Hadopi 2 : le PS saisit le Conseil constitutionnel

Publié le par SD32

Les députés PS ont déposé, lundi 28 septembre, devant le Conseil constitutionnel un recours contre la loi Hadopi 2 sur le téléchargement illégal. Dans la saisine, les députés socialistes estiment que la loi Hadopi 2, définitivement adoptée par le Parlement le 22 septembre, "encourt les mêmes critiques" que la loi Hadopi 1, en partie censurée par le Conseil constitutionnel le 10 juin. Ils "estiment nécessaire que soit soulevée la question de la constitutionnalité de l'ensemble de la loi".

En juin, les "sages" de la rue de Montpensier avaient censuré la principale disposition de la loi Hadopi, qui permettait à une haute autorité administrative de suspendre l'abonnement à Internet après deux avertissements, estimant qu'elle mettait en cause la liberté d'expression et de communication. Le gouvernement avait donc revu sa copie en proposant dans un nouveau texte de loi que ce soit un juge, et non plus cette haute autorité, qui prenne cette décision. Pour éviter d'encombrer les tribunaux, tout en maintenant un traitement massif, le gouvernement a opté pour l’ordonnance pénale. Il s’agit d’une procédure simplifiée, devant un juge unique, sans audience, ni débat contradictoire.

Selon la saisine des députés PS, "cette intervention judiciaire ne constitue qu’un habillage commode pour contourner la décision" du Conseil et ne respecte pas le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence. "Le législateur n'a pas renoncé à mettre en place un système disproportionné et approximatif de sanctions incompatible avec nos principes constitutionnels, estiment les députés PS. Ces nouvelles procédures n'offrent pas aux justiciables les garanties procédurales suffisantes au regard des sanctions encourues." Finalement, pour le député socialiste de Paris Patrick Bloche, "la loi Hadopi 2 porte une grave atteinte à la liberté d'expression, assurée par l'accès à Internet".


Autre problème soulevé par les parlementaires socialistes : la remise en cause du principe d’égalité devant la loi pénale. La suspension de l'accès à Internet sera délicate dans les zones non dégroupées, pour lesquelles les fournisseurs d'accès peuvent difficilement couper Internet sans toucher à l'offre de téléphonie ou de télévision. Dès lors, pour les députés socialistes, "il est manifestement contraire au principe d'égalité devant la loi pénale d'établir une sanction dont la mise en œuvre ne sera pas la même sur l'ensemble du territoire national et dépendra des contingences techniques".

 

Source LeMonde.fr

EXCLUSIF

 

Voici la liste des principaux points d’anti-consitutionnalité relevés dans la saisine, article par article:

Sur l’article 1er

- Selon l’article 1er, la Commission de Protection Des droits (CPD) sera en charge de constater « les faits susceptibles de constituer des infractions ». Selon les auteurs de la saisine, en cas de négligence négligée, le procès-verbal constituera l’« unique élément d’instruction » permettant la condamnation des abonnés. Et l’adresse IP, « le seul élément de preuve ». Ils demandent donc au Conseil de préciser que l’adjectif « susceptibles » doit conduire à un complément d’instruction« afin que les seules constatations de la HADOPI ne permettent pas la condamnation des abonnés suspectés ».

- Le texte dit que les agents de la CPD « peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées ». Les observations des abonnés suspectés sont donc facultatives, « or, la garantie des droits des citoyens impose absolument qu’une audition soit réalisée au stade de l’instruction tout particulièrement lorsque, durant la phase de jugement, il est prévu une procédure pénale simplifiée sans audience ».

- Les personnes qui le demandent pourront être entendus. Selon la saisine, un tel dispositif laisse « la possibilité d’engager des poursuites à l’encontre d’un abonné dont l’identification n’aura été faite que de manière indirecte, c’est-à-dire à partir du relevé de son adresse IP ». Et donc de sanctionner de suspension de la connexion « sans qu’à aucun moment les abonnés suspectés aient été entendu ».

