La victoire de la gauche normale... face à la droite amorale?

Publié le par SD32

Legislatives-2012.jpgAu lendemain de ce premier tour inutile de se payer de mots, la gauche - et particulièrement la famille socialiste - dispose de réelles raisons de se réjouir et peut envisager sereinement cette courte campagne vers le second tour. Oui ! La majorité absolue est à portée de voix puisque selon les différents instituts la PS et ses alliés pourraient obtenir entre 280 et 320 sièges...

Probablement autour des 300 avec un parti présidentiel qui - associé à ses alliés écologistes - tangente le niveau appréciable de près de 40% des suffrages exprimés ; Oui ! le leadership du PS à gauche se dessine franchement. Le choix de se distinguer privilégié par Europe Ecologie ou par le Front de gauche ne s'est pas révélé payant. Ni l'usage de marqueurs distinctifs – type la légalisation du cannabis - ; ni le choix de transformer la "scène électorale" en société du spectacle à la façon d'un Mélenchon sans doute trop extraverti pour un électorat avant tout soucieux, n'auront emporté l'enthousiasme de citoyens épuisés par l'interminable séquence présidentielle.

La victoire annoncée de la gauche normale dans le sillage du nouveau Président

Bien au contraire, aux outrances, les Français en général et les électeurs de la gauche en particulier ont préféré l'expression d'une "force tranquille". En ces temps de crise en effet, la claire volonté de changement qui s'est exprimée lors des élections présidentielles à travers le choix de François Hollande est manifestement emprunte d'une certaine gravité à l'image des débuts "jansénistes" du nouveau gouvernement. A la démonstration programmatique d'une gauche teintée d'une sympathique utopie, les électeurs ont préféré une gauche de la raison qui a touché le cœur d'une majorité d'électeurs du camp progressiste si bien incarnée par la figure modérée et rigoureuse du nouveau premier ministre.

Un peu comme si les électeurs avaient voulu donner quitus à François Hollande et à son premier gouvernement pour son entrée en matière : rigueur du style, réalisme de l'action, justice des premières mesures de correction des inégalités à l'image de l'adaptation de la loi sur les retraites pour les carrières longues plébiscitée par près de 70% des Français... et 51% des électeurs UMP ou de l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire voire du blocage des loyers attendu par un électorat populaire dont le pouvoir d'achat avec l'emploi demeure - et de loin - la première priorité.

Ce quitus donné au gouvernement se mesure à quelques chiffres. A l'occasion d'un sondage réalisé le jour du vote par IPSOS, 59% des Français ont exprimé le souhait que François Hollande et son gouvernement disposent d'une majorité à l'Assemblée Nationale, contre 41% qui sont d'avis contraire. Cela s'explique par la satisfaction de l'action du Président et du gouvernement (55%) et bien sûr du style (59%) du nouvel exécutif. Ce contexte a pesé favorablement dans le scrutin quand 52% des électeurs affirment avoir d'abord pensé à l'action du Président de la République en votant contre 48% qui ont privilégié les enjeux de circonscription.

Le spectre du contre modèle Sarkozy pèse encore sur l'élection

En outre, loin de vouloir renverser la table, les Français n'attendent le 10 juin au soir ni grand soir, ni épopées autant flamboyantes au commencement que décevantes à la fin. Ils restent encore manifestement fâchés du style Sarkozy avec qui "tout était possible"... surtout le pire ! C'est pourquoi ils saluent encore volontiers l'ode à la normalité qu'on nous sert à l'envi au sommet de l'Etat, autant qu'il ne boudent pas une gauche qui affiche sans complexe son réalisme économique dans un pays largement terrifié par la perspective d'un effondrement de la zone euro qui frappe désormais à nos portes à travers l'affaissement espagnol.

Parmi les abstentionnistes des choix très politiques

Si parmi les plus de 40% d'abstentionnistes, proportionnellement plus d'électeurs de droite ont oublié de se déplacer, faisant le choix de "voter avec les pieds", c'est comme si respectant une certaine cohérence politique, une part d'entre eux avait fait le choix - somme toute responsable - de ne pas ajouter "une crise politique à la crise économique" en prenant le risque - délétère - d'une nouvelle cohabitation. D'autant que le "Yalta de façade" présenté par la direction de l'UMP qui est porteur des divisions futures entre Juppé, Fillon, et Copé - encore sous-jacentes - laissait comprendre à qui tendait vraiment l'oreille que les impétrants avaient délibérément préféré "enjamber" l'élection plutôt que de s'y engager corps et âme... Au risque de réveiller une bataille pour le leadership temporairement mise en sommeil.

