La stratégie du pyromane par Gilles Finchelstein

Publié le par SD32

gilles-finchelstein.jpgY a-t-il aujourd’hui une banalisation du Front National ? Oui. Le parti d’extrême droite ne compte certes qu’une petite poignée de conseillers généraux, mais il est le vainqueur incontestable des élections cantonales. Surtout, les dernières études d’intention de vote placent systématiquement Marine Le Pen à des niveaux de premier tour que n’avait jamais atteints son père – allant souvent jusqu’à éliminer Nicolas Sarkozy, voire le/la candidat(e) de la gauche, du second tour.

Quelle est la responsabilité du Président de la République dans ce processus ? Elle est majeure. Il faut à la fois en relever les signes et en comprendre les causes.

Sa responsabilité est triple :

  • Elle est stratégique. Le refus de participer au front républicain réclamé par l’ensemble des partis de gauche aussi bien que par de nombreux membres de sa majorité brise une très ancienne tradition républicaine. Placer sur le même plan Parti socialiste et Front national, c’est reconnaître implicitement que le parti d’extrême droite est finalement une force politique comme les autres – un parti banal. En refusant de donner une consigne de vote, Nicolas Sarkozy banalise donc le Front national en tant que force politique.
  • Elle est sémantique. Parler de « racailles » comme le fit Nicolas Sarkozy en 2007 ou de renvoyer les immigrés « dans des bateaux » comme l’a récemment proposé la députée UMP Chantal Brunel, c’est littéralement ôter les mots de la bouche de Le Pen. Déclarer, comme l’a fait il y a quelques jours le ministre de l’Intérieur, que « les Français veulent que la France restent la France », c’est paraphraser le slogan frontiste « la France aux Français ». En adoptant ainsi la rhétorique et les mots frontistes, Nicolas Sarkozy et sa majorité banalisent le Front national en tant qu’expression d’une soi-disant analyse politique.
  • Elle est idéologique. Faire, alors qu’on est Président, le lien entre immigration et délinquance, ou bien se servir des institutions de la République pour instrumentaliser des débats sur l’identité nationale ou sur l’Islam, c’est banaliser le Front national en tant qu’offre politique – c’est littéralement faire rentrer cette offre dans le cadre de la République.

Mais la responsabilité de Nicolas Sarkozy dans le processus de banalisation du Front national a également des causes plus profondes, qui tiennent autant à son absence d’efficacité qu’à son incapacité à dégager un sens.

Nicolas Sarkozy n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites aux Français. Il n’est pas le Président du pouvoir d’achat – il a préféré consentir des cadeaux fiscaux exorbitants aux Français qui étaient déjà les mieux lotis. Il n’est pas le garant d’une République irréprochable – le terme même fait aujourd’hui sourire douloureusement, tant la liste des manquements à la probité la plus élémentaire est longue. Il devrait être le Président de tous les Français ; il les dresse en réalité les uns contre les autres : les chômeurs contre les salariés, les salariés du privé contre les fonctionnaires, les policiers contre les juges, les Français d’origine étrangère contre les Français de naissance. Cette absence dramatique d’efficacité décrédibilise l’action politique tout entière aux yeux des électeurs – c’est elle qui donne corps à la stigmatisation par Le Pen du système « UMPS », pas le front républicain.

Surtout, Nicolas Sarkozy a totalement échoué à donner un sens à notre pays. Nul ne peut dire quel est le cap tenu par le Président de la République. Cette incertitude aggrave encore l’angoisse qui sourd dans le pays d’un avenir qui semble nous échapper.

Reste à comprendre ce qui est apparemment incompréhensible : pourquoi Nicolas Sarkozy adopte-t-il une stratégie qui conjugue aujourd’hui indignité et inefficacité ?

Sa campagne de 2007 était frappée du sceau de l’ambivalence : il glorifiait d’une part Blum, Jaurès et Guy Môquet et annonçait d’autre part la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale – sa cible de l’époque était les milieux populaires. Nicolas Sarkozy est aujourd’hui sorti de cette ambivalence, parce que sa cible a changé : il vise les électeurs du Front national.

Il est ainsi passé d’une grille de lecture sociologique à une grille de lecture purement politique de la société. Il tente de changer le terrain de l’affrontement politique – du social, il se dirige vers le national. Son pari : arriver malgré tout devant Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle et rendre naturel le report du second tour. Ce pari est risqué : il s’éloigne des préoccupations des Français, qui veulent beaucoup plus entendre parler d’emploi, de pouvoir d’achat ou de santé que de sécurité. Ce pari est dangereux : le risque, c’est de voir monter le Front national plus haut encore.

Il ne faut pas jouer avec une boîte d’allumettes. Surtout dans une pièce bourrée d’explosifs.

