Les priorités de l'Ecole

Publié le par SD32

Avec l'automne reviennent les inquiétudes sur l'avenir de l'école française : un ministre inexpérimenté, Luc Chatel, succède à un agrégé de lettres classiques, Xavier Darcos, qui a enlisé sa volonté de réforme à force de multiplier les annonces. Les réductions d'effectif se poursuivent, sans qu'un discours politique vienne lui donner d'autre apparence que celle de l'ajustement budgétaire. La remontée du chômage remet la pression sur la formation initiale et, dans l'incertitude sur les modèles de sortie de crise, le bagage scolaire apparaît plus que jamais comme une sorte d'assurance sur l'avenir.

La demande adressée à l'école en ressort comme épurée et réduite à sa plus simple expression. Dans le cadre hexagonal, le cri du cœur arrive rapidement sous la plume des éditorialistes (1) : « Priorité aux élites » ! Il faut continuer à tirer l'école vers le haut en accompagnant les meilleurs sur la voie de leurs succès. Or, rien ne dit que ce soit dans cette tâche que notre école soit prise en défaut. Au contraire, c'est sans doute ce qu'elle réussit le plus facilement. N'est-on pas heureux de lire dans Le Monde magazine la longue enquête de son numéro de rentrée sur « Dix-huit bacheliers d'exception » qui ont décroché 20/20 au bac 2009 (2) ? Tout va pour le mieux puisque ces jeu­nes gens vont entrer à Louis le Grand et Henri IV... Mais on peut aussi se demander si cette manière de nous concentrer sur l'excellence des meil­leurs ne témoigne pas d'un déséquilibre constitutif de notre système.

Reconstituer un peloton

Christophe Barbier déroule dans L'Express un argumentaire limpide : malgré des « millions de bonne volon­té », l'école peine à maintenir ses exigences entre « parents consommateurs », « profs idéologues » et « enfants rois oublieux des vertus de l'effort ». L'école est en péril, il faut revenir aux fondamentaux. Conclusion de Christophe Barbier, « sans cynis­me » : "ce n'est pas le moral en queue de peloton qui permet de gagner des courses, c'est la qualité des sprinters."
À une condition, est-on tenté de répliquer : qu'on compte pour nul le classement par équipe ! Or, pour filer la métaphore cycliste, un objectif légitime de l'Éducation nationale est de parvenir à de bons résultats par équipe et pas seulement de permettre à des champions de briller au classement individuel. Les difficultés de l'école que rappelle sommairement l'éditorialiste de L'Express sont bien vues : défi des nouvelles technologies, culture de l'immédiateté, développement de la mobilité, force des médias... Mais n'est-on pas confronté aux mêmes défis à Tokyo, à Berlin ou à Barcelone ? Pourquoi cela prend-il chez nous l'allure de la course au maillot jaune ?

Que peut-on dire de la manière dont l'école française se comporte par rapport aux autres systèmes scolaires ? Le développement des comparaisons internationales est désormais suffisant pour apporter quelques enseignements solides et un ouvrage récent de Christian Baudelot et Roger Establet en fournit justement une bonne synthèse (3). Que peut-on retenir des comparaisons internationales ? Essentiellement que notre école ne s'en sort ni vraiment moins bien ni particulièrement mieux que les autres. À vrai dire, si l'on observe les moyennes des résultats aux différentes compétences testées, la France se trouve dans la bonne moyenne, « dans le peloton » qui roule d'ailleurs assez groupé. En revanche, nous sommes le pays dans lequel l'écart entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent est le plus fort : "L'école française est une des meilleures du monde... pour une petite moitié des élèves, et l'une des plus mauvaises pour l'autre moitié. La France est ainsi le pays du grand écart : si les élites scolaires font presque jeu égal avec l'excellence internationale, 40 % de ses effectifs se situent dans les profondeurs du classement" (4).

