" Le monde vous regarde Monsieur Le Président "
Bien sûr, la France n'est pas une puissance internationale suffisante pour captiver l'audimat étranger. Pourtant la presse internationale est en train de développer un intérêt grandissant pour le nouveau président français. Cet intérêt fut tardif car en proie à de nombreux préjugés.
Le New York Times, par exemple, s'est fait fort de colporter les surnoms du candidat Hollande, le présentant à de multiples reprises comme la "tortue" de l'élection, le "flanby" du paysage politique français (traduit en anglais par pudding ou marshmallow). Quant à The Economist, sa couverture spéciale sur la France comme pays "dans le déni" fut l'occasion de cibler plus particulièrement les "conséquences dramatiques" que l'élection de François Hollande engendrerait pour l'économie européenne du fait de la réaction des marchés.
Mais ce qui est devenu au cours des semaines une victoire probable de Hollande a incité les observateurs internationaux à y regarder de plus près. Si le personnage ne convainc pas encore forcément, le projet - socialiste malgré la crise - intrigue. On a d'abord vu Mario Draghi et Angela Merkel devenir peu à peu favorables à une politique de relance malgré le consensus européen en faveur de l'austérité. The Economist s'est rapidement fendu d'un nouvel article, cette fois présentant Hollande comme le "leader de l'axe de la croissance". Plus marquant, Fareed Zakaria, l'un des plus importants intellectuels publics américains réputé libéral, remarque que la réaction à la crise la plus marquée à gauche provient de France et que si celle-ci fonctionne, les politiques partout en Europe et même dans le monde en prendront note et se diront : "c'est la formule gagnante".
Les gouvernements jusqu'alors se sont convaincus que la solution à la crise du capitalisme financier mondialisé est un renforcement d'une politique libérale d'assainissement des comptes, le retrait de l'Etat supposé source de tous les maux, et le triomphe renouvelé de l'équation néolibérale. Or de 2008 à 2012 la situation a globalement stagné quand elle ne s'est pas empirée, laissant désormais les politiciens sans leur outil d'action - la politique - sacrifié au profit de l'autonomie des marchés.
C'est dans ce climat hostile que les Français ont décidé de porter au pouvoir un candidat qui a l'audace de réaffirmer la politique face à l'économie et de vouloir repenser la structure du système avant de le réparer. Dans un récent entretien avec Edgar Morin, il affirmait : "la mondialisation n'est pas une loi de la physique. C'est une construction politique. Ce que des hommes ont décidé et construit, d'autres hommes peuvent le changer. Le politique doit intervenir pour lutter contre l'économie de casino et la spéculation financière, pour préserver la dignité du travailleur et fonder la concurrence sur des normes environnementales et sociales".
Ce sont des phrases comme celles-ci qui poussent une partie de la droite néolibérale à décrier le socialisme comme idéaliste et inapplicable. Cette droite s'est réfugiée dans ce qu'on pourrait nommer une 'idéologie du donné', à savoir que les choses nous sont données telles qu'elles sont, que la mondialisation telle qu'on la connait est inamovible et que le changement ne peut être que le fait des ajustements aléatoires du marché. Par conséquent, toute tentative d'aller contre le marché relève de l'irréalisme. Le penseur Marcel Gauchet rappelle bien qu'une des matrices du néolibéralisme est de représenter le monde comme incertain et imprévisible et par conséquent d'abolir la possibilité d'action politique qui ne peut rien faire contre cette imprévision, en préférant les mécanismes d'ajustements de marché aux projets de société.
Le socialisme peut-il se relever de l'accusation d'irréalisme ? Pour certains, le parti socialiste d'aujourd'hui n'a de socialiste que le nom, c'est un parti qui a opéré sa conversion à la modernité, à l'individualisme démocratique, à l'économie de marché et à la liberté d'entreprise. En dépit de cela, le terme 'socialisme' ou de 'social-démocratie' semble reprendre de la vigueur sous un nouveau sens partout dans le monde. Aux Etats-Unis, il était jusqu'à peu une insulte politique. Aujourd'hui on ose le prononcer dans les couloirs du Capitole.
Le socialisme contemporain veut voir en l'histoire non le triomphe de l'imprévisible mais la possibilité de son inflexion par l'action politique. Il interprète le progrès comme une plus grande coopération dans la concurrence et non comme une plus parfaite mise en compétition des intérêts qui ne peut en définitive que creuser le sillon d'une vie en commun impossible. Il met au défi l'équation simplificatrice qui marque notre siècle -- la somme des intérêts privés peut-elle vraiment aboutir à l'intérêt général comme nous l'indique Léon Walras, un économiste du XIXe siècle ?
La social-démocratie à l'ère du néolibéralisme, si elle a eu ses représentants, n'a pas encore eu son moment. Mitterrand fut malgré tout aussi l'initiateur du tournant néolibéral de 1983 en France, comme le souligne Edgar Morin. En revanche on associe souvent François Hollande à Pierre Mendès-France et Jacques Delors, des sociaux-démocrates qui ont fait vivre leur projet sans le porter à la fonction suprême. Le nouveau président dispose donc de cette possibilité inédite, celle de faire valoir l'option de la social-démocratie dans le traitement de la mondialisation.
Porter un socialiste au pouvoir au moment où la plupart des pays ont préféré des gouvernements libéraux conservateurs pour faire face à la crise a une portée symbolique. Or face aux récents échecs, les yeux sont maintenant rivés sur l'alternative socialiste. Le prix Nobel d'économie et éditorialiste Paul Krugman s'en réjouit particulièrement: "la France va servir de prototype." Hollande le sait quand il dit dans son discours de victoire à la Bastille : "Vous êtes déjà un mouvement qui se lève partout en Europe et peut être dans le monde pour porter nos valeurs et notre exigence de changement". Ce qui est sûr c'est que le monde vous regarde, Monsieur le président.
Source Le Huffington Post
Par Eloi Saint Bris