Le PS dirige la France, la Grèce inquiète l'Europe
La parenthèse de 2007 est close: ses deux héros, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal auront été battus en moins d'un mois. Et le PS a, à lui seul, la majorité absolue. La page des cinq dernières années est tournée.
Close aussi, cette séquence politique interminable qui s'étale depuis les primaires socialistes. Lassitude des électeurs, lassitude des candidats, lassitude des médias, qui, n'ayant que peu de choses à se mettre sous la dent, ont vibré pendant quelques jours au rythme des tweets ou des blagues d'humoristes qui ont révélé cependant bien des choses malgré leur futilité.
Le PS domine absolument. Pour la première fois depuis 1958, la gauche détient la majorité absolue des principales institutions, notamment depuis la bascule inédite du Sénat à gauche. Pas de quoi s'en offusquer parce qu'il s'agit de la gauche, tant il est vrai que cette situation ne choquait personne quand la droite, pendant des années, a tenu tous les leviers de commande, (en ce sens la situation d'aujourd'hui est l'exacte symétrie de celle de 1995 quand la droite avait remporté les régions bien avant l'élection de Jacques Chirac)! Elle eut même, dans le passé, le privilège d'avoir les 3/5e du Parlement, ce qui lui permettait de changer la Constitution sans avoir à recourir au référendum.
Bref, les socialistes ont tous les moyens pour gouverner, ce qui leur simplifie la vie mais leur crée des devoirs impérieux et aucune excuse possible. Toutes les réformes devront être menées, et les promesses tenues, de l'emploi à la dette, sans échappatoire, en tout cas jusqu'aux municipales de 2014. Patience donc pour les dirigeants trop pressés de l'UMP auxquels ce tempo donne le temps d'adopter une ligne et une stratégie franches. On ne peut pas dire que ces élections législatives, après une présidentielle marquée à droite par une galopade derrière les thèmes du FN, aient clarifié les choses.
- Nadine Morano a perdu deux fois, son siège et son âme. Il lui restera Twitter pour se faire entendre des fans qui lui restent.
- Claude Guéant regrettera peut-être de ne pas être resté préfet et de s'être donné corps et âme à la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy.
- Ségolène est écrasée, elle a perdu La Rochelle et le perchoir, mais gagné un statut de victime qu'elle pourra faire valoir.
- Olivier Falorni est devenu une vedette grâce aux voix de la droite et au différend conjugal à l'Elysée.
- Marine Le Pen est battue de justesse, mais sa nièce de 22 ans, Marion, est élue ainsi que l'avocat Gilbert Collard.
Le FN revient donc à l'Assemblée Nationale malgré le scrutin majoritaire qui lui est très défavorable. Marine Le Pen ne se taira pas, elle veut, elle le clame, une recomposition de la droite et les tiraillements au sein de l'UMP montrent que la tentation sera grande pour une partie des militants de nouer des alliances avec le FN, alors que la porosité idéologique imprègne déjà certains élus et que le poison rôde.
Le centre est en miettes. J'ai dit ici ce que je pensais du sort réservé à François Bayrou qui eût mérité d'avoir une place dans l'hémicycle, mais comme l'a dit justement Marielle de Sarnez, la mort du centre a commencé il y a dix ans avec la création de l'UMP qui avait vocation de l'étouffer, même si le Modem a résisté un temps.
Donc, Hollande a gagné son pari. Il est Président, avec une large majorité. Il ne lui reste plus qu'à gouverner! A mettre en œuvre les réformes promises, à donner de l'espoir aux chômeurs et aux jeunes, et à veiller aux rétablissements des comptes publics. Travail de Titan quand on voit ce qui se passe en Europe et dans l'économie mondiale.
Le sort du Parlement français réglé, c'est du côté de la Grèce que maintenant tout le monde regarde. La Grèce où les armateurs restent à l'abri et où les moins fortunés ne peuvent plus payer leurs médicaments. Une Grèce qui se radicalise comme jamais depuis le temps des Colonels. Une Grèce désespérée, révoltée et résignée à la fois. Une Grèce avec un gouvernement presque impossible à constituer, alors que les deux partis qui arrivent en tête, Syriza (gauche radicale) et Nouvelle Démocratie (droite traditionnelle) sont eux-mêmes inconciliables. Qui gouvernera la Grèce demain? Une coalition avec Syriza et le Pasok (PS)? Une sorte d'union nationale entre Nouvelle Démocratie et le même Pasok? Ou encore une fois, la confusion?
Et face à elle, l'Europe frileuse tremble. Quand on pense que la Grèce ne représente que 2% du Produit intérieur brut européen, on s'interroge comme Vincent Giret dans Libération de vendredi: "Si l'Europe ne peut pas sauver la Grèce (...), comment sauverait-elle l'Espagne, l'Italie ou qui sait, demain, la France?"
C'est en effet la question. Il va falloir que François Hollande et Angela Merkel cessent de jouer au bras de fer avec les mots de croissance et d'eurobonds, et s'accordent dans un leadership commun.
Hollande croit que son plaidoyer pour le retour de la croissance, entendu avec raison un peu partout, a balayé tout le reste, alors que personne ne met dans ce mot, devenu magique, les mêmes remèdes.
Jean-Marc Ayrault, que l'on dit pourtant germanophile (il est en tout cas germanophone), conseille à Angela Merkel d'être moins "simpliste", elle même, taxant en retour de "médiocrité" les avis qui lui sont donnés par les Français. Ambiance. On s'en passerait bien.
François Hollande a donné le sentiment de croire qu'un axe Hollande-Monti pourrait représenter une alternative à l'éternel et inévitable Paris-Berlin, comme l'a cru à tort, en son temps, Nicolas Sarkozy, qui avait joué George Brown contre Angela. Déjà.
Malgré notre tropisme hexagonal qui nous fait considerer que seule compte la France et ses circonscriptions, il nous faut reconnaitre que l'Europe est aujourd'hui le seul souci du monde entier. Même des émergents pour lesquels jusqu'ici tout allait bien, mais que la menace européenne fragilise. Même Obama, qui, s'il se moque bien de nos élections françaises, a l'œil braqué sur Athènes, et sur la rencontre du 22 juin du quatuor européen avant le Conseil Européen des 28 et 29 juin.
C'est dire que les petites aventures et le sort de Mesdames Royal, Marine et Marion Le Pen, Messieurs Copé, Guéant, Bayrou, sont, à l'aune de la survie de l'Europe ce que, à l'échelle de la pensée contemporaine, Mickey Magazine ou les mangas des ados sont à Michel Foucault ou Albert Camus.
Anne SINCLAIR
Directrice éditoriale, Le Huffington Post
Source The Huffington Post