En d'autres termes, nous devrions nous pencher davantage sur ce que nous ne parvenons pas à faire : traiter l'échec scolaire. Notre école sait motiver les meilleurs mais pas assez faire progresser ceux qui sont en difficulté. Elle a surtout du mal à lier les deux objectifs. Pourtant, les comparaisons internationales incitent aussi à penser qu'on développe d'autant mieux l'élite qu'on donne sa chance à tout le monde : égalité et efficacité vont de pair. Sans doute arrivons-nous d'autant moins à déjouer l'échec que la réponse spontanée à la demande scolaire se traduit toujours par le même réflexe et l'unique stratégie : s'assurer que nous n'avons pas sacrifié l'élite.

Cette volonté, fortement exprimée par les parents, n'est pas illégitime mais elle se referme comme un piège au moment où elle se combine avec le malthusianisme qui caractérise notre système d'excellence : elle aboutit alors à filtrer tout au long des filières un nombre désormais trop faible de bons éléments (pour ne pas dire de « bêtes à concours (5) »). Ce n'est pas seulement par sollicitude qu'il faut porter plus d'attention à la moitié qui décroche mais surtout parce que, en enfermant une grande part des élèves dans l'échec, on plombe l'efficacité générale de notre formation.

Sortir du dualisme ?

Comment sortir de cette logique où les écarts se creusent (6) ? En se méfiant tout d'abord des raisonnements, comme celui du « niveau », portant sur des moyen­nes : dans le cas français plus que pour tout autre, le chiffre moyen est trompeur puisqu'il ne reflète pas le score d'un groupe moyen (inexistant) et qu'il masque même la caractéristique principale de notre système : le clivage entre réussite et échec. En reconnaissant ensuite qu'on a trop limité les efforts consentis pour les établissements les plus en difficulté (7), alors que le besoin d'un travail d'équipe à l'échelle de l'établissement, d'une présence plus continue des enseignants, d'une autre politique d'affectation apparaissent comme des préalables à toute remise en route du travail scolaire.

Le « grand écart » se poursuit finalement dans l'enseignement supérieur. On sait que la France a longtemps sous-investi dans l'enseignement supérieur. Mais, ici encore, les moyennes sont trompeuses : c'est l'université qui est sous-dotée, pas les grandes écoles. Or, c'est l'université de masse qui doit aujourd'hui faire l'objet de projets ambitieux. Si les regroupements en cours au sein des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres) permettent de surmonter le dualisme historique en s'appuyant sur une base territoriale (en créant des passerelles, des trajectoires en aller-retour, des projets fédérateurs et même des campus communs...), la réforme de l'autonomie pourra contribuer à surmonter un lourd héritage (8).

Mais il se peut aussi qu'ils opèrent selon une logique d'appariements sélectifs, où les plus sélectionnés resteraient en petit nombre entre eux en fonction de logiques disciplinaires (les économistes avec les économistes...) ou territoriales (tout sauf La Plaine-Saint-Denis !). Auquel cas, on sait déjà quel sera l'argument utilisé : « Priorité aux élites ! »


Source Revue Esprit

1. Christophe Barbier, « Priorité aux élites », L'Express, 3 septembre 2009.
2. Pascale Krémer, « 20/20 au bac et plus, tout naturellement », Le Monde magazine, 19 septembre 2009.
3. Christian Baudelot, Roger Establet, l'Éli­tisme républicain. L'école française à l'épreuve des comparaisons internationales, Paris, La République des idées/Le Seuil, 2009.
4. Ibid., p. 14.
5 Daniel Cohen rappelle cet exemple qui résume tout : « En un siècle, l'École polytechnique a à peine doublé le nombre de ses élèves malgré une multiplication par 70 du nombre total d'étudiants » (Daniel Cohen, « L'université sacrifiée », Le Monde, 16 décembre 2003).
6. C. Baudelot, R. Establet, l'Élitisme républicain..., op. cit., p. 30.
7. Voir Éric Maurin, la Nouvelle question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation, Paris, Le Seuil, 2007.
8. Voir nos entretiens avec Yves Lichtenberger, « Perspectives et blocages de l'Université », Esprit, mai 2009 et « L'ancrage régional des pôles d'excellence », Esprit, octobre 2008

Publié dans Education

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