Le jour d'après par Anne SINCLAIR

Publié le par SD32

anne sinclair 5 mars 2012Un lendemain de premier tour, les électeurs digèrent les résultats, et regardent ce qui s'est passé dans leur ville ou dans leur région. Ou tout simplement, comme la majorité des citoyens, commentent les scores de chaque candidat devant la machine à café, avant de "reprendre une occupation normale" comme dit PPD à la fin de la séquence des Guignols.

Les candidats, eux, on l'a vu, ne perdent pas une minute: ils n'avaient que quelques heures dans la nuit pour écrire leur profession de foi, avant de repartir au combat dont chacun prévoit qu'il sera un corps à corps.
Quant aux journalistes, ils dissèquent, analysent, se projettent vers le second tour, fatigués comme les candidats, mais moins fébriles qu'eux.

Si vous m'y autorisez, un petit retour donc sur la soirée de dimanche : la forte mobilisation a rassuré les citoyens que le spectre de l'abstentionnisme hantait. Mis à part quelques instituts, on la prédisait presque aussi forte qu'en 2002. Elle fut seulement un peu plus importante qu'en 2007. Non pas forcément comme on l'a dit un peu vite, parce que la campagne aurait finalement plus intéressé les électeurs qu'on ne l'avait cru (la question posée par ViaVoice pour Le Huff Post est à cet égard éclairante : les projets des candidats ont laissé les Français largement indifférents). Mais parce qu'ils avaient quelque chose à dire, leur rejet, leur colère, leur malaise, leur mal-être. Et c'est finalement assez démocratiquement rassurant que la colère s'exprime dans les urnes plutôt que dans le découragement, prélude à beaucoup d'aventures.

Et c'est ce que François Hollande doit comprendre pour l'emporter au second tour : le total des voix de gauche est élevé mais l'enthousiasme est absent. Il va lui falloir parler aux citoyens de tout ce qui s'est trouvé négligé dans cette campagne : le chômage, le pouvoir d'achat, la pauvreté, les quartiers délaissés, bref, la peur d'un lendemain qui pourrait ne plus jamais chanter. Il va falloir clarifier sa position sur l'Europe, ne pas seulement "envisager" une hausse du smic, prendre quelques risques, donner une vision, déclencher une adhésion plus qu'emmagasiner le rejet. Essayer de donner cette dynamique qui peut enflammer les foules et transformer une élection par refus de l'autre en victoire par l'adhésion à ses propositions.

Nicolas Sarkozy, a eu beau tenter de rassurer ses électeurs en leur disant que tous les pronostics le donnant battu étaient des leurres, il m'a fait penser à la fameuse phrase de Ségolène Royal, au soir du deuxième tour de 2007, et où, largement battue par Sarkozy, elle donnait rendez-vous à ses partisans en pleurs en leur promettant "de (les) emmener vers d'autres victoires".
Notons en passant l'étrange impression que faisait le discours du Président sortant à la Mutualité dimanche soir : dans son texte écrit, il a d'abord tenté de donner du cœur au ventre à ses troupes déçues, puis, improvisant quelques mots, il donnait le sentiment de les remercier avec nostalgie, presque comme un au revoir, avant de se reprendre et d'engager les militants à repartir sur les routes, dès ce lundi. Difficile de tenir deux semaines quand le vent est contraire.
Car il reste peu de cartes à jouer dans la manche de Nicolas Sarkozy, mais on peut être sûr qu'il les jouera toutes.
De la même manière qu'il a égrainé pendant deux mois une promesse par jour, il va tenter de donner le tournis à François Hollande en le défiant quotidiennement. L'accusant de tout : d'être faible en refusant les trois débats qu'il propose (lui-même s'étant réfugié derrière un "ce n'est pas la tradition" pour refuser les débats du premier tour que réclamaient les "petits" candidats).
Il le désignera comme un "bleu" sur la scène internationale - le candidat socialiste n'ayant jamais gouverné et peu voyagé - et incapable de faire face à la crise qui risque de s'amplifier en Europe et qui peut toucher la France.
Il le traitera d'angélique sur l'immigration, de flou sur le nucléaire, de dépensier quand la France croule sous les déficits.
Il l'accusera de mettre la France en danger s'il ne rétablit pas un protectionnisme d'ailleurs illusoire.
Il se battra comme un lion blessé, cherchant à faire mal et à prendre à l'arraché l'avantage en montrant courage et énergie.

Et c'est aux deux finalistes que va se poser le problème du "que dire" aux électeurs de Marine Le Pen. Ils représentent un Français sur cinq. C'est beaucoup, mais ce score de 17,90 % - et cela n'a pas été souligné dimanche soir - est en dessous de l'addition des voix de Jean-Marie Le Pen et de son lieutenant dissident Brunot Mégret en 2002 (16,86 + 2,34 = 19,2). Ce n'est pas pour minimiser l'importance du vote Le Pen de dimanche, mais pour remarquer que ce n'est pas la première fois que le FN fait ce score lors d'une présidentielle.

Alors en effet, que dire à cet électorat qui voudra être maître du jeu politique demain en tentant de recomposer une droite abîmée ?
Il y a deux façons de considérer ce vote extrême : comme son conseiller Patrick Buisson l'y invite depuis des mois - avec le succès limité qu'on a vu - Nicolas Sarkozy va sans doute jouer sur les valeurs traditionnelles de l'extrême-droite comme la protection des frontières ou la peur de l'immigré.
François Hollande ne négligera pas lui non plus, cet électorat convoité. Il convoquera la démondialisation sans le dire et les délocalisations en le disant. Il intégrera quelques thèmes qui furent chers aux "nonistes" qui se méfient de l'Europe. Plus qu'aux valeurs de l'extrême-droite, il parlera aux oubliés de la République et des quartiers, il tentera de convaincre les plus sceptiques des électeurs que tout n'a pas été tenté contre le chômage et le déclassement des classes moyennes.

Ce deuxième tour va être violent. On verra si François Hollande renonce à son flegme légendaire pour répliquer aux attaques au bazooka qui viendront de son adversaire. Les prochains jours vont être ceux d'une guerre de position. Dès la fin de semaine, on passera à la guerre de mouvement.

Anne SINCLAIR

The Huffington Post

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Je partage absolument l'article d'Anne Sinclair. Je voudrais juste préciser que :<br /> - En 2002 : Le Pen + Mégret = 16.86% + 2.34% = 19.20% soit 5 471 737 voix<br /> - En 2012 : Le Pen =17.90% soit 6 421 808 voix<br /> En 2012 : augmentation de 8.65 % de suffrages exprimés dans le même temps 8.50% d'augmentation de voix pour le FN !!!!<br /> C'est révélateur et inquiétant !
Répondre