La crise, les économistes et le prix Nobel d'Elinor Ostrom

Publié le par SD32

Quand une discipline savante joue un rôle aussi central que l'économie à l'échelle mondiale, il est inévitable que l'usage qui en est fait dans l'espace public soit la source de nombreuses interrogations. Comment la discipline peut-elle entrer en dialogue avec d'autres démarches elles aussi rigoureuses ?
Le cas du prix décerné cette année à Elinor Ostrom offre justement un bel exemple d'une rencontre fructueuse entre science économique et philosophie politique.


POUR beaucoup de commentateurs, la récente crise financière trouve son origine dans l'évolution de la science économique depuis les années 1970. Bien sûr, va l'argument, l'appétit au gain, les comportements mimétiques ou la défaillance des régulateurs ont joué un rôle direct. Mais in fine tout ceci aurait été permis par la pensée des économistes. La proposition n'est pas banale, puisqu'en somme elle affirme un effet puissant de l'observateur ou du théoricien sur la réalité qu'il étudie. Un tel pouvoir met donc en question le statut contemporain de la science économique, tout à la fois comme la plus forte, la plus légitime et la plus politique des sciences sociales.

Cette critique de l'économie et des économistes est cependant différenciée. Par exemple, les questions du libre-échange, de la privatisation ou du marché du travail ne sont pas vraiment affectées par la crise. Plus généralement, celle-ci n'est pas en soi une crise de la globalisation, même si à certains moments des scénarios catastrophe auraient pu la mettre en question. L'axe central des critiques, on le sait, porte sur la finance et ses liens avec la régulation monétaire et les banques centrales. Greenspan, donc, est Le Grand Mort de la crise : il a formalisé puis coagulé autour de sa pratique une doctrine de la politique monétaire qui a contribué à la crise, mais aussi à une réaction insuffisante face à ses signes avant-coureurs.

Par des publications très nombreuses, la profession économique a aussi donné son aval à cette doctrine et elle se trouve donc mise en question aujourd'hui, sur deux plans : le travail scientifique proprement dit et les règles internes à cette communauté épistémique, qui n'a pas su accorder toute l'attention nécessaire aux analyses et aux signaux divergents. De fait c'est un certain conformisme interne qui est mis en question. Ainsi, il serait amusant, ou navrant, de relire aujourd'hui les articles autorisés qui, en 1994, ont marqué dans la presse les cinquante ans de la mort de Keynes. L'homme était remarquable, concédait-on, mais l'œuvre irrémédiablement passée.

Ceci pose donc la question de la capacité de légitimation de l'économie dans l'espace public. C'est-à-dire cette relation sans pareil entre une discipline souvent absconse, très fermée sur elle-même, et l'exercice légitime du pouvoir dans la société, que ce soit par les financiers, les experts, les politiques ou les économistes. C'est sans doute sur ce plan que le débat est resté un peu en retrait.

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