La gauche est en crise partout en Europe

Publié le par SD32

Ca se bouscule sur le radeau. Le Parti socialiste français apparaît comme le naufragé le plus mal en point mais pour  tous, à quelques exceptions près, c'est le sauve-qui-peut. La social-démocratie, cette gauche adaptée à l'économie de marché et devenue une marque de fabrique de la politique européenne, est en plein désarroi.

 

Le New Labour britannique est épuisé par onze ans de pouvoir et l'impopularité du premier ministre, Gordon Brown ; le Parti démocrate italien s'est effondré aux dernières élections après s'être coupé des gauches extrêmes ; le SPD allemand hésite entre centrisme et radicalisme et s'essaie à un nouveau leader.


Depuis un an, les élections qui ont eu lieu en Italie, en Irlande, en Belgique, en Pologne, au Danemark, en Grèce, en Estonie, en Finlande, se sont soldées par la défaite de la gauche. Le socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, rescapé sur une île quasi déserte, a de quoi se sentir un peu seul, provisoirement sauvé par une droite indigente, mais dangereusement cerné par les soubresauts de l'économie nationale.


Un mouvement général, à la fin des années 1990, avait propulsé les socialistes au pouvoir dans onze pays de l'Europe des quinze, du Britannique Tony Blair au Français Lionel Jospin, de l'Allemand Gerhard Schröder au Suédois Göran Persson. Aujourd'hui, le retour de bâton est tout aussi collectif. Sur les vingt-sept pays de l'Union européenne, seuls sept restent sociaux-démocrates (sans compter les coalitions avec les conservateurs, en Allemagne et en Autriche où des élections législatives ont lieu dimanche 28 septembre).


Le fait que le retournement soit aussi synchronisé est symptomatique. La crise de la social-démocratie n'est pas seulement une addition de cas particuliers. Elle est d'abord identitaire. Son malaise est une question : comment la gauche peut-elle à la fois conserver son idéologie et son génie propre - création de l'Etat providence, justice sociale, redistribution des richesses - et intégrer une économie de marché bousculée par la mondialisation et les migrations internationales ?


La gauche plus libérale a sa réponse : la social-démocratie reste paralysée par la surestimation du rôle de l'Etat, quand celui-ci peine à se financer. La gauche radicale, encouragée par les ratés du capitalisme et maintenant par la crise financière, a sa réponse : la social-démocratie s'est perdue en cédant passivement aux sirènes libérales. Entre les deux, les sociaux-démocrates se cherchent à tâtons dans le noir.


Leur politique économique, en voulant s'adapter à la mondialisation, ne les distingue plus d'une droite pragmatique qui, de son côté, tend à se libéraliser sur les questions sociétales. Une droite qui sait maintenant proposer, analyse l'historien Marc Lazar, "un ensemble de valeurs contradictoires mais présentées de manière cohérente : individualisme et compassion sociale, libéralisme et protectionnisme, modernité et tradition, sécurité et lutte contre l'immigration".


Une droite qui sait aussi habilement chiper à la gauche ses marques identitaires, comme l'écologie ou la justice sociale. L'opportunisme dérange l'idéologie de la gauche, il ne gêne pas la droite. "Chez nous, dit Gunnar Lund, ambassadeur de Suède à Paris et ex-ministre du gouvernement social-démocrate, la coalition de centre droit a conquis le pouvoir en 2006 en renonçant aux baisses d'impôts et en reprenant à son compte des paradigmes essentiels de l'Etat providence. Comme, à leur manière, Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy."


Indépendamment d'un adversaire habile à se réinventer, les gouvernements sociaux-démocrates n'ont pas su tenir leurs promesses dans des Etats que n'alimente plus la prospérité des "trente glorieuses". Ils n'ont pas enrayé l'inversion du rapport de force entre capital et salariés - la redistribution de la richesse en faveur des revenus du capital et la baisse de la part des salaires dans le PIB. Ils n'ont pas empêché l'augmentation des inégalités sociales. Ils ont sous-estimé, par mauvaise conscience idéologique, les effets de l'immigration dont les classes populaires se sont senties les victimes incomprises. Ils ont vanté comme un projet protecteur une Europe qui n'est pas perçue comme tel.

 

"DES PARTIS D'ÉLITES"


"La gauche européenne s'est ralliée à une économie de marché raisonnée, analyse Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des affaires étrangères. Le libéralisme a créé des richesses comme jamais dans l'humanité alors que tous les systèmes planifiés ont abouti à la pénurie et à l'autoritarisme. Mais la social-démocratie a été prise à contre-pied par la révolution conservatrice de Margaret Thatcher et un libéralisme pur et dur qui s'est imposé partout. Elle n'a pas su compenser les effets de la mondialisation libérale et, comme l'avait fait Roosevelt dans les années 1930, sauver le capitalisme contre lui-même. C'est ce qu'elle devrait faire maintenant."


L'effet est sans appel. La gauche européenne s'est déconnectée de sa base électorale traditionnelle, ces classes moyennes et populaires qu'elle était censée protéger. "Les partis de gauche sont devenus des partis d'élite, note Denis MacShane, député travailliste britannique. Ils n'ont pour lien avec le monde du travail que les diplômés des villes, les syndicalistes ou les fonctionnaires."


La déconfiture générale de la social-démocratie mérite d'être nuancée. Le cas français en est une illustration. Le Parti socialiste a perdu trois batailles présidentielles, mais ne cesse de remporter les élections locales et son leadership s'est renforcé au sein de la gauche. Pour l'essayiste socialiste Alain Bergounioux, il s'agit plutôt d'une fin de cycle. "La social-démocratie reste tout de même le pivot de l'alternance."

Source LeMonde.fr

 

Publié dans Politique

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