L'inversion du calendrier efficace électoralement, délétère démocratiquement

Au-delà des explications proprement politiques, il y a dans le succès d'hier des causes de nature structurelles : L'inversion du calendrier, qui, en réalité, constitue une évolution institutionnelle majeure, a démontré toute son efficacité : permettre au Président fraichement élu de disposer d'une majorité politique confortable à l'Assemblée nationale en évitant les affres d'une toxique cohabitation. Mais cette "efficacité électorale" a un prix réellement élevé... Et durablement incompatible avec une vie démocratique saine, celui d'une chute considérable de la participation entre le deuxième tour de la présidentielle - avec 80.4% de votants - et le premier tour, quinze jours plus tard, des élections législatives avec le taux la plus bas jamais atteint pour ce type d'élection de 57.23%. Cette si faible appétence pour le scrutin législatif - qui s'explique essentiellement par la lassitude et dans une moindre mesure par une faible compréhension du rôle de cette élection - contribue un peu plus à la démonétisation largement entamée du parlement - malgré de régulières et louables tentatives de réhabilitation - par rapport à un Président de la République qui apparait chaque jour davantage comme la clé de voute de notre système politique... On est donc loin du souhaitable équilibre des pouvoirs. Assurément cette cote mal taillée ne pourra rester en l'état. Or pour lutter contre cette abstention problématique, on parle de coupler élection présidentielle et législatives... Mais n'est-ce pas renforcer encore un peu plus la présidentialisation de nos institutions ?

Une gauche clairement majoritaire... grâce à ses seniors

Si à regarder de plus près, ce sont d'abords par les publics les moins politisés que l'abstention se développe lors d'un tel scrutin, la participation est tout de même nettement différenciée suivant les orientations politiques. Hier on a davantage voté pour conforter la victoire de François Hollande que pour affirmer son attachement à la droite ou exprimer le souhaite d'un rééquilibrage politique. Les publics traditionnellement les moins impliqués se sont bien plus abstenus : les plus jeunes avec 66% des 18-24 ans et 57% des 25-34 ans ou les catégories populaires avec 52% des employés ou 49% des ouvriers. A l'inverse ce sont les seniors qui ont le plus voté avec 75% de participation chez les "60 ans et plus"!

Cette participation est inégalement répartie en fonction des origines partisanes puisque 67% des électeurs se déclarant de gauche sont allés voter tandis que 60% des électeurs de droite l'on fait. Cette déperdition se fait d'abord par le centre puisque ce sont 49% des électeurs centristes et 53% des électeurs "plutôt à droite" qui ont voté contre 67% des électeurs "de droite" et 60% des électeurs très à droite. Si la gauche l'a emporté malgré la faible mobilisation de l'électorat populaire et des jeunes - ces segments forts - c'est que ce sont prioritairement les seniors de gauche qui se sont déplacés. On a ainsi constaté un rapport de force chez les plus de 60 ans beaucoup plus équilibré qu'à la présidentielle avec 44% des seniors qui se sont prononcés pour un candidat socialiste ou divers gauche (autant que pour la droite parlementaire) alors qu'au second tour de la Présidentielle, près de 6 séniors sur 10 ont voté pour Nicolas Sarkozy.

Législative : l'acte de décès du front républicain...

Au second tour la gauche devrait bénéficier comme toujours des excellents reports de son camp avec 92% des électeurs du Front de Gauche et 97% de ceux des verts. Quant au report des électeurs du FN sur le candidat de l'UMP ? Il est sensiblement plus fort qu'à la Présidentielle : 60% aujourd'hui contre 54% au soir du premier tour de la présidentielle. Cette pente naturelle des électorats de droite permise par la stratégie de dédiabolisation entamée par Marine Le Pen et accélérée par la stratégie "Buisson" a conduit comme c'était prévisible à la proclamation par la direction de l'UMP de l'acte de décès "Front Républicain".

Le temps de la grande recomposition est venu

Nous l'avions indiqué au lendemain de l'élection présidentielle, les valeurs désormais partagées entre une grande partie de la droite parlementaire et le FN, ainsi que la grande porosité constatée des électorats UMP / FN - qui est un fait - constitue l'une des évolutions principales de la séquence à laquelle nous assistons. Désormais plus rien ne s'oppose vraiment à la grande recomposition rêvée par certains. Certes les Français y restent largement opposés puisque 61% d'entre eux refusent cette perspective ; Mais à l'inverse deux tiers des électeurs UMP (66%) et FN (64%) sont favorables à un accord de désistement réciproque comme en témoigne cette même étude IPSOS... Cette nouvelle alliance déjà largement dessinée et assumée dans les rangs de l'UMP permettra peut-être dès la semaine prochaine à de nombreux députés de droite de sauver leurs têtes. Elle constituera demain sans doute dans de nombreux territoires - notamment dans la façade Est de la France, dans les territoires périurbains et dans un grand quart sud-est - la matrice des droites réunies dans l'opposition par une nouvelle alliance plus ou moins assumée qui tentera dès le prochain "train" d'élections territoriales de 2014/2015 de reconquérir une partie du pouvoir perdu. Voilà la gauche prévenue !

 

François KALFON

Conseiller régional d'Île-de-France, et Secrétaire national, délégué général aux études d'opinion au Parti socialiste

Source The HuffingtonPost

Publié dans Politique

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