Reprise: l'indécent cocorico de Nicolas Sarkozy

Publié le par SD32

crise--co-1.jpgC'est le genre de rodomontade dont raffole Nicolas Sarkozy. «J'accepte bien volontiers les conseils d'où qu'ils viennent; quant aux critiques, c'est la règle de la démocratie. Mais quand on voit que la France aura la plus petite récession des pays européens et repart plus fort et avant les autres, on doit quand même honnêtement se dire que la politique économique conduite y est pour quelque chose», a-t-il déclaré le 1er décembre, à La Seyne-sur-Mer (Var), à l'occasion d'un discours devant un parterre d'élus de la majorité et de notables, qui se sont naturellement bien gardés de lui porter la contradiction.


Avec près de deux semaines de recul, cette contradiction, ce sont les experts les plus qualifiés qui la lui portent, ceux de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ils permettent de comprendre ce qu'il faut penser de l'auto-satisfecit que le chef de l'Etat s'est décerné : il est pour le moins malvenu. C'est ce que révèle la traditionnelle note de conjoncture publiée par l'Insee, jeudi 17 décembre dans la nuit . Car si la France fait effectivement partie des pays européens qui semblent profiter d'une trajectoire de croissance un plus favorable que d'autres pour les prochains mois, l'Insee classe l'Allemagne dans le même groupe. Et puis surtout, l'institut prévient que la croissance française à l'horizon du premier semestre 2010 restera « laborieuse », tandis que l'emploi continuera de s'effondrer et le chômage d'atteindre de nouveaux sommets.


Avant d'entrer dans le détail de ces prévisions économiques pour le premier semestre de 2010, l'Insee présente en effet un très intéressant dossier intitulé «Comment s'expliquent les écarts de performance en Europe pendant la récession». Et la conclusion des statisticiens mérite qu'on s'y arrête: «La singularité de la France apparaît dans son absence de handicaps spécifiques. Elle a été relativement épargnée par la récession, au moins en matière d'activité, parce que sa croissance est moins dépendante des exportations que l'Allemagne, mais aussi parce que ses exportations elles-mêmes ont mieux résisté à la chute du commerce mondial que ses grands partenaires européens; la crise immobilière l'a aussi moins frappée que l'Espagne ou que le Royaume-Uni; ses ménages et ses entreprises étaient moins endettés que les espagnols et les britanniques; son plan de relance lui a permis de soutenir le pouvoir d'achat des ménages et partant la demande, au contraire de l'Italie. En revanche, notre pays s'en tire moins bien en matière d'emploi que l'Italie et l'Allemagne.»


L'Insee relativise très fortement le tableau présidentiel et pointe du doigt certains traits caractéristiques de l'économie française, qui sont connus depuis longtemps. Beaucoup moins internationalisée que son homologue allemande, l'économie française est moins sensible qu'elle aux variations de la conjoncture mondiale. Elle croît moins vite dans les phases de forte expansion ; mais elle chute aussi moins gravement dans les périodes de grave récession. Pas donc de quoi alimenter des vantardises : l'économie française est seulement, si l'on peut dire, plus raplapla que d'autres; moins dynamique. Et cette forme d'inertie ou d'indolence est aussi une protection en période de crise. Oui, pas de triomphalisme d'autant donc – mais nous y reviendrons – que la France, selon l'Insee, affiche de plus mauvais résultats en matière d'emploi ou de chômage.

 

Previsions Insee

Cette sorte de mise au point étant faite, il faut maintenant entrer dans le détail de la prévision de l'Insee pour comprendre que la reprise qui se dessine est pour le moins poussive. Après un an de récession, l'économie française a recommencé à croître de 0,3% au deuxième trimestre de 2009. Et le scénario que décrit l'Insee est pour le moins inquiétant: il fait état ensuite d'une croissance qui, trimestre après trimestre, oscillerait entre ce niveau de +0,3% ou au mieux +0,4%, jusqu'à l'été 2010.

