Pierre Moscovici : «Dominique Strauss-Kahn est celui qui peut nous éviter un 21 avril»
Après les derniers sondages, Pierre Moscovici affirme qu’« un 21 avril n’est plus écarté ». Mais « avant de penser à rassembler la gauche, commençons par rassembler les socialistes et maîtrisons notre primaire », affirme ce proche de DSK. « La question d’un candidat unique PS-écologistes se posera peut-être en mars 2012. Daniel Cohn-Bendit l’envisage. Elle ne se pose pas en mars 2011 », ajoute le député du Doubs. Pour le projet du PS pour 2012, il pense qu’il «manque » encore une « vision », même si le PS n’est pas « démuni » d’idées. Quant à Nicolas Sarkozy, « il a sans aucun doute nourri le FN. (…) Il a été d’abord un pompier pyromane. Maintenant ça ressemble un peu à l’arroseur arrosé ».
Entretien.
Alors que Marine Le Pen continue sa montée dans les sondages, le PS vous semble-t-il audible ?
La vraie question c’est comment peut-on analyser ce sondage. D’abord un sondage donne des indications mais seule une série de sondages permet de connaître une vraie tendance. Ce que nous pouvons constater, c’est qu’il y a un effondrement de la droite sarkozyste, une percée du FN dont l’ampleur reste à évaluer, et une libération de cette parole. Les cantonales donneront à cet égard une indication précise. Nous ressentons aussi une attente, une exigence, par rapport au Parti socialiste, à laquelle nous devons répondre, en gardant notre sang-droit, sans tomber dans les règlements de compte internes, sans faire de procès personnels à quiconque, mais en étant conscient que c’est pour nous un avertissement collectif. Nous avons aussi une responsabilité collective d’élever le niveau de notre offre politique pour être plus convainquant, plus entrainant. Les Français savent que l’alternance passe en 2012 par le PS. Mais ils attendent encore de nous que nous leur donnions envie de nous faire confiance. Et ce sondage doit, non pas nous réveiller, mais nous aiguillonner.
Pour donner envie, il y a les propositions. Après les conventions thématiques, le PS doit présenter son projet en avril. Etes-vous confiant quant au résultat ou craigniez-vous un flop ?
C’est un rendez-vous extrêmement important. Je constate une forte confiance faite aux socialistes dans les collectivités locales, que l’opinion sur le PS est plutôt positive. Mais il y a cette attente. Le PS accumule depuis deux ans les matériaux pour ce projet. Les idées existent, elles sont là. La boîte à outil est bien garnie. Des intellectuels qui ne travaillaient pas auparavant avec nous le font. Nous ne sommes pas démunis. En revanche, ce qui nous manque, c’est la mise en cohérence. C’est de dégager de tout cela une vision, c’est de dire comment dans ce pays nous voulons répondre aux questions économiques et sociales qui taraudent les Français, notamment les couches populaires et moyennes. Tout l’enjeu du projet, c’est cette mise en cohérence, c’est cette mise en tension. C’est de montrer comment on peut créer une nouvelle croissance. Comment cette croissance peut être fondée sur l’investissement, comment elle peut et doit être plus équitablement partagée, notamment grâce à une grande réforme fiscale. Comment nous pouvons desserrer l’étau européen, tout en maintenant nos engagements. Comment engager une nouvelle discussion avec l’Allemagne, mais qui ne soit pas celle du pacte de compétitivité. Comment nous pouvons refaire une République exemplaire. Ce sont les thèmes qui, pour moi, doivent sortir très clairement de notre projet. Donc cette discussion qui nous attend est fondamentale. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester dans l’ambigüité. Nous devons aussi trouver les angles, les réponses à apporter aux Français qui se sentent fragilisés par la crise.
Le problème du PS n’est-il pas justement qu’il ne parle plus aux catégories populaires, aux ouvriers ?