 

La suite : la stratégie du pyromane

Publié dans Politique

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C
<br /> Excellent article ! Vous avez raison de dire que la droite banalise le Front national en prenant les mêmes positions que le FN sur plusieurs questions de société. Il est vrai aussi qu’elle joue<br /> avec le feu en faisant ceci. Nous, on en est parfaitement conscient, mais allez un peu sur le terrain pour demander aux gens ce qu’ils en pensent eux et vous les entendrez dire que c’est la gauche<br /> qui fait monter le Front national. Qui a donc raison ? À qui la faute ? À la droite ? À la gauche ? Attention, un proverbe allemand dit : Quand deux se disputent, c'est le troisième qui ramasse la<br /> mise.<br /> <br /> Oui, c’est vrai. Ce n’est pas bien ce qu’a fait Sarkozy pendant sa campagne en 2007, vous avez mille fois raison avec tout ce que vous dites, mais on ne peut pas oublier qu’il y avait tout un<br /> calcul politique derrière (report de voix etc.) et que tous les coups sont permis pendant une campagne électorale. Les gens ne lui en veulent plus pour ça aujourd’hui. Le vainqueur, il force<br /> l’admiration tandis que le perdant ne récolte que sarcasme, mépris et indifférence. C’est comme ça, on n’y peut rien.<br /> <br /> La banalisation du Front national n’est pas une bonne chose, elle est dangereuse, mais est-ce que sa diabolisation est une solution pour autant ? Sincèrement, je ne le crois pas. Je pense que la<br /> gauche a un grand travail pédagogique à faire. Il faut trouver le moyen de s'adresser aussi à cet électorat et à tous les gens sensibles au discours du Front national, car autrement, on les laisse<br /> devenir la proie du Front National.<br /> <br /> Cela fait des années que la gauche ne change pas de discours et qu’elle passe complètement à côté des aspirations des gens. J'ai souvent critiqué nos élus dans leur façon de faire campagne et quand<br /> je vois certains tracts qui sont trop intello, je m'énerve, même si les arguments sont bons sur le fond, parce que ce n'est pas avec ce langage qu’ils vont attirer cette partie de l’électorat.<br /> Quand c’est trop haut, c’est inaccessible pour eux. Je trouve que la plupart des papiers du PS ne sont pas faits pour être compris par la grande majorité des Français. La gauche, elle parle à la<br /> gauche, elle prêche la bonne parole dans sa propre paroisse. Elle est tellement enfermée dans son idéologie qu’elle n’arrive pas à percevoir les changements qui s’opèrent dans une société de plus<br /> en plus individualiste et d’adapter son discours en conséquence.<br /> <br /> Les propositions de la droite ne sont pas toujours très lucides d’un point de vue économique, mais dans leur présentation, elles ont le mérite d’être simples, claires et faciles à retenir. Ses élus<br /> et même les représentants du FN, savent parler aux gens et parler des choses qui leur vont droit au cœur, peut importe si la politique qu’ils mènent après contraste singulièrement avec leurs propos<br /> d’avant. Ce qui reste dans l’esprit des gens, c’est ce qu’on leur a expliqué avant et ils trouvent mille excuses pour justifier l’échec de la politique menée par leur champion et les équipes en<br /> place. Allez faire campagne et vous entendrez beaucoup de gens vous dire que la situation d’aujourd’hui, c’est la faute de Mitterrand et des socialistes.<br /> <br /> Dans quatre ans, cela fera vingt ans que la gauche n’aura pas été au pouvoir, à la tête de l’État, car dans un régime présidentiel, c’est là haut que tout se décide, et ce serait toujours la faute<br /> de la gauche si tout va mal aujourd’hui ??? Des fois, j’ai l’impression que les gens n’ont aucune instruction civique et qu’ils croient sérieusement qu’un petit élu local peut changer leur destin<br /> en influant sur les grandes décisions.<br /> <br /> Les gens ne connaissent pas les compétences des élus locaux, départementaux, régionaux et nationaux. Ils ne font pas la différence. Ils vous disent que les socialistes ont vidé les caisses, ont<br /> fait rentrer beaucoup d’étrangers dans le pays qui leur ont piqué leur travail et c’est pour ça que tout va mal dans ce pays. Ils s’adressent à un simple élu local pour des problèmes d’indemnités<br /> de chômage et s’énervent parce que l’élu n’a rien pu faire pour eux. Ils ne comprennent pas que leur perte d’emploi est une suite logique de la politique menée par l’État. Non, pour eux c’est le<br /> petit élu local qui doit résoudre tous leurs problèmes même s’il n’a aucun pouvoir.<br /> <br /> Et à côté de ça, vous avez une gauche qui n’a pas un discours mais dix discours différents, ou plutôt autant de discours que de ténors politiques. Alors les gens ne s’y retrouvent plus : le<br /> discours de Mélenchon est à mille lieues de celui du PS. Conséquence ? Ils se réfugient dans des valeurs sûres, c'est-à-dire le vote conservateur. C’est classique, plus ça va mal dans un pays, plus<br /> il y a des incertitudes pour l’avenir, plus les gens se renferment sur eux-mêmes et plus ils sont sensibles aux sirènes des leaders populistes. Ils n’ont même pas besoin d’être racistes ou<br /> nationalistes pour ça. Leur vote exprime le désir d’un retour en arrière, au bon vieux temps, la France d’avant, les temps de l’insouciance etc..<br /> <br /> Face à l’inquiétude des gens d’une incertitude économique croissante, le rôle du PS n’est pas d’être constamment dans l’attaque. Il a un grand travail d’explication à faire. Il est vrai que la<br /> gauche est depuis longtemps dans l’opposition et qu’elle a pris l’habitude d’être dans un esprit d’opposition plutôt que dans un esprit de proposition réaliste et pragmatique. Plein des gens vous<br /> diront que la gauche n’a pas de programme et qu’elle n’en a jamais eu. Le PS a beau générer des tonnes de papiers tous les mois, personnes ne les lit. Les gens veulent des choses concrètes. Si vous<br /> pouvez leur donner un programme en dix points, c’est tant mieux, ils seront contents. Ils ne demandent pas plus. Revenez sur terre, parlez-leur de leur vie et de leur avenir et ils vous écouteront.<br /> Je ne vois pas d’autre moyen pour contrer le Front national.<br /> <br /> <br />
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