- Il existe deux procédures alternatives (ordonnance pénale et tribunal correctionnel) pour des faits identiques, alors qu’« aucune différence objective ne justifiera le choix entre ces dernières et donc entre les sanctions encourues qui sont d’une sévérité incomparable ». Le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, Franck Riester, a indiqué que le choix devra dépendre du degré de certitude de la commission d’une infraction. « Cette distinction repose exclusivement sur le choix, arbitraire, de mener plus avant les investigations au moment de l’instruction » écrivent les auteurs de la saisine. Selon elle porte donc atteinte « aux principes de sécurité juridique et d’égalité ».

Sur l’article 6


- La création de « deux régimes juridiques distincts pour réprimer le délit de contrefaçon selon qu’il a été commis ou non au moyen d’un service de communication au public en ligne » est une « atteinte injustifiée au principe d’égalité ».

- Le recours aux ordonnances pénales pour délit de contrefaçon « constitue une régression de la garantie des droits des justiciables ». Les auteurs de la saisine expliquent : « si votre juridiction a décidé que la suspension de l’accès à internet ne peut être prononcée que par le juge judiciaire c’est parce qu’une telle sanction affecte l’exercice de la liberté fondamentale d’expression » . Or, selon eux, les garanties procédurales (droits de la défense et présomption d’innocence) « ne peuvent pas être sérieusement garanties dans le cadre d’une procédure pénale simplifiée » dans le cadre d’un « contentieux plus complexe » et posant « à l’évidence des problèmes de preuve ».

- L’article 6 prévoit que les ayants droit pourront demander au juge de se prononcer sur la constitution de partie civile, afin de pouvoir obtenir des dommages et intérêts. Ceci est normalement exclu des ordonnances pénales. Selon les auteurs de la saisine, cela « introduit une exception notable dans le cadre de la procédure des ordonnances au point d’en dénaturer le sens et la portée. (...) Un tel déséquilibre entre les droits de la défense et les droits de la partie civile met manifestement en cause l’égalité des débats et partant le droit à un procès équitable. »

sur l’article 7


- Le Conseil Constitutionnel ayant admis que la suspension de l’accès à Internet porterait atteinte à la liberté d’expression et qu’elle exigerait en conséquence l’intervention d’un juge judiciaire et le respect de la présomption d’innocence, les auteurs de la saisine lui demande « compte tenu de la gravité de la sanction consistant en une suspension de la connexion internet, d’exclure que le prononcé de cette peine complémentaire soit effectué dans le cadre de la procédure des ordonnances pénales ».

- Dans le cas d’offres triple-play, la suspension ne s’applique pas aux autres services. L' Arcep , dans son avis sur le premier projet de loi,expliquait que « l’application de cette nouvelle disposition sera limitée en pratique... dans les zones non dégroupées, il se peut que, dans certains cas, il soit difficile techniquement de maintenir au profit de l’abonné un service de téléphonie IP si l’accès à Internet est coupé. » Pour les auteurs de la saisine : « l’application immédiate de ce dispositif conduirait mécaniquement à une atteinte au principe d’égalité. »

- L’abonné, dont l’accès sera suspendu, devra continuer à payer l’intégralité de son abonnement. Selon la saisine, « le cumul des sanctions pécuniaire et pénal porte une atteinte manifeste au principe de proportionnalité ». Aussi, le montant de la sanction variant selon le contrat en vigueur entre l’abonné et son fournisseur d’accès, le dispositif porte une atteinte « au principe constitutionnel d’égalité » et « viole le principe de la légalité des peines ». De plus, cette sanction financière « dont le produit ne bénéficiera ni à la collectivité publique ni aux auteurs que la loi est censée protéger, mais au bénéfice exclusif de l’intérêt particulier des fournisseurs d’accès » est contraire « au principe constitutionnel de la liberté contractuelle » et « contestable sur le terrain de l’enrichissement sans cause ».