Ce que je sais, c’est ce qu’attendent les catégories populaires. Je suis élu du pays de Montbéliard, qui est un territoire ouvrier. Ils souhaitent que la machine économique reparte et qu’on retrouve derrière cela un sentiment de justice. Les Français n’en peuvent plus de l’injustice. Ils veulent une répartition plus juste des revenus, mais il faut avant tout une économie plus productrice, une industrie qui soit soutenue, des créations d’emploi, une distribution du pouvoir d’achat plus équitable qui passe sans doute par la relance des minimas sociaux mais aussi des négociations salariales et une réduction des écarts dans les entreprises. Ce sont les questions économiques et sociales qui doivent être au cœur du projet. Ne tombons pas dans le piège qui voudrait que nous soyons sans arrêt en train de considérer qu’il y a en France un problème d’identité nationale. Considérons au contraire qu’il faut refaire de la France une République, avec ses valeurs : liberté, égalité, fraternité, laïcité.
Mon expérience m’apprend que celui qui remporte une élection est celui qui convainc les électeurs et celui qui impose ses thèmes. Notre thème doit être la croissance retrouvée, justement distribuée, un appareil productif qui se remet en marche. Ce n’est pas en courant après les autres sur le terrain du Front national, comme le fait Nicolas Sarkozy, que nous pourront convaincre à nouveau.
Dans le sondage en lui-même, le candidat PS est toujours derrière, y compris Dominique Strauss-Kahn. Ça vous inquiète ?
Ce sondage me paraît très particulier. Il est totalement à l’écart des autres. Il donne 5 à 6 points de plus à Marine Le Pen et 5 à 6 points de moins à Dominique Strauss-Kahn. J’ai de très forts doutes comme tout le monde sur les méthodes utilisées et l’angle d’attaque du sondage lui-même. J’attendrai de manière tranquille ce que donnent les prochaines enquêtes d’opinion. S’il y a confirmation, il faudra en tirer certaines leçons. Mais la vraie tendance, c’est l’avertissement collectif. Le fait qu’un 21 avril n’est plus écarté aujourd’hui, c’est le fait qu’il y a une menace du Front national. De ce point de vue là, le fait que Marine Le Pen soit à 23 ou 18% revient à peu près au même. Nous sommes désormais dans la marge d’erreur séparant les trois candidats de l’UMP, du PS et du FN. Il faut tout faire pour éviter un 21 avril, qu’il soit à l’endroit – évidemment c’est dramatique – mais aussi à l’envers. Ce ne serait pas bon pour la République. Il est tout à fait majeur de redresser la barre. Mais ne tirons pas de leçons plus poussées d’un tel sondage. Sinon, nous tombons dans ce que les économistes appellent la prédiction autoréalisatrice. Je vois bien la tendance au tassement entre les trois familles politiques. Pour le reste je ne crois pas à l’ordre du classement qui est donné, ni au classement sur les personnalités. Et je continue de penser que Dominique Strauss-Kahn continue à sortir du lot, pour une raison très simple. Il est le mieux à même à apporter des réponses sur les questions économiques et sociales.
Vous êtes candidat aux primaires, sauf si DSK revient, ce qui semble être une hypothèse plus que probable. Pensez-vous devoir rester encore longtemps dans cette position ?
Je respecte le rythme de Dominique Strauss-Kahn. Si j’ai décidé de le soutenir, c’est parce qu’il est le mieux placé. Ce n’est pas une décision purement affective, même si nous sommes des amis. C’est une décision politique. Nous partageons les mêmes options, je pense qu’elles sont les bonnes pour la France de 2012. A lui de se décider. Pour le reste, je n’ai pas changé d’avis. Je souhaite sa candidature. Si elle devait ne pas advenir, il faudrait que ses couleurs soient portées dans la primaire et je le ferai. Mais quand je vois la situation évoluer et se dégrader, quand je vois les attentes des Français, leurs inquiétudes et le besoin de gauche dans le pays, mon souhait de plus en plus fort est que Dominique Strauss-Kahn soit notre candidat. Parce que je pense tout simplement qu’il est celui qui peut nous éviter un 21 avril qui nous menace, et emporter l’élection présidentielle.
François Hollande craint aussi une réédition du 21 avril et appelle la gauche à l’union. Seriez-vous favorable à une candidature unique avec Europe Ecologie-Les Verts si ce risque se confirme ?
