La TVA, les restaurateurs et la concurrence pure et parfaite...

Publié le par SD32

Le Parlement ne touchera pas à la baisse de la TVA sur la restauration. Certains sénateurs avaient pourtant tenté de revenir sur ce coûteux cadeau fiscal qui n'a pas provoqué la baisse des prix espérée. Une belle illustration des limites de la théorie standard appliquée au steak frites…


En proposant à l'unanimité, dans la matinée du 23 novembre dernier, un amendement au projet de loi de finances proposant le retour à une TVA à 19,6 % dans la restauration, la commission des Finances du Sénat savait déjà que cette proposition serait rejetée en séance plénière. Pour autant, les sénateurs, par ce mouvement d'humeur, ont voulu signifier aux cafetiers et autres restaurateurs le sentiment général de l'opinion à leur sujet : dans un contexte où les déficits explosent, où l'argent public se fait rare, il paraît de plus en plus difficile de justifier ce cadeau de 2,5 milliards d'euros fait à un secteur aussi peu soumis à la concurrence internationale.

Un cadeau significatif

Un cadeau fort significatif, car cette baisse de la TVA de 19,6 % à 5,5 %, dès lors qu'elle n'est pas répercutée sur les prix, s'est traduite par une très forte progression des marges, un peu comme si votre patron, du jour au lendemain, décidait de vous augmenter de 25 % ou 30 %… A dire vrai, officiellement, cela ne devait pas se traduire comme ça. Non seulement les prix devaient baisser − de près de 11,8 % nous annonçait très précisément Le Figaro en avril dernier, au lendemain de l'annonce de la mesure −, mais la profession devait investir dans la rénovation de ses établissements et négocier avec les organisations syndicales de salariés une revalorisation des salaires et des statuts afin de rendre le secteur plus attractif, notamment auprès des jeunes.

Aujourd'hui, on est loin de ce résultat : les prix ont baissé de 1,2 % en juillet, de 0,2 % en août et sont restés stables depuis. Et les négociations sociales se déroulent dans un climat assez peu favorable, le patronat se refusant à satisfaire les attentes des syndicats.

Une grande naïveté

Il apparaît donc que Nicolas Sarkozy a doublement raté son coup. Sur le plan politique, il pensait faire une bonne opération en satisfaisant une promesse, assez démagogique au demeurant, faite par son prédécesseur Jacques Chirac à une catégorie sociale qui constitue une clientèle électorale traditionnelle de la droite. Las, les clients des cafés, brasseries et restaurants étant bien supérieurs en nombre aux patrons desdits établissements, la mesure fait bien plus de mécontents que de satisfaits.

Sur le plan économique, il faut bien dire que le président a fait preuve d'une grande naïveté. Dans le timing de l'opération tout d'abord : mettre en œuvre cette mesure début juillet, au moment où, d'habitude, la profession augmente ses prix pour encaisser les bénéfices du surcroît de clientèle apporté par l'été, était bien maladroit. Ensuite − et c'est là une excellente leçon d'économie sur la notion d'élasticité et de concurrence −, les restaurateurs ont montré qu'ils avaient tout compris des limites de la théorie économique standard. Ils ont jugé préférable d'encaisser tout de suite l'effet de marge entraîné par la baisse de la TVA plutôt que d'attendre une hypothétique hausse de leur chiffre d'affaires en baissant leurs prix. En effet, Monsieur Dupont ne prendra jamais que trois repas par jour, pas un de plus ni un de moins, et a ses habitudes à la brasserie (dit autrement, la demande est inélastique et la clientèle assez captive). Il aurait été dans ces conditions totalement stupide de diminuer le prix de l'entrecôte frites, surtout quand les concurrents tiennent le même raisonnement (dit autrement : l'atomicité d'un secteur ne suffit pas à créer les conditions d'une concurrence pure et parfaite quand les conditions institutionnelles ne sont pas réunies) !

Le mal est fait

Sur ces bases, que peut faire le gouvernement ? Sans doute pas revenir à une TVA à 19,6 %. Non seulement parce que Nicolas Sarkozy n'est pas du genre à revenir sur ses promesses, mais surtout parce que, à coup sûr, les restaurateurs, pour le coup, répercuteraient cette hausse dans leurs prix ! Le mal est donc fait, les prix ne baisseront plus. Reste seulement pour le gouvernement à faire pression sur les organisations patronales pour qu'elles partagent le gâteau. Et le vote des sénateurs, même non suivi d'effet, va dans ce sens. Car il est urgent d'améliorer les salaires et les statuts des salariés du secteur. Au passage, on pourrait même régulariser les nombreux sans-papiers qui y sont employés…

 

Source Philippe FREMEAUX

Alternatives économiques

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