- L’Hadopi est chargée de notifier aux FAI les sanctions prononcées par le juge et de s’assurer de sa mise en œuvre. Selon les auteurs de la saisine, cela confère à l’autorité administrative : « le pouvoir de faire exécuter les peines ». Ils estiment donc que cela porte atteinte au « principe de séparation des pouvoirs proclamé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

Sur l’article 8 (relative à la négligence caractérisée)

- Le recours estime que « le fait de sanctionner une « négligence caractérisée » – notion dont le flou est au demeurant peu compatible avec le principe de légalité des délits et des peines – par une mesure portant une atteinte grave à une liberté fondamentale – la coupure de l’accès à l’Internet » constitue « une disproportion manifeste ». Avant de conclure : « il est flagrant que le législateur n’a pas tenu compte de votre décision du 10 juin 2009 par laquelle (...) De ce seul chef, la censure est encourue. »

Selon la saisine, le dispositif pour négligence caractérisée maintient la présomption de culpabilité car « pour échapper aux sanctions prévues, l’abonné sera tenu de prouver son innocence c’est-à-dire de prouver l’inexactitude des faits constatés . Le renversement de la charge de la preuve est donc maintenu. » De plus, la présomption de culpabilité « revêt un caractère irréfragable. Le législateur s’est tout simplement dispensé de dresser la liste des moyens de s’exonérer des sanctions prévues ».

Dans sa décision du 10 juin, les services du Conseil constitutionnel écrivaient qu’il est « autrement plus difficile, pour un internaute, de savoir et, a fortiori, de démontrer que son accès à internet est utilisé à son insu, que, pour le propriétaire d’un véhicule, de savoir que ce dernier a été volé… Il n’y a pas d’équivalence possible dans la « vraisemblance de l’imputabilité » entre ces deux situations. »

- En dépit d’une durée de suspension plus réduite (1 mois maximum), les auteurs de la saisine estiment que « cette sanction n’en affecte pas moins les conditions d’exercice du droit de s’exprimer et de communiquer librement », et de rappeler que, dans une décision antérieure, le Conseil a admis la constitutionnalité d’une présomption de culpabilité « après avoir constaté que la sanction n’était qu’une amende, et n’entraînait pas le retrait de points affecté au permis de conduire ».

- Selon le recours, « en raison du caractère flou et indéterminé de la notion de « négligence caractérisée », le dispositif porte une « atteinte manifeste au principe de légalité des délits et des peines ». Il rappelle qu’il existe déjà un délit de « manquement à l’obligation de surveillance de son accès internet » dans le code de la propriété intellectuelle qui n’est assorti d’aucune peine. Aussi, la création de cette nouvelle incrimination « apparaît comme un artifice destiné à contourner le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines et votre jurisprudence relative aux présomptions de culpabilité ».

- Les conditions de jugement de cette contravention de cinquième classe pour négligence caractérisée « n’ont nullement été précisées par le législateur » poursuivent les auteurs de la saisine. L’abonné pourrait être jugé par le tribunal de police, or le texte ne garantit pas « un procès équitable ».

Le recours s’interroge ensuite sur les moyens de définir, et incriminer, la négligence caractérisée : « Une condamnation prononcée sur le fondement d’une négligence caractérisée exigera t-elle que la preuve d’une contrefaçon soit apportée ? Une négligence caractérisée pourra t-elle entraîner une condamnation sans que la réalité d’un dommage quelconque soit établie ?A défaut, sur quel élément matériel et intentionnel reposera cette infraction ? S’agira t-il du fait de n’avoir pas installé un logiciel de sécurisation de sa connexion ou de ne pas l’avoir activé ? Le législateur entend t-il par ce biais imposer aux abonnés l’installation de logiciels dont les spécifications techniques ne sont pas encore connues ? »

Sur l’article 11


- L’abonné condamné à la suspension de sa connexion aura l’interdiction de souscrire un autre contrat d’abonnement pendant la durée de la suspension. S’il viole cette interdiction, il est puni d’une amende d’un montant maximal de 3 750 €. « Il apparaît à la lecture de cet article que le législateur ne distingue aucunement selon que la violation par l’abonné de l’interdiction de souscrire un nouveau contrat est attachée à la commission du délit de contrefaçon ou de la négligence caractérisée », estime la saisine. « Eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes est entachée d’erreur manifeste d’appréciation. »


Publié dans Faits de société

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