur la pauvreté que nous avons tenté de quantifier ne tient pas compte d'éventuelles mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre la précarité ou mieux indemniser les chômeurs en fin de droits», dit Guillaume Allègre.

S'il le souhaite, l'Etat peut donc faire mentir ces chiffres en agissant vigoureusement. Le fera-t-il? Le gouvernement, les syndicats et le patronat se penchent actuellement sur la question des chômeurs en fin de droits. De nouvelles mesures anti-crise pourraient être annoncées au printemps. Difficile pourtant de penser qu'elles seront généreuses. Le déficit de l'Etat est de 150 milliards d'euros et il est plus que jamais question de rigueur...


Rapport ONPES.pdf

Source  Médiapart

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