Rentrée 2009 : qui est grippé ? par Philippe MEIRIEU

Publié le par SD32

Que faut-il attendre de la rentrée 2009 ?

Rien, sans doute, en matière d’avancées vers des institutions plus démocratiques et des pratiques pédagogiques plus démocratisantes.


L’école primaire reste tributaire des programmes de 2008, étriqués et enfermés dans une conception très réductrice, technocratique et mécanique des « fondamentaux ». Elle se débat avec la mise en place d’une « aide individualisée » qui compromet l’équilibre déjà fragile de la semaine scolaire, vide de sa substance l’idée même de « pédagogie différenciée » au sein de la classe et n’apporte qu’une réponse médiocre et partielle aux difficultés de certains élèves…


Le collège, grand oublié des « réformes Darcos », risque de subir de plein fouet l’effet des restrictions de postes et de continuer à s’abîmer dans les crises qui le frappent de plein fouet : crise d’une institution qui peine à inventer des rituels structurants, crise d’un encadrement qui n’a pas les moyens de mettre en œuvre un véritable travail d’équipe, crise de savoirs programmatiques incapables de mobiliser véritablement et durablement les élèves, crise d’une orientation qui apparaît jouée de plus en plus tôt et de manière irrémédiable…


Le lycée, lui, va se trouver, une nouvelle fois, pris entre quelques velléités réformatrices – infiniment réduites et particulièrement ectoplasmiques – et la coalition des conservatismes de droite et de gauche. Quand comprendra-t-on que ce n’est pas en cherchant des compromis mous qu’on mobilisera le pays sur son école ? Quand tentera-t-on de construire des alternatives qui permettent de sortir « par le haut » des impasses dans lesquelles nous sommes ? Quand renoncera-t-on à déduire du fait qu’une réforme n’a pas été acceptée que toute réforme ambitieuse est impossible ? Quand prendra-t-on, enfin, le taureau par les cornes en travaillant sur la structure des établissements, la conception des programmes et la définition du service enseignant ?


En réalité, cette année scolaire risque bien d’être marquée par un immobilisme apparent derrière lequel la dérive technocratico-libérale de notre école va se développer tranquillement : pilotage par des « résultats » mesurés sans jamais tenir compte de la mission éducative de l’école, impérialisme d’une évaluation chiffrée permettant l’accroissement de la concurrence entre les personnes, les établissements et les réseaux, déni de la pédagogie entendue comme travail sur des savoirs émancipateurs dans l’acte même de leur transmission…


Disons le clairement : l’École n’est plus à l’ordre du jour. Ce qui nous arrive fait exploser « l’institution scolaire » en une multitude de « services » qui, sous prétexte de répondre à des demandes individuelles, encourage l’individualisme et vide le projet républicain de sa substance. Plus encore, face aux défis de la modernité, à la désintégration du continuum intergénérationnel, à l’emprise du crétinisme des écrans, au triomphe du caprice mondialisé, à l’exaltation permanente du pulsionnel, c’est la possibilité même d’une démocratie vivante capable de définir collectivement du « bien commun » qui est compromise. L’École perd ainsi, simultanément, les deux idéaux qui en fondent la légitimité : celui de « creuset républicain » et celui de « formation à l’autonomie », deux idéaux dont tout notre travail, aujourd’hui, est, précisément de parvenir à les articuler dans les faits, au quotidien, dans « le moindre geste ».


Alors, cette rentrée va, sans doute, être marquée par les débats autour de la grippe H1N1 et les mesures que le gouvernement – empêtré dans l’idéologie du « zéro risque » – va devoir prendre. La situation est paradoxale : d’une part, il y a un réel déficit d’explications scientifiques sur les risques de la pandémie ; d’autre part, on assiste à une agitation médiatique sur les différents « plans d’action » qui sont censés garantir le sérieux de ceux qui nous gouvernent. Certes, il est bien possible que ces explications scientifiques ne soient pas encore stabilisées, mais on est frappé par le silence ou les contradictions qui entourent la nature de la « maladie » alors qu’au contraire on exhibe avec une belle autosatisfaction des décisions radicales inquiétantes.


À défaut de pouvoir juger vraiment des risques, on est, alors, en droit de s’inquiéter : il est possible, en effet, qu’on assiste à la répétition générale d’une grande « révolution sociétale » qui, au nom de la sécurité absolue des personnes, organise le grand enfermement des sujets. Il est possible que la panique, quoique fondée sur de graves dangers, tétanise toute réflexion citoyenne sur les modèles de société qu’on nous prépare aujourd’hui… Ce serait la pire des choses, car, ce dont nous avons besoin, justement, c’est de penser l’avenir avec des modèles renouvelés. C’est de sortir du ressassement perpétuel de nos angoisses collectives archaïques, pour nous engager réellement dans des choix politiques nouveaux. Il nous faut arrêter de gérer le court terme avec des prothèses improvisées. Il nous faut penser infiniment plus en amont et en aval à la fois : penser prévention globale, formation et responsabilisation des personnes, invention de nouvelles solidarités ; penser aussi aux scénarios possibles pour notre futur et à ce qu’ils engagent. Penser tout simplement.


Battons nous donc pour que la mobilisation nécessaire contre la grippe H1N1 ne soit pas une manière d’oblitérer l’avenir. Tout au contraire ! Battons nous pour une éducation qui rende les citoyens capables de lutter collectivement et dans la durée contre les pandémies naturelles et économiques, biologiques et marchandes, médicales et technologiques…

Plus que jamais, nous avons besoin d’un surcroît d’éducation.

Philippe MEIRIEU

Source meirieu.com

Publié dans Education

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