Pourquoi DSK est si désiré !

Marianne a ô combien raison de souligner que Nicolas Sarkozy peut être réélu. Mais il peut aussi être battu ! Qu’on s’en félicite ou pas, le phénomène politique marquant de cet automne en témoigne : c’est le souhait croissant d’une candidature de Dominique Strauss Kahn à la prochaine présidentielle. Souhait si incontournable que Ségolène Royal elle-même lui propose Matignon, s’il ne se présente pas, et n’exclut pas de se retirer s’il se présente... De cette attente du battu de la primaire 2006, il faut comprendre les raisons profondes.
Toutes les enquêtes d’opinion la démontrent. Dans les dernières intentions de vote réalisées par IFOP et SOFRES, non seulement DSK est celui qui gagne le plus facilement au 2ème tour mais, beaucoup plus significatif, c’est lui qui obtient les meilleurs scores au 1er parmi les candidats potentiels du PS : de 27% à 29%, alors que ses camarades se situent à plus ou moins 20%. C’est d’autant plus notable que le 1er tour est le talon d’Achille récurrent des socialistes à la présidentielle. D’ailleurs, quand on demande aux Français et aux électeurs socialistes en particulier, quel candidat PS ils souhaiteraient, c’est d’abord DSK et plus nettement encore chez les électeurs socialistes. Il progresse depuis la fin d’été et plus globalement depuis le début de l’année 2010. Enfin, il n’est plus le candidat préféré des seules classes moyennes supérieures, comme en 2006, il fait jeu égal chez les ouvriers avec les autres candidats PS et les surclasse dans cet électorat décisif que la gauche ne sait pas attraper : les retraités. En un mot comme en cent, DSK bénéficie bien d’une réelle « dynamique d’opinion ». Qui est toujours révélatrice d’un mouvement souterrain.
Les derniers mois auraient dû plutôt l’affaiblir. Un mouvement social de grande ampleur est censé cristalliser l’opinion, or DSK était très loin des cortèges contre la réforme des retraites. Pire encore, il a déclaré au printemps dernier que « la retraite à 60 ans n’était pas taboue », alors qu’une nette majorité de Français reste hostile à la réforme sarkozienne. Et pour ne rien gâcher, DSK, cet absent omniprésent, a été instrumentalisé par la droite d’une part, par Jean-Luc Mélenchon d’autre part, pour le mettre en contradiction avec le mouvement social et son parti. Parfois le voilà qualifier de « candidat de l’oligarchie ». Malgré tout, il progresse. Pourquoi ?
Cette dynamique, qui n’est pas sans rappeler celle dont bénéficiait Ségolène Royal il y a 5 ans, ne s’explique pas seulement par l’éloignement à Washington, loin des miasmes politiciens français, ni par le rang de quasi chef d’Etat que lui donne sa fonction. Ces explications y contribuent bien sûr, mais elles minorent l’essentiel : la « grande transformation » que les Français ont subie depuis 2007. Là, résident à notre avis les ressorts profonds de cette dynamique. Du Krach financier de septembre 2008 à la crise de l’euro, le regard des Français sur le politique s’est métamorphosé. Et les schémas qui ont conduit à l’élection de Nicolas Sarkozy sont en partie bouleversés.
2007 a été l’élection du volontarisme de la « France seule », à l’écart du monde et de l’Europe, avec en fond de décor le tremblement de terre des émeutes de banlieue. Les deux principaux candidats, sur les cendres fumantes du référendum de 2005, ont soigneusement contourné le débat sur l’Europe et la mondialisation, car ils devaient rassembler des électeurs du oui et du non. Le gagnant a convaincu une majorité de Français qu’on pouvait trouver, ici en France, les ressources pour rebondir, par le travail (contre l’assistanat) et l’identité nationale (contre l’islam). Lui, le chef charismatique, irait chercher la croissance « avec les dents »… Hélas, il s’est cassé les siennes sur la globalisation.
Au bord du précipice, Nicolas Sarkozy a coordonné l’Europe pour sauver le système financier et promettre « plus jamais ça ». Mais à peine une petite sortie de crise entrevue, la crise de l’euro a signé le retour gagnant des marchés financiers contre les Etats. Les Français s’en sont aperçu, et de l’impuissance publique et du risque de déclin économique que la victoire des marchés recèle, avec ses conséquences sur la protection sociale (les retraites pour commencer). L’incertitude de la globalisation, par ses multiples effets papillon, peut désormais toucher n’importe quel salarié du privé, quel que soit son secteur d’activité et pas seulement les ouvriers de l’industrie avec les délocalisations.
La prégnance de la logique financière, qui n’a pas été limitée par le politique, peut remettre en cause, dans les grandes entreprises, l’emploi ou l’organisation du travail de tout un chacun. 2007 s’est joué sur la menace de déclin de nos « valeurs », 2012 se construira sur la menace de déclin économique, industriel et social.
L’heure de vérité pour DSK et sa popularité ? Elle sonnera en même temps que les cloches de la crise de l’euro, qui devraient tinter souvent d’ici à 2012. Cette crise supposerait, en Europe et en France, de renverser quelques tables de la loi européenne de ces 20 dernières années… En sera-t-il l’initiateur, lui qui comme ses camarades a été un fervent européiste ? Là est l’ambigüité de sa candidature potentielle, dans un contexte où l’échec de la gestion de l’euro, de question taboue, va devenir question centrale.