Taxe carbone : un cadeau de 2 milliards d’euros par an pour les entreprises les plus polluantes
Le chiffre est passé inaperçu mais la ristourne est de taille : en dispensant de taxe carbone les entreprises qui sont soumises au marché européen des quotas de CO2, le gouvernement leur fait économiser deux milliards d'euros par an. Soit presque la moitié de ce que le nouvel impôt doit rapporter à l'Etat. A 17 euros la tonne de carbone, montant fixé en septembre par Nicolas Sarkozy, les recettes de la taxe en 2010 sont en effet estimées à 4,8 milliards d'euros. La taxe doit ensuite augmenter jusqu'à atteindre 100 euros en 2030.
Depuis 2005, les émissions de CO2 des industries européennes les plus polluantes sont limitées : elles ne peuvent dépasser le quota qui leur a été attribué par le plan national d'affectation des quotas de CO2 (PNAQ), sous peine de devoir acheter les tonnes de CO2 supplémentaires par le biais du système d'échange communautaire ETS (« Emission trading system »), sorte de bourse du carbone. En 2007, le montant total de leurs émissions a atteint environ 127 millions de tonnes de CO2. Ce qui représente une somme globale d'environ deux milliards d'euros par an, sur la base d'une tonne de CO2 à 17 euros, prix choisi pour l'entrée en vigueur de la taxe. L'économie dont vont bénéficier ces industries polluantes est donc substantielle.
Or ces industries ont déjà bénéficié d'un traitement de faveur en 2005: les quotas d'émissions qui leur ont été alloués sont en effet gratuits jusqu'en 2013. Les volumes d'émissions ayant été attribués de manière très large, la plupart d'entre elles n'ont pas eu à acheter de droits de rejets de CO2. En clair, leurs émissions ne leur ont, en général, pas coûté d'argent. C'est l'une des faiblesses de ce marché qui subit de réguliers krachs. Le dernier en date, en avril 2009, a fait tomber la tonne de CO2 à 5 euros! Elle est aujourd'hui remontée aux environs de 15 euros la tonne.
Le cadeau fait aux entreprises est donc réel : pour la période allant de 2010 à 2013, il s'élève à environ 6 milliards d'euros.
Quelles sont les entreprises concernées par le marché européen, et donc par la ristourne de deux milliards d'euros? Les fleurons de l'industrie et des poids lourds des services: Arcelor-Mittal, GDF Suez, EDF, Total, Véolia environnement, Saint-Gobain, Dalkia, Lafarge... pour les plus gros émetteurs. Environ 600 entreprises hexagonales dans les secteurs les plus émetteurs de dioxyde de carbone : production d'énergie, transformation de métaux ferreux, industries minérales, verre, ciment et pâte à papier.
Au point que, lors du vote des articles du projet de loi de finance concernant la taxe carbone, le week-end dernier, c'est un élu UMP qui a publiquement protesté. Député UMP des Côtes-d'Armor, Marc Le Fur a eu beau brandir dans l'hémicycle la liste des entreprises exemptées de taxe carbone alors qu'elles profiteront de la suppression de la taxe professionnelle et dénoncer une situation où « les plus gros sont épargnés et les plus petits paient », le gouvernement et le rapporteur de la commission sont restés de marbre.
« C'est un peu la dernière cigarette du condamé » proteste auprès de Mediapart François de Ruby, député Vert de Loire-Atlantique, « on semble toujours préférer repousser les échéances. Au lieu de donner aux industriels une ligne de conduite claire, on leur accorde encore un délai pour ne rien faire. »
Concrètement, pour les autres entreprises – non soumises au marché des quotas –, la taxe carbone sera directement prélevée par le distributeur d'énergie qui rajoutera une ligne « Taxe carbone » sur ses factures de gaz, de fioul et de charbon. L'impôt sur les carburants des véhicules sera acquitté par tous les agents économiques sans exception.
Au-delà du cadeau accordé à ces multinationales, cette « remise» de deux milliards d'euros par an a des conséquences économiques et sociales. Il y a d'abord le manque d'incitation pour les entreprises à investir dans la réduction de la consommation d'énergie. Or le but de la taxe carbone est d'enclencher un double – voire un triple – dividende, c'est-à-dire des effets vertueux en cascade sur les systèmes de production, de consommation et de transports en France.
Des bénéfices que l'économie hexagonale risque d'attendre longtemps encore: la liste des industries qui pourraient être exemptées de paiement de leurs quotas d'émission même après 2013 s'allonge sous la pression des lobbies. Selon La Tribune qui révèle mardi 27 octobre que 164 secteurs et sous-secteurs «sensibles» ont été répertoriés par la Commission européenne, elle ressemble même à « un véritable annuaire ».
Source Médiapart