Des pays vulnérables en situation critique

Publié le par SD32

Nul ne souffre autant de la flambée des prix des produits de base que les pauvres, qui consacrent au moins la moitié de leurs revenus à l’alimentation. Alors qu’aucun signe de détente des prix des denrées alimentaires et des combustibles n’est en vue, nourrir les plus démunis est à l’évidence la première des priorités actuelles. De nombreux pays pauvres ou à revenu intermédiaire sont aujourd’hui dans une situation critique.

Le défi qu’ils doivent relever est aussi le nôtre : assurer leur approvisionnement alimentaire sans remettre en cause les progrès accomplis ces dernières années dans la lutte contre la pauvreté grâce à une accélération de la croissance, à une faible inflation et à une meilleure gestion économique.


L’impact de la hausse du coût de la vie est ressenti partout. Dans les pays développés, on se soucie avant tout du prix du pétrole, qui se négocie maintenant à plus de 135 dollars le baril. Mais dans les pays pauvres ou à revenu intermédiaire, c’est le renchérissement des produits alimentaires qui est au coeur des préoccupations : 40 % de la population des pays en développement est déjà en situation de dénutrition, et ce pourcentage pourrait augmenter rapidement.

La hausse des prix mondiaux des produits alimentaires a presque doublé l’an passé, et la situation se détériore. Les pressions sur les balances des paiements sont elles aussi intenses. Si les prix du pétrole restent à leurs niveaux actuels, et si les prix des produits alimentaires continuent d’augmenter, 56 pays à faible revenu risquent de perdre des réserves représentant plus de quinze jours d’importations. C’est donc une pression énorme qui s’exerce sur les pays les plus pauvres.


Et ces pressions ne devraient pas s’atténuer sensiblement dans un avenir prévisible. L’offre demeure très tendue, en particulier pour les produits pétroliers, et les pays pauvres ou à revenu intermédiaire qui connaissent une croissance rapide continueront à susciter une forte demande de produits de base. Les stocks de denrées alimentaires ont diminué, laissant le monde plus tributaire que jamais des aléas climatiques. En outre, l’augmentation de la production de biocarburants aux Etats-Unis comme dans l’Union européenne continuera de peser elle aussi sur les prix.

Comment le monde doit-il réagir à ce double choc ? Chaque pays est différent et les réponses préconisées varieront considérablement. Mais le défi lancé à tous les pays pauvres ou à revenu intermédiaire sera de trouver le moyen de nourrir ceux qui ont faim sans entretenir l’inflation ou épuiser les réserves de change. Cela suppose des compromis difficiles. D’un point de vue économique, il est raisonnable de répercuter intégralement les hausses de prix sur les consommateurs, car cela encourage les producteurs à augmenter leur offre et les consommateurs à diminuer leur demande. Dans le même temps, il convient de protéger les pauvres qui sont frappés par ces hausses. Le meilleur moyen d’y parvenir est de mettre en place un dispositif de protection sociale bien ciblé.


Les autorités nationales doivent aussi être conscientes des conséquences macroéconomiques de leurs actions. Contenir l’inflation est un enjeu majeur. Dans certains pays, il pourra être nécessaire de resserrer la politique monétaire pour éviter que le renchérissement des denrées alimentaires et des combustibles n’entraîne une hausse plus générale des prix. Dans certains pays importateurs nets de produits alimentaires et de combustibles, une dépréciation du taux de change réel sera sans doute nécessaire.

La politique budgétaire doit aussi refléter la situation économique de chaque pays. Certains peuvent financer l’aide aux plus démunis en assouplissant leur position budgétaire, tandis que d’autres doivent augmenter leurs recettes ou opérer des coupes ailleurs dans les dépenses. Le soutien de la communauté internationale s’impose de façon plus pressante dans les pays où il est difficile d’augmenter les dépenses.

Le commerce est une autre question clé : les marchés mondiaux de denrées alimentaires doivent demeurer ouverts. Certains des principaux producteurs ont choisi récemment de restreindre leurs exportations. Si l’urgence d’assurer l’approvisionnement alimentaire national est compréhensible, ce type de politique a pour effet d’exporter la faim et aggrave les difficultés à l’échelle mondiale en décourageant la production.

Il faut donc mettre fin aux mesures de taxation et d’interdiction des exportations, afin que producteurs et consommateurs puissent s’ajuster aux hausses de prix. L’abaissement des droits de douane peut également être utile en réduisant les effets de distorsion des échanges et en atténuant les hausses de prix. Dans ce contexte, une issue positive du cycle de Doha, notamment en ce qui concerne l’agriculture, est absolument essentielle.


Le FMI offre d’ores et déjà ses conseils économiques et ses concours financiers pour aider les pays vulnérables à répondre efficacement à la crise. Mais une approche multilatérale s’impose. La communauté mondiale doit faire en sorte que les aides alimentaires et financières parviennent aussi vite que possible aux pays les plus touchés.

Nous devons reconnaître la gravité du défi que tant de pays doivent relever aujourd’hui et aider ces derniers à y répondre par des mesures qui ne compromettent pas la stabilité économique. Ce défi est aussi le nôtre.

Dominique STRAUSS-KAHN
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