 

On comprend donc bien la formule de l'Insee: « reprise laborieuse ». Le moteur de l'économie ne cesse de tourner à toute petite vitesse et se montre incapable d'accélérer. Au total, la récession serait de –2,3% en 2009. Et fin juin 2010, l'acquis de croissance pour l'année en cours serait de 1,1%.

 

Plus inquiétant encore, si on soulève le capot de ce moteur, pour parvenir à identifier quelles sont les courroies d'entraînement qui font mal leur office, le diagnostic est vite établi: c'est du côté de la « demande », comme disent les experts, que des hoquets préoccupants commencent à se faire sentir. Le constat est important car, dans les mesures qu'il a prises dans son plan de relance, le gouvernement a favorisé une politique de l'offre, en faveur des entreprises, mais n'a rien fait, ou presque, en faveur de la demande, c'est-à-dire des ménages ou de la consommation.

 

Depuis longtemps, la consommation des ménages est en effet le principal carburant de la croissance de l'économie. Or, la prévision montre bien qu'elle manifeste des signes de faiblesses. Affichant une croissance zéro, avec d'infimes variations légèrement en dessous ou au-dessus de ce niveau depuis le début de 2008, la consommation des ménages devrait ainsi plafonner autour de 0,2% à 0,3% au cours des deux premiers trimestres de 2010.

 

Et s'il en est ainsi, c'est qu'il n'y a pas de mystère: c'est que le pouvoir d'achat des ménages est en très forte décélération. Soutenu passagèrement en 2009 par l'effondrement des prix (+2,2%), ce pouvoir d'achat devrait ainsi afficher un acquis de croissance de seulement 1% en juin 2010. Ce chiffre-là ne doit pas faire illusion. Pour mieux prendre en compte ce que ressentent vraiment les Français, et neutraliser les effets démographiques qui brouillent cet indicateur d'évolution moyenne du pouvoir d'achat des ménages, l'Insee calcule aussi le pouvoir d'achat par unité de consommation. Et dans ce cas, le bilan est encore plus préoccupant: la hausse serait de 1,5% en 2009, après 0% en 2008.

 

Mais les prévisions les plus inquiétantes de l'Insee portent encore sur un autre front, celui du marché du travail – ce qui explique aussi ces très fortes pressions sur le pouvoir d'achat. Premier constat accablant: l'emploi. C'est une hémorragie gravissime. Dans le secteur marchand, sous les effets de la récession, l'économie française aura perdu au total près de 451.000 emplois dans le courant de l'année 2009. Et cela devrait continuer, même si c'est à un rythme un peu ralenti : 79.000 pertes d'emplois au dernier trimestre 2009 ; puis 74.000 au premier trimestre 2010 ; et encore 51.000 au deuxième trimestre.

 

Conséquence tristement implacable: le chômage devrait lui aussi rester sur une pente, elle aussi, catastrophique. Au sens du Bureau international du travail, le nombre des chômeurs a donc progressé de 104.000 en 2008, puis 453.000 en 2009. Et la hausse atteindrait encore 133.000 au premier semestre de 2010. Le taux de chômage (France métropolitaine et DOM-TOM) devrait ainsi atteindre 10,2% en juin 2010 – un niveau sans précédent depuis dix ans.

 

 

 

En vérité, cette note de conjoncture vient donc éclairer les points faibles du plan de relance français, qui a multiplié les mesures de soutien aux entreprises, et prévu aucune mesure – ou si peu – en faveur des ménages et plus encore de l'emploi. Envers et contre tout, peut-être faut-il en donner crédit à Nicolas Sarkozy: sans doute a-t-il bien été inspiré en tirant par avance, à La Seyne-sur-Mer, la morale de l'histoire. « On doit quand même honnêtement se dire que la politique économique conduite y est pour quelque chose. »

Source Mediapart
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