Pour Laurent Fabius «Dominique Strauss-Kahn dispose de beaucoup d’atouts»
A quelques semaines du dépôt des candidatures à la primaire et à l’aune de mai 1981, Laurent Fabius livre sa vision pour que le PS gagne en 2012.
De retour des Etats-Unis où il a de nouveau rencontré Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius fait le lien entre la présidentielle de 2012 et l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République il y a trente ans.
Ce qui me frappe, c’est que l’image la plus forte pour moi est la même que celle de millions de gens : le portrait qui s’affiche à la télévision à 20 heures. Et de mes aventures avec lui me revient une anecdote. Un jour, nous nous promenions le long des quais de Seine. Il aimait les bouquins. Il faisait beau. Nous voyons un passant venir en sens inverse avec un air particulier. L’homme arrive à deux mètres et crache sur Mitterrand. Un geste d’une violence terrible. Lui, impérial, passe. J’étais quant à moi sûrement blanc comme un linge. Et Mitterrand me dit : «Vous verrez, un jour ils changeront d’avis.» Je repense en souriant à cet épisode quand je contemple la mitterrando-nostalgie actuelle. Pour lui, le propre de l’homme d’Etat consistait à résister et anticiper : il avait raison.
D’abord, la nécessité de l’unité, celle du PS, celle de la gauche, et aujourd’hui des écologistes. Ensuite, un projet mobilisateur. Enfin, une personnalité capable de gagner et de réussir.
Notre projet est solide et bien accueilli. Il permettra de mener la bataille et d’agir dans ce nouveau monde en tenant compte notamment des énormes contraintes financières laissées par M. Sarkozy. Pour la candidature, nous avons fixé un calendrier. Non par bureaucratie mais par analyse politique : le premier trimestre 2011 pour les cantonales, le deuxième pour le projet, le troisième pour la candidature. Un an de campagne, c’est déjà très long. A la fin, je peux vous assurer que les Français seront las. La campagne de 1981 n’avait pas vraiment commencé avant février. Mais le juge de paix, c’est l’unité du PS et le rassemblement à gauche. Qu’est-ce que j’entends partout ? «Désignons quelqu’un de capable mais surtout, surtout, ne vous divisez pas !»
Il faut être très attentif. La source des défaites pour la gauche - comme d’ailleurs pour la droite - résulte souvent des divisions. J’espère que la jurisprudence involontaire de 2002 servira de garde-fou. Elle ne dispense pas d’une sagesse collective.
En tout cas, une primaire maîtrisée. Elle devra être perçue comme la première étape de la victoire contre M. Sarkozy (alors, elle mobilisera fortement) et non comme un remake des guérillas socialistes entre A, B, C, D, E : cette éventualité-là serait dangereuse et démobiliserait.
Je ne suis pas un spécialiste de l’autobrevetage. J’ai indiqué qu’il y avait beaucoup de gens de talent au PS - ils devront composer l’équipe de la victoire -, mais les deux personnalités les plus en situation me paraissent Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry.
Il dispose de beaucoup d’atouts, notamment parce que la dimension économique, la crédibilité internationale et l’expérience gouvernementale seront décisives. Martine Aubry possède également la légitimité et accomplit un travail remarquable à la tête du parti.
L’«envie», c’est plutôt pour le chocolat. Concernant l’élection présidentielle, je parlerai davantage de «détermination». Mitterrand ne m’a jamais dit qu’il avait «envie» d’être président. Il possédait la détermination de l’être, à partir de son analyse politique, de sa vision du pays et de ses choix personnels.
Je crois qu’elle ne se lève pas le matin avec l’obsession présidentielle. Mais, quand elle doit remplir une tâche, elle la remplit. Et bien.
Nos deux amis sont complémentaires.
Il a le droit évident d’être candidat, mais la vraie question, pour lui comme pour tout autre, c’est celle de l’utilité collective d’une candidature : «Qu’est-ce que X apporte en chances de victoire collective par rapport à Y ou Z ?» Sauf à présenter une ligne politique différente, qu’il faut alors préciser.
Notre programme, qui inspirera tout candidat socialiste, ne consiste évidemment pas à «affamer les peuples». Quant au FMI, il remplit une fonction particulière qui a évolué positivement avec son directeur général : comment permettre aux pays pris à la gorge de s’en sortir et de repartir de l’avant ? Ce sont deux tâches différentes.
Oui et il faut la prendre au sérieux. Victor Hugo a écrit : «Souvent la foule trahit le peuple.» Tout est dit. Un des maires de l’agglomération rouennaise me rapportait qu’un mécontent, dont le trottoir n’avait pas été refait, l’a menacé : «Si c’est comme ça, je vais voter Marine.» Pour contrer cette dérive, il faut parler du fond et agir au fond.
C’est une escroquerie ! Avec ses propositions, l’Etat serait démoli. Qu’est-ce que ça veut dire un «Etat protecteur», si on n’a plus de ressources publiques ? Si la production industrielle chute de 20% parce qu’on ferme les frontières ? Prétendre défendre le pouvoir d’achat si on revient au franc et que celui-ci perd immédiatement 30% de sa valeur, conduisant à devoir rembourser 30% de dettes en plus !
Redonner de la crédibilité à la politique, et force concrète à la République : égalité, laïcité, sécurité, école, santé, culture… Eviter que le vote soit simplement une protestation ou une détestation. D’où notre triangle : effort, sérieux, justice. Ce sera une campagne où nous dirons : «Nous ne sommes pas condamnés à être un petit pays, à ce que nos enfants soient déclassés, mais cela demande des efforts, donc de la justice et du sérieux.» L’effort, et le sérieux, parce que nous sommes lucides et que nous avons les compétences dans nos équipes. La justice, parce que c’est la marque de la gauche, et qu’elle est indispensable. Nous sommes une gauche des solutions.
Une anecdote pour vous répondre. Le mardi suivant les cantonales, nous nous trouvions à quelques-uns dans ce cœur de la démocratie qu’est la buvette de l’Assemblée nationale. Arrivent plusieurs députés de droite. Le premier soupire. Le deuxième, plus prolixe : «Ça ne va pas du tout.» Le troisième : «Un massacre.» Le quatrième nous regarde, hésite puis lance : «Au fond, notre seul espoir, c’est vous !» J’en reviens à l’unité.
Je ne me pose pas la question en ces termes. J’essaie, dans les trois domaines que sont le projet, la candidature et le rassemblement, d’apporter ma pierre pour que les choses se passent bien, efficacement. J’ai peut-être un certain crédit pour le faire puisque moi qui serais, dit-on, un candidat crédible, j'ai décidé d'aider le mieux placé pour gagner et pour redresser la France.
Source Libération