Des paroles et des larmes

Publié le par SD32

anne sinclair 5 mars 2012Que vaut la parole politique ?

C'est la question en filigrane de la très mauvaise gestion par le pouvoir de l'affaire ArcelorMittal, feuilleton gouvernemental et industriel invraisemblable, qui mine l'autorité de François Hollande, et celle de son Premier ministre. Il faut dire qu'il était difficile d'imaginer ratage plus complet : promesse du futur Président, alors candidat, de défendre Florange jusqu'à la mort; plan social annoncé par Mittal quelques mois plus tard; émotion légitime pour un site qui compte 20.000 emplois ; paroles définitives des uns et des autres sur le géant indien de l'acier ("on n'a aucune confiance en Mittal", "le pistolet reste sur la table" et autres gracieusetés) ; rodomontades d'Arnaud Montebourg, et nationalisation temporaire en préparation ; revirement de Matignon qui négocie avec Mittal, désavoue son ministre avant de lui décerner laborieusement quelques fleurs, mais doit laisser le dernier mot à l'industriel, qui refuse le dossier Ulcos, projet de stockage de CO2 qui pouvait donner un second souffle à l'aciérie. A l'arrivée, un gâchis industriel, un désordre politique et une première vraie crise pour le pouvoir.

 

Alors les mots s'envolent et font mal : "trahison" crient les salariés qui se sentent floués. Les larmes d'Edouard Martin, le délégué CFDT du site de Florange devenu en quelques jours une star des medias, ont fait plus de mal au gouvernement que tous les pétards mouillés de l'UMP réduite au silence par manque de chef.

On comprend la colère des ouvriers de Florange, colère contagieuse auprès du reste de la population. Et pourtant ce n'est pas de trahison machiavélique qu'il s'agit. François Hollande n'a pas eu l'intention de tromper son auditoire quand il est allé rendre visite à l'aciérie.

C'est plus grave que cela : c'est la difficulté de faire une campagne électorale en disant la vérité, puis le cafouillage d'une équipe au pouvoir qui se contredit dans l'improvisation entre un ministre tonitruant et un Premier ministre en mal d'autorité. C'est l'arbitrage hésitant d'un Président qui n'aime pas le conflit. C'est - osons le dire - l'échec d'une stratégie : on ne peut pas gouverner en douceur, on ne peut pas gouverner sans fâcher.

Et les décisions courageuses prises tardivement par le gouvernement, sont éclipsées par les atermoiements d'une équipe dont on se demande si elle sait où elle va, comme si elle avait été surprise et étonnée elle-même de sa propre victoire.

Comment donc faire campagne sans enjoliver les lendemains ? Comment ne pas décevoir après avoir soulevé l'espoir ?

Voyez l'action de Barack Obama - qui est tout de même à ce jour, le seul chef d'Etat ou de gouvernement ayant réussi à se faire réélire - sur le sujet du "mariage pour tous" comme on l'appelle, qui fait tant de remous et provoque tant de manifs en France, et à propos duquel François Hollande a donné l'impression de tergiverser, avec une liberté de conscience accordée puis retirée.

Si Barack Obama ne pouvait pas imposer le mariage pour les personnes de même sexe (le same sex marriage) car cela ne relève pas d'une loi fédérale, il a réussi, malgré un Congrès conservateur, à faire avancer la cause par des amendements concrets, contribuant à faire changer l'état d'esprit de l'opinion au fur et à mesure qu'il avouait, lui-même, sa propre évolution de pensée, et son choix de favoriser ce type d'union.

Ce n'est donc pas un hasard si, cette semaine, la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé de se saisir de la loi si controversée sur le mariage (appelée DOMA), afin de savoir si, stipuler que "le mariage est l'union légale entre une homme et une femme", n'est pas tout simplement inconstitutionnel !

Quant à Florange, on pourrait tenter le parallèle avec la gestion par la Maison Blanche du dossier de General Motors, dont la reprise par l'Etat de 60% du capital, n'était pas si éloignée que cela d'une nationalisation. Cette mesure, "extra-ordinaire et provisoire" s'était accompagnée d'un discours ferme de Barack Obama vis à vis des patrons du secteur, de dialogues ininterrompus avec les syndicats, et de la nomination de deux conseillers spéciaux pour gérer ce dossier. Ce "pari risqué", de l'aveu même d'Obama, a redonné confiance non seulement aux électeurs de l'Ohio, mais à tous les Américains soulagés par le salut de l'industrie automobile et par le sauvetage d'un million d'emplois directs et indirects.

Obama s'était même payé le luxe de licencier le PDG de General Motors, ce qui est évidemment impossible en France, où le PDG n'est autre que Lakshmi Mittal, qui a acquis Arcelor au terme d'une OPA longtemps hostile, c'est-à-dire contre la volonté du groupe, et qui n'a eu de cesse de réduire le marché européen au bénéfice de celui des pays émergents.

Du coup, Joe Biden, pendant la campagne, pouvait répondre que, oui, l'Amerique va mieux car "on a sauvé GM et tué Ben Laden"!, autrement dit, la parole du president Obama est crédible car il s'est donné les moyens de tenir ses promesses et assuré la sécurité des Américains, en économie comme en politique étrangère.

Cela ne veut pas dire qu'il faille copier les Etats-Unis, ni que la nationalisation temporaire d'Arnaud Montebourg eût été la panacée. Mais s'il y a une chose à retenir de l'exemple américain, c'est que, savoir tenir une attitude ferme dans la tempête, donne du poids aux décisions politiques. Car, au-delà de Florange, ce ne sont pas seulement les promesses non tenues qui sont en cause (car après tout cela ne fait que 8 mois que François Hollande a été élu), mais, plus encore, les mots incertains et les déclarations chancelantes, qui dévalorisent la parole politique.

Car si ce n'est pas encore l'heure du bilan, le désespoir d'Edouard Martin, "écœuré et trahi", mettant dans le même camp ennemi, Mittal et le gouvernement, est venu illustrer cette semaine le terrible déficit d'une parole vers laquelle les électeurs de gauche se tournaient pourtant, pleins d'espoir, il y a encore quelques mois.

 

Anne SINCLAIR

Directrice éditoriale du Huffington Post

Source The Huffington Post

 

Publié dans Politique

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Que pensez-vous de l'attitude de Ph. Martin qui avait pris l'engagement de stopper tout cumul de mandat et assume le sourire aux lèvres son reniement ?<br /> <br /> A lire ici : http://davidnadaud.blogs.sudouest.fr/archive/2012/12/13/conseil-general-du-gers-subvention-aux-syndicats-pas-vraimen.html#comments
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