Restons calme. Nous ne sommes pas en mars 2012. La question d’un candidat unique PS-écologistes se posera peut-être en mars 2012. Daniel Cohn-Bendit l’envisage. Elle ne se pose pas en mars 2011. Ne précipitons pas les échéances. Ne soyons pas sans arrêt dans la fébrilité, l’impatience ou la crainte. Soyons d’abord occupé à renforcer le Parti socialiste et notre offre politique. Ne cherchons pas a priori des logiques de bloc qui ne sont pas forcément additifs. Souvenons-nous que l’UMP est censé agréger toutes les droites. On donne pourtant aujourd’hui 20% au Président sortant dans les enquêtes. Concentrons-nous sur notre propre force pour l’accroître. Avant de penser à rassembler la gauche, commençons par rassembler les socialistes et maîtrisons notre primaire. Je trouve contradictoire parfois de plaider pour des candidatures uniques à gauche, sans être capable d’envisager une candidature unique au Parti socialiste. Et donc si cette tendance d’une montée du FN devait se prolonger, c’est à cela que nous devrions réfléchir. C’est à dire savoir comment nous pouvons nous rassembler autour d’une personnalité qui serait la mieux à même de porter nos couleurs.
Mais face au manque de leadership du PS, comment le Parti socialiste doit faire pour tenir jusqu’au mois d’octobre et la désignation de son candidat ?
Nous avons fixé un calendrier pour nos primaires. C’est le bon. Dans une formation démocratique, on ne désigne pas un candidat un an avant l’élection. C’est très imprudent. De tout temps, les candidatures à la présidentielle se sont déclarées tard. En revanche, il faut que nous arrêtions nous-mêmes de nourrir cette fébrilité par un débat prématuré sur les primaires. Si chacun s’engageait à respecter notre calendrier, les choses seraient plus simples.
Il n’y a pas de risque que les primaires se transforment en machine à perdre ?
Il faut être très pragmatique par rapport à ça. Les primaires ne sont pas la panacée. Elles ne sont pas non plus la machine à perdre. Nous les avons décidées parce que nous avions à la fois un déficit de leadership et des procédures internes contestables. Il faudra que nous analysions la pertinence des primaires dans le contexte des mois à venir. Je continue de croire que si nous sommes capables de les aborder de manière mûre et collectivement, elles peuvent être une chance. Il faut analyser pragmatiquement l’évolution de la situation. Nous sommes face à un avertissement. Nous devons répondre. La première réponse est programmatique et dans nos idées, la première réponse est d’être plus forts, la première réponse est d’être plus concrets, la première réponse est d’être plus unis et plus rassemblés, la première réponse ce n’est pas de tirer sur tel ou tel ou de précipiter nos procédures.
Avec le rapport Montebourg sur la fédération PS des Bouches-du-Rhône, ne retrouve-t-on pas le PS d’il y a 2 ou 3 ans qui se tire dans les pattes…
Je regrette cette affaire. Il y a des procédures judicaires qui concernent le conseil général des Bouches-du-Rhône. Que la justice fasse son travail. Il y a des questions sur le fonctionnement de la fédération des Bouches-du-Rhône ? Qu’une commission d’enquête interne détermine les faits. Pour le reste soyons conscient que l’émergence de ce type de débat, à quinze jours des cantonales et en pleine montée du populisme n’est un cadeau pour personne et surtout pour aucun socialiste. On sait à qui ça coûte on sait aussi à qui ça profite.
Sur l’Islam et la laïcité, Nicolas Sarkozy joue-t-il avec le feu ?
Nicolas Sarkozy est imprudent depuis 2007. Il a gagné sa campagne en asséchant le vote du FN. Mais à trop rester sur le terrain identitaire, à esquiver les questions économiques et sociales, à cliver et brusquer sans arrêt, à lancer des débats mal préparés, il a sans aucun doute nourri le FN. La pompe aspirante qui attirait les électeurs du FN vers l’UMP est devenue une pompe refoulante qui pousse les électeurs de la droite républicaine vers l’extrême droite. Donc le président de la République est tout à fait imprudent. Il a été d’abord un pompier pyromane. Maintenant ça ressemble un peu à l’arroseur arrosé. Qu’il arrête et qu’il retrouve la dignité de sa fonction.
Le report du procès Chirac peut-il profiter à Marine Le Pen ?
Je ne commente pas les décisions de justice. Cette question prioritaire de constitutionnalité existe. Elle est inscrite dans notre constitution. Un juge a décidé qu’il était légitime que la Cour de cassation soit saisie. J’attends les résultats. Et je maintiens ma positon : ce procès doit avoir lieu, dans le respect de la personne de l’ancien président de la République, car nul ne peut se dérober à la justice.